• mar. Oct 1st, 2024

Filets non conformes, poissons trop jeunes… Un poids lourd de la surpêche en procès


Narbonne (Aude), reportage

« Je n’étais pas là » ; « Je ne savais pas » ; « Je n’étais pas au courant ». Pendant près de quatre heures, sous les néons blafards du tribunal judiciaire de Narbonne (Aude), le numéro trois du syndicat de la pêche française, Bernard Pérez, a nié, inlassablement. Nié avoir volontairement capturé des poissons interdits à la vente ; nié les avoir cachés aux autorités ; nié, enfin, avoir cherché à s’enrichir en les commercialisant. À force de « non », cette figure de la pêche a érigé autour d’elle un mur lors d’un procès dont la décision a été mise en délibéré au 20 juin.

Cette forteresse de déni a rapidement suscité l’agacement de la cour et a semblé se craqueler face aux faits. « Ce tribunal n’a pas l’habitude des histoires de pêche, a reconnu la procureure. Mais il a l’habitude de la mauvaise foi. Et là, nous avons une belle démonstration de ce qu’est la mauvaise foi. »

Une parfaite connaissance des normes

Jeudi 16 mai, l’armateur de 54 ans comparaissait pour de nombreuses infractions au Code rural et de la pêche maritime, au Code pénal et au Code des transports. Il était notamment accusé d’avoir utilisé des filets de fond non conformes sur son chalutier de 25 mètres, l’Édouard-François, et d’avoir commercialisé pendant plus d’un an du merlu européen sous taille, c’est-à-dire trop jeune pour se reproduire et renouveler sa population méditerranéenne, qui s’effondre depuis quinze ans.

À ses côtés, se trouvait le capitaine de son navire, Johnny Grember, lui aussi poursuivi. « Ces histoires de fonds marins ne sont pas futiles, a rappelé la procureure. C’est la préservation de nos écosystèmes qui est en jeu. »

Dans la salle, un petit public de curieux et quelques journalistes, intrigués par le profil surprenant du prévenu. Depuis 2017, Bernard Pérez est président du Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins d’Occitanie, la principale instance représentative du secteur dans la région, mais aussi second vice-président du puissant Comité national des pêches maritimes et des élevages marins, équivalent halieutique de la FNSEA.

Des mandats qui font de lui l’une des principales voix de la pêche en France et auraient dû l’inciter, selon la procureure, à « donner l’exemple » en matière de respect des normes environnementales, qu’il est censé connaître sur le bout des doigts.

Attitude menaçante

Il a fallu un contrôle inopiné de l’Édouard-François, le 6 juillet 2022, pour montrer que l’armateur était loin d’être un modèle. Une fois les captures officielles du navire débarquées, la gendarmerie a découvert, dissimulés sous un tas de couvertures et de cirés, 168 kg de poissons juvéniles sous taille. Les merlus cachés mesuraient entre 11 et 16 cm, alors que la Commission européenne fixe leur taille minimale de capture à 20 cm. Des queues de baudroie pesant entre 30 et 60 grammes – soit le quart de leur poids habituel de commercialisation – ont également été trouvées à bord.

Lors de cette visite, les gendarmes ont par ailleurs observé que les mailles des chaluts de fond utilisés étaient plus fines que ce qu’autorisent les règles en vigueur, donc pas assez sélectives, que plusieurs membres de l’équipage — dont le capitaine, Johnny Grember — ne disposaient pas des qualifications nécessaires à l’exercice de leurs fonctions et que le journal de pêche électronique, où doivent être renseignés le nombre et l’heure des captures, n’était pas rempli correctement.

Confronté à ces éléments, Bernard Pérez, appelé pour venir assister au contrôle, aurait adopté une attitude « menaçante », selon les gendarmes. « Vous allez voir, je vais appeler Paris », « vous savez que j’ai des relations », aurait-il déclaré.

