Ansarullah passe à la 4ème étape en Méditerranée où se déroule le tout nouveau tour de passe-passe de Washington, le ponton destiné à un prétendu acheminement de l’aide humanitaire.
par Khalil Nasrallah
Les opérations maritimes de l’Ansarullah contre les navires liés à Israël viennent de s’étendre à la mer Méditerranée, prolongation de la route maritime eurasienne que l’OTAN considère depuis longtemps comme son pré carré, où sont implantées les plates-formes pétrolières et gazières d’Israël, et où se déroule le nouveau tour de passe-passe de Washington pour un prétendu acheminement de l’aide humanitaire.
En soutien à Gaza, les forces armées yéménites alignées sur Ansarullah ont mené leur première opération directe contre Israël le 18 octobre 2023. Cette opération a impliqué des missiles de croisière et des drones ciblant le port d’Eilat, dans le sud de la Palestine occupée, et a eu lieu moins de deux semaines après que l’opération «Al-Aqsa Flood» de la résistance palestinienne ait bouleversé le cours des choses en Asie occidentale.
Des attaques similaires se sont succédé à un rythme effréné, l’armée yéménite avertissant qu’elle «continuerait à mener des frappes qualitatives à l’aide de missiles et de drones jusqu’à ce que l’agression israélienne s’arrête». Un mois plus tard, alors que Tel-Aviv intensifiait le carnage à Gaza, Sanaa a commencé à prendre pour cible les navires liés à Israël et destinés à la mer Rouge, bloquant ainsi leur passage par le détroit de Bab al-Mandab.
Il s’agit de la première phase d’une série d’opérations navales méticuleusement planifiées par le Yémen. La deuxième phase a vu une interdiction plus large, empêchant les navires de n’importe quel pays d’approcher les ports israéliens – un blocus des voies navigables, tout comme le Yémen l’a enduré pendant huit longues années. Le champ d’action de Sanaa s’est ensuite élargi au cours de la troisième phase pour inclure l’océan Indien, ciblant les navires israéliens qui empruntent la route du cap de Bonne-Espérance, beaucoup plus longue et qui fait le tour du continent africain, pour livrer des marchandises à l’État d’occupation.
La route maritime israélienne avant et après le blocus du Yémen
Face à l’escalade des tensions et pour protéger Israël, les forces navales américaines et britanniques ont mis sur pied une coalition hétéroclite d’États non arabes, l’opération Prosperity Guardian, pour frapper le Yémen, un pays déjà ravagé par près d’une décennie de bombardements et de blocus saoudo-émiratis soutenus par les États-Unis.
Cette opération a provoqué une réponse vigoureuse et immédiate des forces yéménites, qui ont élargi leur cible pour y inclure les forces navales américaines et britanniques et, plus tard, pour étendre leur théâtre d’opération au vaste océan Indien.
Mais alors que les menaces israéliennes d’envahir et de bombarder Rafah se sont précisées ces derniers jours, Sanaa a annoncé le début d’une quatrième phase d’escalade, une intensification significative de sa réponse militaire.
Cette phase visera les navires israéliens ou ceux qui se dirigent vers les ports israéliens en Méditerranée, et imposera des sanctions globales à tous les navires liés à des sociétés qui fréquentent les ports de l’État occupé. En outre, les mesures seront appliquées à tous les navires et à toutes les entreprises qui livrent des marchandises à Israël, quelle que soit leur destination finale. Elles leur interdisent ainsi l’accès à toutes les voies navigables opérationnelles du Yémen.
Ce quatrième volet est un signal clair de l’élargissement de la zone de conflit à la Méditerranée et du renforcement du blocus d’Israël, dont l’économie dépend du commerce maritime. Elle représente un nouveau défi pour Tel-Aviv et ses alliés, accroissant la pression, en particulier sur Washington et ses partenaires européens.
Champ d’action du Yémen contre les navires israéliens
L’action stratégique de Sanaa s’inscrit dans le cadre des négociations de cessez-le-feu en cours avec le Hamas, qui subit de fortes pressions pour accepter des conditions favorables à Israël, et fait partie d’une stratégie plus large visant à influencer les conséquences politiques bien au-delà des frontières du Yémen.
Le «périmètre de tir» du Yémen – sa portée maritime – englobe désormais la mer Rouge, la mer d’Arabie, le golfe d’Aden, l’océan Indien et la mer Méditerranée. Sur terre, l’objectif de Sanaa est de toucher Israël dans son étendue géographique, en particulier dans ses régions méridionales qui bordent la mer Rouge.
Dans de nombreux discours, le chef d’Ansarullah, Abdul Malik al-Houthi, a souligné les progrès stupéfiants réalisés par le Yémen en matière de capacités militaires, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Ces progrès sont rendus possibles par divers facteurs, notamment les essais en conditions réelles de leur arsenal.
