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Des victimes des pesticides s’allient contre l’État en justice


16 mai 2024 à 16h16

Durée de lecture : 4 minutes

Un pour tous, et tous contre les phytos. Le cabinet d’avocats Huglo Lepage a lancé, début avril, une action collective inédite. Objectif : « Demander réparation à l’État pour les victimes non professionnelles des pesticides », selon la plateforme en ligne. « L’initiative n’est pas contre les agriculteurs, précise d’emblée l’avocate et ancienne ministre de l’Environnement Corinne Lepage. Nous voulons un régime d’indemnisation pour toutes les victimes. »

Depuis plusieurs années, les études s’empilent et le constat se précise : l’exposition aux pesticides nuit à la santé. Le cancer de la prostate, le lymphome malin non hodgkinien (un cancer lymphatique), et la maladie de Parkinson sont ainsi reconnus comme maladies professionnelles : depuis 2020, les agriculteurs atteints peuvent demander à être indemnisés. Plus de 530 dossiers ont d’ailleurs été déposés en 2022. Mais quid des familles vivant à côté des cultures traitées ?

Les habitants moins protégés que les agriculteurs

« Il n’est pas normal que les riverains n’aient pas la même reconnaissance, alors que, d’une certaine manière, ils sont encore plus vulnérables », fustige Corine Lepage. Tandis que la sécurité des agriculteurs répond à des règles précises lors des épandages — port de combinaison, délai de quarante-huit heures avant de rentrer dans un champ aspergé — les voisins, eux, ne bénéficient d’aucune protection, si ce n’est des zones dites de « non traitement », largement insuffisantes. Non sans conséquence : d’après une étude parue en 2022, plus il y a de vignes dans un rayon d’un kilomètre autour de leur maison, plus le risque de leucémie aiguë chez l’enfant augmente.

« Il est choquant que les riverains n’aient aucune indemnisation quand ils sont malades »

Pour l’avocate, « il est donc choquant que les riverains n’aient aucune indemnisation quand ils sont malades ». D’autant plus qu’il est souvent « très difficile, voire impossible » pour les personnes affectées de prouver le lien de causalité entre leur souffrance et l’exposition aux produits phytos. D’où le lancement de la plateforme Agir collectivement pour « unir les victimes ». « Elle doit aider à rendre la justice accessible à tous, et surtout permettre aux gens de pouvoir peser dans la balance », indique Madeleine Babès, également avocate au sein du cabinet.

Concrètement, il suffit aux personnes de s’inscrire et de fournir les documents demandés (certificat médical, justificatif de domicile, preuves des épandages). « Tous les riverains de zones d’épandages situées à moins de 150 mètres de leur lieu d’habitation » sont concernés, « dès lors qu’il y a un risque avéré pour [leur] santé ». En un mois et demi, une vingtaine de dossiers ont été déposés, « principalement de voisins de zones viticoles, dans l’Ouest et l’Occitanie, mais aussi des habitants des Hauts-de-France », précise Corine Lepage.

Les riverains ne sont protégés que par les zones dites de « non traitement », peu efficaces.
Wikimedia Commons / CC BYSA 3.0 Deed / Buntrabe

Des personnes atteintes de cancers, mais pas uniquement : « Nous avons reçu énormément de dossiers concernant des enfants », indique la juriste. À l’instar de Théo Grataloup, souffrant de malformations attribuées au glyphosate, les plus jeunes sont particulièrement vulnérables à une exposition — notamment in utero — aux produits chimiques. Dernier cas de figure, « des gens nous ont contactés parce qu’ils avaient très peur, et cela peut être considéré comme un préjudice d’anxiété ».

Le gouvernement envisage un dispositif

Les avocates espèrent réunir une centaine de dossiers d’ici la fin juin afin de lancer leur recours en deux temps. « Une première demande sera conjointement adressée au Premier ministre et au ministre de l’Agriculture puis, en cas de refus ou de silence, [il y aura] la saisine du tribunal administratif territorialement compétent », explique le site. Coût de la procédure pour un particulier : 230 euros.

Contacté, le ministère de l’Agriculture n’a pas réagi. Mais le gouvernement semble peu à peu prendre la mesure de la catastrophe en cours dans nos campagnes. Dans le nouveau plan Écophyto — pourtant très lacunaire en matière de réduction des pesticides — les autorités envisagent ainsi « après une étude de faisabilité », « la possibilité de mettre en œuvre et de financer un dispositif d’indemnisation des riverains ayant contracté une maladie d’origine non professionnelle, en lien avec l’exposition prolongée et répétée aux produits phytopharmaceutiques ».

Une ouverture qui conforte les avocates dans leur démarche : « Il est temps de mettre le sujet sur la table, insiste Corine Lepage. L’État doit réagir, sinon le dossier pesticides sera dans vingt ans l’équivalent du scandale de l’amiante. » Dans cette affaire, il s’est écoulé plus d’un demi-siècle entre les premières alertes scientifiques et l’interdiction du matériau toxique.



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