« On ne parle pas d’un ou deux poissons pêchés accidentellement »

L’exploitation des données de la criée de Port-la-Nouvelle (Aude) — que les gendarmes ne surveillent pas en continu — a permis d’établir, suite à ce contrôle, que la capture de poissons sous taille était loin d’être occasionnelle pour l’armateur. Entre le 1er mai 2021 et le 6 juillet 2022, un total de 4 639 kg de merlus juvéniles pêchés par l’Édouard-François ont été commercialisés, pour un peu plus de 22 000 euros de recettes. « On ne parle pas d’un ou deux poissons pêchés accidentellement », a souligné la procureure.

Un an plus tard, Bernard Pérez aurait récidivé. Le 7 août 2023, 24,5 kg de baudroies sous taille pêchées par son navire ont à nouveau été saisies par la police, cette fois dans un camion frigorifique filant vers l’Espagne. Un signe parmi d’autres, selon la procureure, du « sentiment de toute-puissance » de l’armateur, déjà condamné à quatre reprises à des amendes pour des faits similaires depuis le début de sa carrière, en 1996.

Port-la-Nouvelle (Aude), port d’attache du chalutier de Bernard Pérez.
Wikimedia Commons / CC BYSA 2.5 Deed / Oxam Hartog

D’une voix rocailleuse, les bras obstinément croisés sur sa chemise bleu layette, Bernard Pérez a rejeté chaque accusation. L’absence de diplôme de son capitaine ? « L’administration est dans l’incapacité de nous offrir une formation », a-t-il argué. Le maillage non conforme de ses chaluts ? « À force de travailler avec du sable et de la vase, ils gonflent. » Les cirés posés sur ses caisses de poissons ? Ce n’était pas pour les cacher, a-t-il juré, « c’est pour l’humidité ».

La présence répétée, sur les étals des marchés à poissons, de juvéniles provenant de son bateau ? « Si la criée a fait n’importe quoi… » Lui promet qu’il livrait ses prises sous taille à la halle à marée afin qu’elles y soient détruites. « C’est de la faute de tout le monde, sauf de Monsieur Pérez », s’est offusquée la procureure.

L’immobilisation du bateau requise

Patiemment, les magistrats et la partie civile — l’association France Nature Environnement Occitanie-Méditerranée (FNE) — ont tenté de creuser une faille dans ce bloc de granit. En lui rappelant que les poissons sous taille retrouvés sur son navire étaient pelés et étêtés, ce qui suggère qu’ils étaient bien destinés à la vente ; qu’un des matelots de l’Édouard-François avait confié, lors de son audition, qu’il avait reçu l’ordre de « laisser » ces caisses à bord, le jour du contrôle, en raison de la présence de gendarmes ; que Bernard Pérez, enfin, avait signé le règlement intérieur de la criée, qui stipule que le tri des captures relève de la responsabilité du producteur.

L’armateur n’a rien lâché. Plus surprenant : refusant l’image de « voyou de la mer », il a certifié s’engager au quotidien, dans le cadre de ses fonctions aux comités des pêches, pour « construire avec les scientifiques une pêche durable et soutenable ». « Son fils va prendre la suite. Pensez-vous qu’il pratique la politique de la mer brûlée ? », s’est interrogé son avocat, Charles Salies, après avoir longuement évoqué le parcours médical douloureux de l’armateur et les difficultés d’une activité « physiquement insoutenable ».

« Pêcheur, c’est un métier difficile. Mais ce n’est pas pour autant qu’on doit s’affranchir de la réglementation », a soutenu la procureure. « Tous les bateaux de pêche n’agissent pas comme ça », a également rappelé Olivier Gourbinot, juriste de FNE. En guise de réparation du préjudice écologique, l’association a demandé l’immobilisation de l’Édouard-François pendant un an et deux mois, ainsi que le versement de 50 000 euros à l’association à titre de dommages et intérêts.

Compte tenu du statut de récidiviste de l’armateur, le parquet de Narbonne a requis six mois de prison avec sursis, la confiscation de 384 000 euros, trois ans d’inéligibilité au sein des comités des pêches et l’affichage de la décision de justice à la criée de Port-la-Nouvelle pendant deux mois, aux frais de Bernard Pérez, « à des fins pédagogiques ». Il faudra attendre le 20 juin pour savoir si ces réquisitions seront suivies.



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