Le gouvernement oppose-t-il agriculture et protection de l’environnement ? La question n’a cessé de se poser depuis le début de la crise agricole. Elle revient sur le devant de la scène avec l’arrivée devant les députés, en séance plénière à partir du mardi 14 mai, du projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture.
Sous la pression des tracteurs, le texte, qui était attendu pour le début d’année, a été remanié. Et s’est vu adjoindre un titre IV listant une série de mesures de « simplification ». C’est « un message de confiance au monde agricole dont l’activité sera libérée de normes et de contraintes devenues superflues », dit l’exposé des motifs de la loi. Et cela, « sans pour autant sacrifier à nos exigences de protection de la santé humaine, de protection de l’environnement », jure-t-il.
« Industrialisation toujours plus poussée »
Les associations de défense de l’environnement et de l’agriculture paysanne doutaient déjà de l’efficacité des mesures pour installer plus de paysans. Elles craignent qu’en plus, « l’environnement soit sacrifié au profit d’une industrialisation toujours plus poussée de l’agriculture », alerte Mélanie Veillaux chargée de communication de Greenpeace.
Dès l’article 1, on constate « une opposition entre agriculture et protection de l’environnement », déplore Laure Piolle, chargée des questions agricoles à France Nature Environnement (FNE). Il prévoit que l’agriculture soit déclarée d’« intérêt général majeur ». C’était une demande de la FNSEA, le premier syndicat agricole. Elle espère par exemple que, en cas de recours contre les mégabassines, cette notion fera pencher les juges administratifs en sa faveur. L’utilité de cette notion fait débat, car sa définition n’est pas claire.
L’idée est « d’irriguer les décisions juridiques », a confirmé le cabinet du ministre de l’Agriculture lors de la présentation du projet de loi début avril. Mais « on n’a pas pensé cela uniquement par rapport à l’environnement », se défendait-il également. « La notion juridique est floue, mais les intentions politiques sont très claires, observe Sandy Olivar Calvo, chargée de campagne agriculture et alimentation chez Greenpeace. Il s’agit de faciliter les projets de type mégabassine ou élevage industriel ».
La ministre déléguée auprès du ministre de l’Agriculture, Agnès Pannier-Runacher, l’a d’ailleurs confirmé dès fin février.
Des autorités moins indépendantes
C’est ensuite le titre IV qui concentre les « simplifications » du droit de l’environnement. L’article 13 prévoit d’ajuster les sanctions qu’encourent les agriculteurs en cas d’atteinte à l’environnement. Par exemple, si un agriculteur taille une haie en période de reproduction d’un oiseau rare, il peut être accusé de destruction d’espèce protégée et risque jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende. « C’est humiliant pour les agriculteurs, qui connaissent leur métier et la nature », a expliqué le cabinet du ministre, qui préfère « accompagner, expliquer, réparer si besoin, mais ne pas être dans une logique punitive ».
L’idée serait que ce soit l’administration, plutôt que le juge, qui gère ces situations. Un amendement déposé par le gouvernement précise qu’en cas de faits commis « sans intentionnalité », le préfet pourrait proposer un stage de sensibilisation à l’environnement ou une transaction pénale, c’est à dire l’abandon des poursuites pénales en échange du paiement d’une somme.
Une bascule du juge vers l’administration qui change tout, selon Laure Piolle, de FNE : « Quand la sanction est décidée par le préfet, la décision est moins indépendante. » C’est aussi, selon elle, une façon d’écarter les associations, qui ne pourraient plus se porter parties civiles devant le tribunal.
« Très peu de sanctions sont prononcées »
Et puis, « cela risque d’enlever des pouvoirs à la police environnementale, qui a besoin qu’une procédure pénale soit lancée pour investiguer », ajoute-t-elle. Tout cela alors que dans les faits, « le juge est garant de l’individualisation des peines. Il ne sanctionne pas de la même manière un agriculteur qui arrache une haie et un trafic d’espèces protégées », rappelle la spécialiste agricole. Même le cabinet du ministre de l’Agriculture le reconnaît, « très peu de sanctions sont prononcées ».
