Située au centre du quartier Montmartre, la rue du Chevalier-de-la-Barre est voisine du Sacré-Cœur. Et elle offre d’ailleurs une vue incomparable sur le monument. C’est Wikipédia qui le dit.
« Elle tient son nom pittoresque d’un jeune homme qui a été torturé et décapité, un fait divers abominable qui a fait beaucoup parler à la fin du XVIIIème siècle. » peut-on lire.
Et bien c’est justement un jeune homme qui a été « torturé » par la vie, que j’ai rencontré avant-hier, rue du Chevalier-de-la-Barre. Torturé, mais qui, lui, a néanmoins gardé la tête sur les épaules.
Christian était artisan plombier-chauffagiste. Jusqu’à encore il y a peu, dix mois environ, tout allait pour le mieux. Son entreprise marchait fort, marié, deux enfants et heureux en ménage, tout semblait devoir continuer à se passer pour lui, comme on dit, « dans le meilleur des mondes. »
Mais voilà. Deux événements imprévus sont venus bouleverser tout ça. Chambouler cette douce quiétude, et transformer sa douce existence, en l’horrible cauchemar qui dorénavant est son quotidien dans la réalité.
Premièrement, Hervé, son comptable et ami de 20 ans, est parti avec la caisse. Et comme si cela ne suffisait pas déjà à mettre Christian dans la mouise financièrement, ce faisan s’est débrouillé pour faire en sorte qu’au regard des textes de loi en vigueur, c’est Christian, et non pas lui-même, que le fisc tient pour responsable de l’état de faillite où les manœuvres frauduleuses de cet escroc ont laissé l’entreprise. Une faillite dont Christian a donc dû payer les pots cassés : cotisations URSSAF, retraites, factures impayées, impôt sur les sociétés et majorations. La totale !
Résultat des courses, le fisc lui a tout pris. Enfin… presque.
Cependant, le peu de choses qu’il lui restait après que les employés de Bruno Le Maire se soient copieusement servis, à savoir sa maison (domicile conjugal qui de ce fait a échappé aux saisies et ventes forcées), Madame se l’est appropriée.
Oui, c’est ce deuxième événement malheureux qui a fini de pousser Christian à se retrouver à la rue : au terme d’un divorce qui pour une fois a été ultra rapide, son ex-épouse a « hérité » de la maison, ainsi que de la garde exclusive des enfants.
Voilà comment, un « pas beau » jour, Christian a élu « non-domicile » rue du Chevalier-de-la-Barre.
Il y est depuis bientôt huit mois. Il y vit avec Tobby, son vieux malinois. Madame n’en a pas voulu.
Christian est solidaire : le RSA dont il bénéficie depuis deux mois, il le partage avec son fidèle ami à quatre pattes. Et histoire d’améliorer l’ordinaire, tant du sapiens-sapiens que du canidé, Christian vaque de petits boulots en petits boulots. Au pluriel, car parfois il en cumule deux ou trois par jour.
Généralement, il donne la main sur les marchés, où il s’improvise « technicien de surface » ad hoc sur tel ou tel stand, lorsqu’arrive l’heure de devoir remballer. Il effectue également relativement souvent une garde de nuit dans des halls d’immeubles, une occurrence où, là, la présence imposante de son chien ne dérange pas les habitants du lieu, au contraire. Sinon, il officie aussi régulièrement en tant que manœuvre sur un chantier. Au noir, tout ça, évidemment, raison pour laquelle j’ai changé le prénom de notre héros malgré lui de la semaine. En réalité, il ne s’appelle pas Christian mais…
Son toutou, lui, par contre, c’est bien Tobby : je le jure sur la tête de… Allez ! De Bruno le Maire !
C’est ce que j’ai dit à Christian, à propos de je ne sais plus quel mensonge que, pour rire avec lui de sa situation, je lui ai avancé comme étant rigoureusement exact.
Car, en dépit du caractère dramatique de la situation dans laquelle il se trouve, et qui, hélas, visiblement, risque fort de perdurer assez longtemps (1), Christian n’a rien perdu de sa joie de vivre. Jovial dans l’âme, il continue d’avoir foi et confiance en la vie, et de lui sourire.
« Il y a des gens bien plus dans la merde que moi, tu sais ! » m’a-t-il confié, avec on ne peut davantage d’humanité. Parce que, tenez-vous bien ! C’était là presque comme pour s’excuser de ne pas être aigri. Pas touché par tout ça plus que dans sa chair uniquement.
Mieux : il n’en veut à personne.
Et pourtant ! Quand on sait que, chaque année, des dizaines de milliards d’argent public sont dépensés inutilement en fioritures, pour satisfaire aux goûts de luxe d’élus et hauts fonctionnaires en augmentation constante depuis des décennies.
Que pareillement, les actionnaires du CAC40 reçoivent des milliards en dividende (63,2 milliards d’euros en 2023) sur le dos des petites mains qui font la prospérité de leurs trusts. Une augmentation des dividendes de 31% depuis 2017 et 8,7% sur un an. Des conglomérats à l’appétit sans limite, et à la satisfaction duquel concourent tous ceux qui payent des impôts et des taxes en France (la TVA notamment), puisque c’est avec leur argent, que les actionnaires de ces consortiums gagnent à la Bourse. Eh oui ! Le système financier est ainsi fait que les fruits du travail des « employés » se retrouvent in fine à la Bourse. La création de richesse apportée au pays par chacun d’entre eux par son travail, y finit immanquablement. Et la totalité de leur épargne.
La #VieReelle, en opposition à la vie de salon des nantis, voici ce qui pourrait être proposé. Des petits nantis aux grands, à ceux qui profitent grassement d’un argent (et d’avantages de moult natures) qu’ils n’ont pas gagné à la sueur de leur front, mais sur le dur labeur des autres.
Oui. En juste retour des choses, ouvrons une Bourse de la misère financée par les porteurs d’actions, pour que dans les yeux des porteurs de misère, jamais plus il n’y ait de larmes autres que de joie. Celle sans égale, en pareilles circonstances, de se sentir avant tout considéré, et non pas mis au ban.
Fonds Marianne, Dilcrah, Mivilude, CNC, agence française du développement, et cætera, et cætera, après tout, ne devrait-on pas utiliser les milliards de tous ces fonds, pour venir en aide à ceux qui sont dans la misère, plutôt que d’en faire profiter les copains des copains ? Une question que l’on peut poser à tous ceux dans la misère dont la réponse sera sans nul doute : Oui !
(1) il est très difficile de postuler avec succès à un emploi officiel, en CDD ou CDI, lorsqu’on est sans domicile.