Des images diffusées récemment ont montré un drone-suicide lointain ciblant un navire dans la mer Rouge, équipé d’une caméra sur son nez. En outre, les Yéménites ont réalisé d’importants progrès dans l’utilisation de missiles à ailettes et de missiles balistiques : selon des analystes militaires, pour la première fois dans l’histoire, des missiles balistiques antinavires ont été déployés contre des navires, un progrès qualitatif dans la panoplie militaire d’Ansarullah.
Le général de brigade Mujib Shamsan, président du comité des porte-parole de l’armée yéménite pour les médias, a déclaré au journal The Cradle que Sanaa avait profité de ses opérations et de sa confrontation avec les forces américaines et britanniques pour accroître rapidement ses capacités.
La comparaison entre les opérations qu’elle a menées du début à la fin de ses décisions le montre clairement. Les opérations dans le golfe d’Aden, la mer d’Oman et l’océan Indien, où il a pu accumuler et développer ses capacités de manière permanente, que ce soit en matière de puissance de missiles, de forces aériennes sans pilote ou d’autres armes navales, lui permettant ainsi de contourner les différents systèmes de défense américains, d’apprendre de nombreuses tactiques pour les affronter, voire de les faire échouer.
L’échec des deux coalitions occidentales destinées à contrecarrer le blocus d’Israël par le Yémen s’est fait sentir au grand jour.
Depuis le début du mois d’avril, plusieurs commandants des forces navales européennes ont baissé ainsi les bras au vu et au su de tous.
Jérôme Henry, commandant de la frégate française FREMM Alsace de classe Aquitaine – déployée en mer Rouge pendant 71 jours consécutifs – a déclaré le 11 avril que son navire avait épuisé tout son arsenal de combat et qu’il se rendrait au port pour se réapprovisionner en munitions, mais qu’il reviendrait pour faire face à une mission impossible :
«Nous ne nous attendions pas nécessairement à un tel niveau de menace. Nous avons constaté une violence sans retenue qui a été très surprenante et très significative. (…) Les Yéménites n’hésitent pas à utiliser des drones qui volent au ras de l’eau, à les faire exploser sur des navires commerciaux et à tirer des missiles balistiques».
«Nous avons dû effectuer au moins une demi-douzaine de missions d’assistance à la suite de frappes [yéménites]», a déclaré Henry au journal français Le Figaro.
Début avril également, le contre-amiral Vasileios Gryparis, commandant grec de l’opération Aspides de l’UE, a averti que la mission serait vouée à l’échec avec seulement trois navires de guerre disponibles pour protéger les cargaisons empruntant le détroit de Bab al-Mandab. Depuis «le lancement de l’opération Aspides le 19 février 2024 jusqu’à aujourd’hui, le niveau de menace reste le même», a déploré Gryparis.
Le brigadier-général Shamsan du Yémen souligne que les défaillances du système de défense américain, et les risques croissants auxquels sont confrontées la coalition navale anti-Yémen, l’ont «contrainte, ainsi que les pays alliés, à rappeler plus de 18 navires du théâtre d’opérations, le nombre de navires américains partis ayant atteint les 10, tandis que huit navires européens ont quitté le théâtre d’opérations».
Selon Shamsan, le développement rapide des capacités militaires de Sanaa au cours de la guerre en cours a fait du Yémen un acteur central non seulement au niveau régional, mais aussi au niveau mondial, en raison de sa position stratégique sur l’un des passages maritimes les plus cruciaux du monde.
Alors que la phase 4 des opérations d’Ansarullah débute en Méditerranée, Shamsan déclare que le Yémen a désormais mis en place un blocus maritime et une mainmise économique sur Israël, qui dépend fortement des voies maritimes pour la grande majorité de ses importations.
Ce blocus, à son tour, représente un levier important contre Tel-Aviv et ses alliés occidentaux, qui n’ont pas réussi à protéger leurs intérêts en Mer Rouge ou à contrecarrer l’embargo de Sanaa sur les navires entrant dans les ports de l’État d’occupation.
Loin d’être un simple bastion politique et militaire, le Yémen a démontré des capacités militaires de grande envergure et une planification stratégique impressionnante qui ont déconcerté les plus grandes puissances navales du monde. Les formidables manœuvres de Sanaa dans les zones maritimes d’Asie occidentale l’ont propulsé au premier rang de l’axe de résistance de la région, en tant que membre le plus à même de peser sur la sécurité maritime mondiale et la stabilité régionale.
Alors que les États-Unis et leurs alliés se rassemblent autour de leur nouveau «ponton humanitaire» sur la côte méditerranéenne de Gaza pour, comme beaucoup le soupçonnent, faire de la région un futur site d’opérations militaires américaines et protéger les plateformes pétrolières et gazières d’Israël, le Yémen est en train d’émerger comme un adversaire de premier ordre sur ce territoire très étendu.
source : The Cradle via Spirit of Free Speech