Dans le sillage de Jack Lang, la politique, la culture et les histoires de mœurs se mêlent dans une drôle d’odeur de soufre. Une ombre plane récurrente, celle des scandales liés à la pédophilie et aux abus sur mineurs. Le nom de cet homme politique, aux prises avec les controverses, revient régulièrement, aussi bien chez les artistes que dans certaines affaires troublantes. Jack Lang est une figure constante, tantôt louée pour ses réformes culturelles, tantôt entachée par des accusations dérangeantes, quand le président de l’Institut du monde arabe ne suscite pas un rire narquois pour des idées fantaisistes de modernisation des institutions.
Après son baccalauréat, Jack enchaîne les cursus. Il s’inscrit à la faculté de droit de l’université de Nancy et le centre universitaire d’études politiques, qui dépend alors de Sciences Po de Paris. Il rejoint la capitale en 1959, pour y poursuivre ses cours jusqu’à l’obtention en 1961 de son diplôme dans la spécialité Service Public ainsi que sa licence de droit. Il enchaîne avec un autre diplôme en sciences politiques et en droit administratif trois ans plus tard, avant de devenir doctorant en droit à partir de 1967.
Jack Lang devient assistant, chargé de cours puis maître des conférences à l’université de Nancy, où il devient professeur titulaire de droit international en 1976 puis doyen de l’unité d’enseignement en sciences juridiques.
Jack ou la pétition qui dérange
Cet universitaire, issu d’une famille de francs-maçons, a déjà fait son entrée en politique par la porte culturelle. Il est, parallèlement à sa carrière universitaire, proche de François Mitterrand et membre du Conseil du développement culturel. Il adhère alors au Parti socialiste en 1977 et devient secrétaire national à la Culture. Contrairement à un certain Jacques Attali, déjà très fameux conseiller du président, Jack Lang est encore méconnu du public et l’une de ses premières sorties lui sera indélébile. Il fait alors partie des 70 personnalités qui signent une pétition, dans laquelle elles demandent la libération de personnes accusées “d’attentat à la pudeur sans violence sur mineurs de moins de 15 ans”, “consentants”. Le secrétaire national à la Culture reviendra par la suite sur cette pétition, mais sa réputation est marquée au fer rouge.
François Mitterrand le nomme en 1981 à la tête du ministère de la Culture. Il y reste une dizaine d’années, empreinte aussi bien par des réformes pérennes, favorisées par la décentralisation de l’administration publique, que par des scandales imprescriptibles. A peine quelques mois après sa nomination, il présente sa démission suite au meurtre commis par son frère, ivre, à Nancy. Le chef de l’État la rejette et réduit la peine de Lang frère de 2 ans.
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Sous ses mandats, son ministère acquiert une ampleur de plus en plus importante : budget en hausse, assimilation de nouvelles formes artistiques, rentabilisation de la culture et développement de l’audiovisuel avec la création de chaînes et l’ouverture des ondes. Le quotidien du ministre de la Culture est aussi bien rythmé par les réformes comme la loi Lang de 1981 sur le livre ou encore le concept de Zénith, que par des scandales, rumeurs et affaires liées, toutes, à la pédophilie.
En 1982, son nom est cité dans l’affaire du Coral, affaire d’abus sexuels sur mineurs ayant éclaté en France en 1982, après qu’un indicateur de la police accuse Jack Lang de s’être “livré à des turpitudes sur des petits mongoliens soignés au centre” Coral. L’enquête le disculpe et écarte toute participation du ministre.
Danse trouble chez les socialistes, au gouvernement … et chez les RG
Trois ans plus tard, tandis que les transformations de la Culture se poursuivent, il s’oppose au projet de privatisation des chaînes de télévision française et pose sa démission. Encore une fois, François Mitterrand la rejette, cette fois-ci pour des calculs politiques, les législatives de 1986 approchant à grands pas.
Mauvais calcul ? Pendant la période de cohabitation (1986-1988), Jack Lang est une fois de plus cité dans une affaire de pédocriminalité, appelée Rosella Hightower, après qu’un jeune Espagnol de 15 se soit suicidé, harcelé après avoir rejeté les avances sexuelles de professeurs d’une école de danse. Un ancien dirigeant des Renseignements généraux affirmait alors qu’un des professeurs de Rosella Hightower “mettait des adolescents à disposition d’adultes pédophiles”, parmi lesquels figurerait Jack Lang et son épouse Monique.
A la fin de son mandat au début des années 90, Jack Lang, “populaire” auprès des jeunes pour avoir également été ministre de l’Education à partir de 1992 pendant une période de contestation estudiantine et lycéenne, regagne l’université de Paris X Nanterre où il fut muté une quinzaine d’années auparavant. Parallèlement, celui qui a été conseiller municipal, conseiller de Paris puis député concomitamment à son poste ministériel ne reprend pas son siège à l’Assemblée, où il a été élu en 1986, puis réélu en 1988 et en 1993. Cette année-là il sera jugé inéligible pour un an sur décision du Conseil constitutionnel, suite à des irrégularités dans les comptes de campagne. Il est maire de Blois jusqu’en 2000, mais abandonne son poste : il vise la mairie de Paris. Finalement, Lionel Jospin le rappelle au gouvernement.
