• dim. Sep 29th, 2024

trois raisons de réduire le temps de travail


Savez-vous ce que commémore le 1er mai ? La date correspond à l’appel, en 1886, des syndicats ouvriers étasuniens pour demander l’instauration de la journée de huit heures de travail. « Le 1er mai est historiquement lié aux revendications de réduction du temps de travail », remarque Paul Montjotin, co-auteur de L’Ère du temps libéré (Ed. Du Faubourg, 2024) et membre de l’Institut Rousseau. Il note « un paradoxe : en France, le temps de travail a presque été divisé par deux depuis la fin du XIXe siècle, et en même temps, d’après les études, les gens ont majoritairement l’impression de courir après le temps ». Alors, à l’occasion du 1er mai, Reporterre s’interroge : pourquoi encore réduire le temps de travail ? Des personnes qui ont choisi de passer à temps partiel ou de s’extraire du salariat témoignent.

1 – Parce que le travail use

« Les conditions de travail se sont détériorées, le travail s’est intensifié », assure Paul Montjotin. Il cite comme référence sur ce sujet l’ouvrage intitulé Le Travail pressé, Pour une écologie des temps du travail (Les petits matins, 2022), des chercheurs Corinne Gaudart et Serge Volkoff. À partir d’études sur les pâtissiers, infirmières ou travailleurs du BTP, de l’automobile, etc., ils montrent que tous sont soumis à la même injonction contradictoire de faire « vite et bien » et n’ont plus le temps de faire évoluer ou transmettre leurs savoirs professionnels. Les contraintes mises sur les travailleuses et travailleurs se sont alourdies. Le travail est sous pression. À cela s’ajoute « une dynamique d’accélération » qui touche tous les moments de la vie, relève Paul Montjotin. « La société de consommation transforme le temps libre en une course effrénée à la consommation, à la marchandisation des loisirs. Et l’essor de l’économie de l’attention renforce cela car on passe en moyenne cinq heures par jour devant notre smartphone… » Sommes-nous devenus des hamsters courant sans but dans notre roue ?

Face à cela, réduire le temps de travail améliore la vie des salariés, mais aussi des entreprises. « Celles qui sont passées à la semaine de quatre jours ont vu une diminution significative des arrêts maladies, des burn out, des turnovers », rappelle notre spécialiste de l’emploi.

Le temps libéré n’est pas forcément un temps inactif. Retaper sa maison avec des matériaux écologiques (ici de la terre), cela demande du temps.
© E.B / Reporterre

Les témoignages recueillis par Reporterre vont dans ce sens : travailler moins préserve le bien-être. Jessica, 32 ans, travaille dans une association de protection de l’environnement et a refusé de passer à temps plein. Elle est restée à vingt-cinq heures par semaine, notamment pour sa santé. Avec succès : « Je suis moins stressée, je prends soin de moi, je dors davantage », estime-t-elle. Un sentiment de sérénité se dégage des récits récoltés. À temps partiel « volontaire » depuis seize ans, Virginie travaille à la SNCF. « La reprise du boulot arrivait toujours trop vite », se rappelle-t-elle. Elle a profité d’une promotion pour « travailler moins pour le même salaire, le top ! » Même satisfaction pour Delphine, professeure de collège en Savoie, à temps partiel depuis quelques mois, pour s’occuper de son premier enfant, mais aussi « se ressourcer ». « Quel bonheur de pouvoir prendre le temps ! », nous écrit-elle.

2 – Du temps pour soi mais aussi pour les autres

Un temps libéré mais pas inactif, loin de là. Diminuer les heures passées devant les élèves a permis à Delphine de dégager du temps pour de nombreuses autres activités, certaines utiles, d’autres plaisantes, parfois les deux : « M’occuper de mon enfant, lui préparer des repas 100 % fait maison, gérer les couches lavables. Consacrer plus de temps pour le potager, le verger et sortir davantage en forêt. Cela me permet aussi de ramasser beaucoup de fruits et de plantes sauvages comestibles autour de la maison pour des repas savoureux et bien équilibrés », liste-t-elle.

