« C’est normal que l’Europe soit ouverte à la production ukrainienne »
Déclenchées par la concurrence déloyale des céréales ukrainiennes, les mobilisations des agriculteurs européens ont débouché sur un renoncement à toute ambition écologique. En France, le gouvernement et l’agro-industrie ont ainsi détourné la colère paysanne pour éviter de répondre aux vraies questions que posent la disparité des revenus, des conditions de travail et le libre-échange.
Dès la généralisation des blocages, MM. Emmanuel Macron et Gabriel Attal ont cédé aux revendications du syndicat agricole majoritaire, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), mais pas aux demandes d’un revenu décent réclamé par d’autres organisations. Le gouvernement orchestre un grand bond en arrière sanitaire et environnemental, alors même que les agriculteurs sont les premières victimes d’un usage immodéré des pesticides et autres produits de synthèse, comme l’attestent de nombreuses publications scientifiques.
La « révolte des tracteurs » exprime la crise interne d’un mode de développement qui a vu le jour à l’orée des années 1960, et se caractérise par de très fortes disparités. Alors que les 10 % des agriculteurs les plus riches vivent avec au moins 44 600 euros par an, les revenus des 10 % les plus pauvres n’excèdent pas 10 900 euros par an. Le taux de pauvreté dans cette profession s’élève ainsi à 16 %, contre 14 % dans la population générale. Entre 1970 et 2020, le nombre d’exploitations agricoles a été divisé par quatre, passant de près de 1,6 million à 390 000, tandis que leur taille ne cesse d’augmenter. Selon les projections de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), la France pourrait ne compter que 275 000 exploitations en 2035. Enfin, l’essentiel des emplois du secteur est assuré par 800 000 employés, techniciens et ouvriers agricoles, dont 120 000 saisonniers, le plus souvent étrangers, au statut précaire et qui sont les premiers exposés aux produits dangereux.
Quelques mois plus tôt, le 16 novembre 2023, l’Union européenne avait une nouvelle fois repoussé de dix ans l’interdiction du glyphosate, enterrant l’une des promesses de M. Macron en 2017 : interdire son utilisation « au plus tard dans trois ans »… Pour satisfaire la FNSEA, M. Attal annonçait le 1er février 2024 la « mise en pause » du plan Écophyto, un programme de réduction des pesticides lancé en 2008, sous la présidence de M. Nicolas (…)
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