Un comble ? Le signataire d’une pétition appelant à libérer des personnes accusées “d’attentat à la pudeur sur mineur”, et d’un communiqué de presse pour exprimer son soutien à l’acteur Robert de Niro, arrêté en 1998 en France pour une affaire de proxénétisme appelée Brumark-Bourgeois, hérite encore une fois du ministère de l’Education, juste après avoir réussi à apaiser les tensions au début de la décennie écoulée.
Il se maintient deux ans à ce poste et se concentre sur l’opposition avec le Parti socialiste, après sa défaite aux élections législatives de 2002. Le PS le nomme porte-parole national de sa campagne pour les régionales et les cantonales puis intègre la direction du parti pour mener le projet électoral en prévision des présidentielles de 2007.
Fervent défenseur du “oui” lors de la campagne pour le référendum pour une constitution européenne, il est donné candidat à la présidentielle mais ses primaires sont un fiasco teinté de polémiques intestines. Ses idées politico-fantaisistes, comme un ministère “de la Beauté et de l’Intelligence”, ne susciteront aucune adhésion. Dans un ouvrage publié en 2005, il propose de réduire le mandat présidentiel à 4 ans, d’instaurer le non-cumul des mandats et de supprimer le Sénat.
Au sein du PS, il ne fait pas l’unanimité et les sondages donnent déjà Jack Lang perdant face à Nicolas Sarkozy. Il renonce, non sans amertume à la primaire socialiste, au profit de Ségolène Royal, Dominique Strauss-Kahn et son compagnon de longue date, Laurent Fabius. Dans un ouvrage, il tirera à boulets rouges sur l’ancienne campagne de François Hollande, qui “n’a aucune expérience ni à l’international, ni dans un grand ministère”, estimant qu’elle n’a “rien à dire” et qu’elle ne peut “espérer devenir présidente uniquement grâce à son charme”. Il dénonce même une mainmise, ou une “privatisation” du PS par le couple.
“Abus sur mineur”… Pas sans consentement !
Il se rétracte finalement dans la publication de son livre, ce qui lui vaudra une affaire en justice. Mais Jack devient alors “conseiller spécial” pour la campagne de Ségolène Royal. Celle-ci est battue par Nicolas Sarkozy. Qu’à cela ne tienne, en bon opportuniste, il lâche le PS pour rallier le nouveau président, qui lui confie quelques missions, parmi lesquelles une réflexion sur la “modernisation” des institutions.
Une occasion pour Jack de reprendre ses idées de toujours, comme la suppression du poste de Premier ministre et la limitation à deux du nombre total des mandats présidentiels. Seul et contre tous les parlementaires socialistes, il défend, vainement, ses propositions à l’Assemblée
Parti sans tout quitter, revenu sans tout retrouver, il soutient la candidature de Dominique Strauss-Kahn à la primaire socialiste de 2011. Après l’arrestation de ce dernier pour agression sexuelle à New York, Jack Lang critique la justice américaine et son “lynchage”. C’est désormais une habitude, lui qui a soutenu Frédéric Mitterrand, Roman Polanski ou encore Woody Allen, accusés, tous, dans des affaires de pédophilie, d’abus sexuel sur mineur ou d’agression sexuelle.
La pétition de 1977 est (sûrement) une “connerie” comme il le dit, mais l’apparition de son nom à chaque scandale lié à la pédophilie, comme accusé ou comme soutien, est à peine croyable. En 2011, une autre affaire, liée, comme toujours, à des abus sur mineurs au Maroc, le rattrape. Jack Lang est associé à cet “ancien ministre français” dont parlait la police marocaine, sans que l’affaire, rapidement étouffée, n’en dise plus. Sauf, peut-être, des notes du même ancien chef des Renseignements généraux, qui cite nommément l’ancien ministre de la Culture qui aurait eu des relations sexuelles avec des petits garçons.
Député jusqu’à 2012, Jack Lang quitte la politique élective pour revenir à la culture. Cette fois-ci comme président de l’Institut du monde arabe, à partir de 2013. Comme sa carrière politique, les polémiques ne sont jamais loin. Outre une gestion peu efficace, qui coûte à l’Institut une perte sèche de 2,5 millions d’euros en 2015 accompagnée par une baisse sensible du nombre de visiteurs, le “bénévole” bénéficie de notes de frais dont le contenu est dissimulé.
En 2019, il n’est juste accusé que “d’abus de biens sociaux”, pour avoir reçu l’équivalent de près de 500 000 euros de costumes et pantalons du couturier italien Smalto, de 2013 à 2018. Des cadeaux jamais déclarés. Sa proximité avec des cercles impliqués dans des affaires d’abus sexuels sur mineurs refait surface en 2020 avec l’affaire Epstein et ses liens avec le trafiquant sexuel, puis un dîner à Paris avec Woody Allen…
Rien de moins invraisemblable que de le retrouver cette semaine dans les invités privilégiés d’Emmanuel Macron lors du diner de réception du président Xi Jinping à l’Elysée. Tout va bien.