Jessica, professeure d’acroyoga, met aussi à profit son temps libre pour manger mieux en dépensant moins. Parmi ses passe-temps favoris, en plus de ses activités associatives et sportives : « Aller chez les producteurs, cuisiner, aller glaner des fruits et les transformer… » « Cela me permet d’avoir un rapport sain à mon boulot », résume-t-elle.

Côté ville, les Parisiennes et Parisiens se tournent vers des activités culturelles et associatives. Virginie, aime les « promenades, la lecture, les formations et conférences sur la nature » et « aide dans des assos ». « Bref, je vis ! », résume-t-elle. Matthieu, lui, a pendant des années profité de son temps libre pour « lire, aller à la bibliothèque, marcher, faire de la musique, etc. Et j’ai toujours été dans des associations », ajoute-t-il. Un engagement sacrifié depuis qu’il est à temps complet. La cinquantaine arrivant, « en approchant de la retraite, je me suis dit qu’il fallait que je cotise », explique-t-il. Il envisage déjà de repasser à temps partiel, cette fois-ci « pour m’occuper de proches qui en ont besoin ».

Diminuer le temps de travail, ce n’est pas forcément travailler moins mais cela peut signifier consacrer moins de temps à un travail rémunéré, comme dans cette communauté anarchiste.
© Mathieu Génon / Reporterre

Bref, loin d’être un temps uniquement de pure paresse ou de consommation effrénée, le temps libéré est en fait consacré « en premier lieu à ses enfants, ses parents, ses amis », observe Paul Montjotin. « Rappelons aussi qu’il y a en France 20 millions de bénévoles qui donnent chaque année de leur temps à une association, et que les aidants familiaux, c’est 9 millions de personnes ! »

C’est aussi un temps qui permet de faire plus et consommer moins, comme le montrent les pratiques alimentaires de nos témoins. Et c’est aussi le cas pour ce qui touche aux transports. Se déplacer en train prend plus de temps qu’en avion. Passer moins de temps à travailler permet de repenser une société plus écologique. « Libérer du temps contribue à sortir de la dynamique productiviste, de promouvoir des comportements plus sobres », dit notre spécialiste.

3 – Redonner du sens au travail

Ainsi, on constate que ce n’est pas tant le temps de travail que les personnes interrogées ont choisi de diminuer, mais le temps consacré à un travail rémunéré. Virginie appelle une partie de ses activités hors salariat du « travail choisi ». Tanguy, lui, a poussé la logique à l’extrême. À 36 ans, il vit en Dordogne et n’a eu que quelques (mauvaises) expériences de travail salarié dans sa vie. Il vit du RSA et de la vente d’une petite partie de sa production de légumes. Le reste sert à le nourrir lui et ses colocs. Entre bricolages, gros potager, fabrique du pain, et récolte des olives, « j’ai fini par accepter que je travaillais. Je transforme de la matière, je fais pousser des trucs, je produis des discours », décrit-il.

Paul Montjotin parle, lui, d’un « travail non marchand, qui a une vraie utilité sociale », insiste-t-il. Ainsi, l’envie de décrocher, d’avoir plus de temps libre, constatée dans les études, n’est pas pour lui « une crise de la valeur travail, comme certains voudraient le faire croire. En revanche, je pense qu’il y a vraiment une crise du sens au travail. De nombreux jeunes se demandent notamment pourquoi travailler si cela alimente un système productif qui fragilise les conditions de vie sur Terre. »

Lire aussi : Réforme du RSA : « L’État cherche à retenir les déserteurs »

Il nous invite à « nous réapproprier le travail et à le réorienter vers les besoins essentiels, car le travail, en fait, existe en quantité infinie. Mais on peut décider de rémunérer une activité dont on juge collectivement qu’elle est utile ». Par exemple, prendre soin des plus faibles, cultiver des aliments sains, rénover les logements énergivores… Une dynamique qui doit être portée par des politiques publiques. Car toutes les personnes interviewées le disent : le temps partiel choisi est « une chance ». Virginie sait bien que sa situation n’est pas comparable à celle « des personnes qui subissent le temps partiel, avec des salaires minables comme dans le ménage ». Redonner du sens au travail, réduire le temps de travail subi sans diminuer les salaires… Autant de grands chantiers sociétaux pour les syndicats, qui montrent que le 1er mai est encore, 138 ans après sa première édition, toujours d’actualité.



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