• sam. Sep 21st, 2024

« La sécheresse a défiguré nos paysages »


David Berrué est militant écologiste dans les Pyrénées-Orientales.


C’était un chêne vénérable. Des rives de la Castellane, il s’était faufilé au travers d’une faille séparant deux gros blocs de granit. Chaque année, il les repoussait un peu plus. Les guides qui encadrent la descente des gorges, l’été, surveillaient sa croissance et prenaient à témoin leurs clients : voyez la puissance du vivant. Sous sa pression, la moitié de la falaise finira par s’écrouler, doucement mais sûrement. Il n’a pas résisté à la sécheresse que subit le département, malgré la proximité de la rivière. Il n’est pas le seul.

En plaine, en montagne, la végétation souffre et meurt. Avec le printemps, alors que les massifs reverdissent tant bien que mal, des pans entiers de forêt gardent des teintes automnales, entre gris, noir, brun, roux. Sans que l’on comprenne pourquoi telle combe, telle ripisylve (la végétation qui borde les cours d’eau), tel versant, tel endroit plutôt qu’un autre n’a pas eu sa chance.

Comme si on avait pulvérisé du désherbant

Dans le Vallespir, les Aspres, sur les contreforts du Canigou, les stigmates de deux années sans précipitation sautent aux yeux. Les chênes verts, réputés increvables, parfaitement méditerranéens, ont grillé au soleil. Les chênes kermès ne sont pas à la fête. Pins maritimes, pins pignons, pins d’Alep et chênes-lièges n’ont pas mieux résisté. Dans les pentes, les sols desséchés s’effritent et ont laissé basculer les sujets les plus en porte-à-faux. Certaines zones sont uniformément roussies. C’est comme si on les avait pulvérisées avec du désherbant.

Dans certaines zones, comme ici près des cascades de Baoussous, à Céret, les arbres sont désormais roussis.
© David Berrué

Dans le Conflent, au-dessous du village de Nyer, des milliers de pins noirs et de pins sylvestres ont perdu la bataille. Leurs branches sont nues. Elles pointent vers le ciel, où ne passent plus guère de nuages, ou alors poussés par la tramontane, à 150 km/h, ou sous forme d’entrées maritimes brumeuses plutôt que pluvieuses. Le pin de Salzmann, une espèce locale, supposée plus résistante que les pins noirs d’Autriche, introduits par les forestiers pour lutter contre l’érosion au XIXe siècle, montre lui aussi des signes de faiblesse.

Sans prédateur, les chenilles processionnaires prospèrent

Il y a la partie visible du désastre et il y a celle qui ne l’est pas encore. Affaiblie par deux années de sécheresses hivernales et estivales, la végétation est la proie d’insectes, de bactéries et de champignons vidant de leur vigueur des arbres dont la verdure n’est plus que temporaire. En montagne, les chenilles processionnaires prolifèrent et tuent à petit feu les pins à crochets. Ces derniers hivers, elles ont encore gagné en altitude. À ce rythme, elles seront bientôt à plus de 2 000 mètres.

Rien ne permet d’en venir à bout. Excepté des insecticides à balancer depuis un hélico, ce qui favorise la survie des spécimens les plus coriaces et aggrave le problème, ou des méthodes de piégeage à installer manuellement pin après pin, ce que personne n’envisage. Il y aurait bien les mésanges bleues, ou charbonnières, qui, justement, mangent ce genre de choses. Mais de mésanges il n’y a plus, ou si peu. Parce que l’on a détruit leur habitat. Parce qu’on les a empoisonnées. Parce qu’elles se sont lassées, peut-être, de nous voir couler les Pyrénées catalanes sous le goudron et le béton.

Le paysage va changer, c’est une question de mois, de quelques saisons au maximum. Steppes, maquis, garrigues vont redessiner l’horizon. Une végétation rase, soufflée par le vent, va prendre la place, l’érosion des sols s’accélérer, les éboulements se multiplier. Les gens de l’Office national des forêts, en attendant, courent partout. Il faut dresser le bilan de la catastrophe. Inventorier les dégâts avec précision. Décider, en lien avec les pompiers, quoi faire de ces étendues de bois morts qui sont des bombes incendiaires à retardement.

La plaine du Roussillon transformée en dalle de béton

Les scientifiques, ici comme ailleurs, constatent un changement de régime climatique. On parle d’une modification des flux de masses d’air, avec moins de précipitations en provenance du sud-est. La goutte froide arrosant traditionnellement Catalogne du Sud et du Nord, en automne, reviendra-t-elle ? On désigne le réchauffement de la Méditerranée, dont l’évaporation devrait générer un minimum d’humidité, des nuages et donc des pluies locales. À moins qu’au survol de la plaine du Roussillon, bientôt transformée en dalle de béton, ces effets s’amenuisent ?

La plantation d’un cordon forestier d’un kilomètre de large, tout le long du littoral, saura-t-elle récréer un microclimat propice à l’atténuation des effets les plus violents du changement climatique ? Rien n’est moins sûr, même si cela serait forcément mieux pour les continuités écologiques, le stockage du carbone, le drainage des sols, plutôt que de continuer à urbaniser.

Il a plu, quand même, en avril. Le soulagement est palpable. Mais c’est un soulagement mesuré, informé des circonstances. Rares et discrets sont celles et ceux à parier que tout ceci n’était qu’une parenthèse, l’effet d’une conjoncture, et pas la nouvelle donne climatique à laquelle, désormais, il faut faire face. Parce qu’il a plu, sans doute, et même replu en mai. Sauf que pour les arbres, en Pays catalan, c’est trop tard.



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