20 mai 2024 à 15h44
Mis à jour le 20 mai 2024 à 18h02
Durée de lecture : 4 minutes
Cannes (Alpes-Maritimes), reportage
Deux pigeons atterrissent sur la rotonde blanche du Martinez. Il doit bien rester quelques miettes du déjeuner sur la terrasse de l’hôtel cinq étoiles. Les deux pique-assiettes n’ont pas le temps de picorer : redécollage d’urgence. Ils viennent d’être pris en chasse par une buse. Depuis quinze ans, le légendaire établissement de la Croisette fait appel à un fauconnier pour chasser les oiseaux nuisibles qui viennent embêter les stars pendant le Festival de Cannes.
Daenerys est à l’affût. Cette buse de Harris repère les pigeons en station sur les parasols ou de passage en vol. « C’est un prédateur naturel, explique le fauconnier Kilian Martel. Elle est choisie pour son comportement grégaire et sa sociabilité. » Les yeux tracent, la tête tourne. Daenerys repère l’ombre des deux pigeons sur la rotonde. Kilian Martel s’éloigne des verres. Il lâche : la buse fuse, les pigeons filent.
Après avoir chassé un pigeon, Daenerys revient se poser sur le gant du fauconnier.
© Laurent Carré / Reporterre
Le Martinez a été le premier hôtel de la Côte d’Azur à tester la méthode de l’effarouchement. C’était il y a quinze ans. « On se retrouvait avec énormément de pigeons, se souvient le directeur des opérations du Martinez, Gilles Bontems. Ils se ruaient sur les tables pour manger le reste des assiettes. C’est vite ennuyeux dans un hôtel de luxe. » Et aux serveurs de courir pour les effrayer. Désormais, ce sont les buses qui instaurent un climat de crainte. Les fauconniers sont aussi engagés périodiquement l’été. Ils ne ciblent pas les goélands car, espèce protégée, il faut des dérogations.
Éviter les tirs létaux
Le pigeon vit en ville. Il niche sur les corniches des hôtels, se réfugie dans le trou des façades, se cache sous les toits des immeubles. « C’est un animal domestique en errance, note Martine Pacaud, de l’association varoise Les Colombes du soleil. Il n’est pas une race protégée, mais il n’est pas nuisible. » