• dim. Sep 29th, 2024

Comment faire un potager quand tous les sols sont pollués ?


Quoi de plus sain qu’un légume sorti de son propre potager ? Et pourtant, ces petits bouts de terre que l’on a rendu nourricière sont soumis à de multiples pollutions. On ne peut les éviter, il faut désormais vivre avec, nous dit Bertille Darragon dans son ouvrage Jardiner dans les ruines, quels potagers dans un monde toxique ? (ed. Écosociété).

Elle nous explique ainsi comment faire avec toutes ces pollutions — aériennes, chimiques, plastiques, radioactives, aux métaux lourds… Mais nous incite aussi à nous indigner contre cet état de fait. Une somme de conseils pratique et de réflexions jardinières, issues de recherches approfondies et de dix ans passés à cultiver des terrains délaissés et à se former auprès de maraîchers.


Reporterre — Qu’est ce qui vous a amené à vous intéresser au jardinage, comme vous écrivez, « en contexte pollué » ? A priori, on se dit qu’il faudrait plutôt éviter de cultiver des terrains pollués !

Bertille Darragon — Je pense que l’on ne peut pas. Nous vivons dans un monde pollué. Prenons-en acte et faisons au mieux avec ça et contre ça. Ce n’est pas parce que le potager dont on dispose est pollué, qu’en arrêtant de manger ses légumes on aurait accès à des légumes moins pollués.

Donc mon objectif n’est pas du tout de dire aux gens d’arrêter de jardiner, mais plutôt de les inciter à faire attention à cela, et d’éviter les plus grosses pollutions. La lecture de mon livre peut sembler assez désespérante, mais c’est l’état du monde, pas spécifiquement de nos jardins.

Vous expliquez que les jardins potagers sont souvent sur des terrains particulièrement pollués, en tout cas les potagers laissés aux plus pauvres, et donc à ceux qui en auraient le plus l’utilité…

Typiquement, les jardins ouvriers sont souvent le long des grandes voies de transport. Quand, depuis une autoroute ou un train, on voit une succession de jardins, ils reçoivent les pollutions liées à la combustion des moteurs de voiture, ou des particules métalliques des trains qui roulent. Il y a un racisme et un classisme environnemental qui font que les catégories les plus défavorisées ont souvent accès à des terrains plus pollués.

Proches des grands axes routiers et des voies de chemin de fer, les jardins ouvriers sont parmi les plus pollués.
Wikimedia Commons / Ji-elle


Quels sont les terrains qui sont potentiellement les plus pollués ?

Selon les terrains, les pollutions sont différentes. À la campagne, on a beaucoup plus de pollution aux pesticides. En ville, on va trouver beaucoup de polluants liés aux transports, donc des métaux lourds. Après, ce qui compte aussi beaucoup dans les pollutions, c’est malheureusement l’âge du jardin. Plus un jardin est ancien et a été cultivé pendant les Trente Glorieuses, plus il va être riche en polluants divers issus des intrants qui ont été mis à des moments où ce n’était pas interdit.

Pour les pesticides, des études ont montré que les jardiniers avaient tendance à surdoser par rapport aux agriculteurs. Ils mesurent moins et, comme ils traitent une petite surface, il y a moins d’enjeu financier à économiser sur les intrants.


Quels sont les polluants les plus courants ?

Les métaux lourds sont extrêmement courants dans les sols de jardin. Après, il y a un élément radioactif, le césium 137. On en a retrouvé dans tous les sols qui ont été mesurés en France. Il est issu des essais atomiques et de l’accident de Tchernobyl. En France, tout l’Est a été contaminé, les radionucléides se sont déposés notamment dans les Alpes françaises.


Pour les métaux lourds, pouvez-vous préciser lesquels sont concernés ?

Il y a des métaux lourds qui sont uniquement dangereux, comme le plomb ou le cadmium. Et puis il y en a qui, en toute petite quantité, sont nécessaires au vivant, mais sont nuisibles en plus grande quantité, comme le cuivre. Il est utilisé depuis très longtemps dans ce qu’on appelle la bouillie bordelaise, que tout le monde utilise comme une recette de grand-mère, par exemple sur les vignes.

« Certaines pollutions sont graves pour la production, pas pour la santé »

On trouve beaucoup de contaminations au cuivre dans les sols potagers, parce que des générations de jardiniers et jardinières l’ont utilisé. Et, comme tous les métaux lourds, il ne se décompose pas. Il ne peut que s’accumuler, ou ruisseler. Un autre exemple est celui du zinc. Il est donné comme complément alimentaire aux animaux d’élevage. Et quand on met un peu de fumier pour booster ses courges, ce qui est une bonne idée, on y retrouve du zinc en grande quantité.


En quoi toutes ces pollutions sont-elles problématiques ? Se retrouvent-elles dans les légumes que nous consommons ?

Cela dépend des polluants. Par exemple, l’ozone est une pollution atmosphérique. Consommer des légumes qui ont capté de l’ozone n’est absolument pas dangereux. C’est surtout la plante qui va moins bien grandir, aura des problèmes de stress oxydatif, comme des taches de rouille. Donc cette pollution est grave pour la production, mais pas pour la santé.

En revanche, les métaux lourds le sont. Mais ce n’est pas parce qu’un sol est chargé en métaux lourds qu’ils vont forcément être captés par la plante. Il y a certains végétaux qu’il faut éviter. Par exemple, les laitues si on a un sol contaminé au plomb, parce que c’est une plante qui le concentre dans ses feuilles. Il faut aussi éviter les choux, les poireaux, l’ail. Mais, on va pouvoir manger des pommes de terre, car le plomb ne s’accumule pas dans les tubercules. Ce n’est pas parce qu’il y a une pollution dans le sol qu’elle atterrit directement dans notre corps.


Face à ces pollutions, quelles démarches peuvent adopter les jardinières et jardiniers ?

Il faut d’abord se renseigner, identifier dans notre environnement ce qui est une potentielle cause de pollution. Par exemple, dans la vallée de la Maurienne [Savoie], il y a une production d’aluminium. Il est possible qu’on en retrouve dans les sols. De la même façon, si on habite dans les Alpes, on peut se dire qu’on ne va pas cultiver des champignons, pour ne pas aller chercher le césium 137 dans les sols.

La vallée de la Maurienne est polluée par son usine d’aluminium.
Wikimedia Commons / Floflo

On peut enquêter sur le passé de notre sol, en se demandant depuis quand il est cultivé, s’il a reçu de fortes doses d’engrais et de pesticides. Ensuite, on peut choisir de pousser l’enquête avec des analyses de sols. Puis, en fonction de tout cela, on décidera peut-être de ne pas cultiver une partie du terrain.

Pour certaines pollutions, on peut essayer de les diminuer avec des végétaux accumulateurs. Par exemple, s’il y a des pollutions au plomb et au cadmium au-dessus des normes, on peut essayer de semer pendant quelques années des graminées, qui accumulent les polluants. On les fauche tous les ans, on les met dans un petit coin du jardin qu’on ne cultivera pas, et on peut diminuer la concentration en pollution.


Vous incitez aussi les jardiniers à se mobiliser contre les pollutions. En quoi faire son potager est-il, pour vous, aussi un acte politique ?

Déjà, cela permet une forme d’autonomie, donc une espèce de pratique anticapitaliste intuitive. Cela rend réceptif à certains discours. Souvent, on part de la théorie pour la mettre en pratique. Mais, à l’inverse, certaines pratiques permettent d’accéder à une radicalité politique. Faire un potager peut nous amener à accepter d’entendre les critiques du système de production alimentaire, du capitalisme, de l’agrobusiness, etc. Parce que ce discours ne nous attaque pas dans notre façon de vivre.

Et puis, les personnes qui s’occupent d’un jardin ont avec lui une relation affective. S’il est affecté par une pollution, cela peut nous donner une raison de nous révolter, de nous impliquer dans des causes beaucoup plus grandes.

Enfin, les jardins peuvent engendrer du collectif. Par exemple, cultiver des patates, cela se fait mieux à plusieurs.


Jardiner vous a aussi amené à réfléchir à votre relation avec les autres vivants du jardin. Que proposez-vous ?

Je propose de ne pas chercher une raison au respect des autres vivants, autre que le fait même qu’ils sont vivants. Parallèlement à cela, on ne peut pas vivre sans tuer. On est dans des chaînes alimentaires.

Avoir ce regard invite à ne tuer que quand on le pense nécessaire, y compris une petite plante qui pousse dans son allée de jardin. Est-ce que, vraiment, si je ne l’enlève pas, je n’arriverai pas à faire pousser mes plantes ? Ou suis-je en train de tout ratiboiser pour satisfaire mon sens esthétique ? Réfléchir ainsi peut nous aider à freiner nos gestes de destruction.



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