La Confédération paysanne demande le retrait de cette mesure. « C’est presque un droit à polluer pour les agriculteurs, dénonce la porte-parole du syndicat, Laurence Marandola. Nous pouvons être à la fois les meilleurs défenseurs et les pires destructeurs de l’environnement. »
Une vraie simplification pour les haies ?
L’article 14 du projet de loi met en place un « guichet unique », c’est à dire un interlocuteur unique, sans doute un dans chaque région, auquel les agriculteurs pourront s’adresser pour toutes les questions relatives aux haies. En plein cœur de la protestation, la complexité des différentes réglementations sur le sujet avait été érigée en symbole de normes qui étrangleraient les agriculteurs.
C’est donc aussi un symbole des « simplifications » promises. « Dans une loi d’avenir agricole, on parle enfin des haies de manière substantielle, se félicite Fabien Balaguer, directeur de l’Association française d’agroforesterie. Cela fait des années que l’on défend le guichet unique. »
Son travail est justement de convaincre les agriculteurs de remettre arbres et haies dans leurs parcelles. Pour lui, clarifier la règle pourrait aider à convaincre les agriculteurs que les haies ne sont pas qu’une plaie réglementaire. Mais la loi ne suffira pas, estime-t-il. « Il faut que les agriculteurs se l’approprient, détaille-t-il. Vulgariser, faire de la pédagogie sur les règles, mais aussi sur le rôle de l’arbre, de la haie, qui sont l’avenir de l’agriculture. En expliquant que ce sont par exemple des amortisseurs climatiques intéressants. »
D’autres sont moins cléments avec la mesure. Terres de liens estime que « l’arrachage des haies est facilité ». Même son de cloche chez Agir pour l’environnement, qui alerte : dans certains départements, « l’administration pourrait avoir à traiter plusieurs milliers de dossiers par semaine à certaines périodes de l’année ! Faute de moyens supplémentaires, il est certain qu’une demande d’arrachage formulée par un agriculteur ne recevra aucune réponse du préfet dans le délai légal imparti, valant ainsi autorisation implicite ».
Limitation des recours
L’article 15 est sans doute celui qui inquiète le plus les défenseurs de l’environnement. Là encore, le gouvernement veut faciliter la vie aux projets d’élevage de taille importante et aux mégabassines et retenues d’eau. Ces projets faisant souvent l’objet de recours des associations environnementales, le gouvernement veut accélérer les prises de décision du juge administratif. Un premier décret, paru vendredi 10 mai, réduit déjà les délais de recours.
Le projet de loi y ajoute une « présomption d’urgence », toujours dans l’idée de réduire le délai accordé aux associations et riverains pour former des recours. « Il s’agit de donner de la visibilité aux acteurs agricoles pour qu’ils sachent s’ils doivent poursuivre, adapter, abandonner un projet », a justifié le cabinet de Marc Fesneau. Une intention difficile à mettre en œuvre, avertissent les juristes, faute de moyens de la justice.
« Cet article nous donne surtout l’impression que l’intention du gouvernement est de faire des régularisations de ces projets », note Sandy Olivar Calvo, de Greenpeace. Et puis, cela « porte atteinte au droit de recours », avertissent en cœur la Défenseure des droits et le Conseil d’État.
Pour ce dernier, plutôt que de rendre la justice plus rapide, cela complexifie le droit, « à rebours des objectifs recherchés de simplification et de clarté de la norme ». Il souligne des « risques de constitutionnalité au regard notamment du principe d’égalité devant la justice ». Et propose donc de supprimer cet article.
Une recommandation qui n’a pas eu de succès pour l’instant. En pleine campagne des élections européennes, sur le délicat sujet de l’agriculture, le gouvernement est sans doute à l’écoute d’autres voix. Reste à voir lesquelles inspireront les députés.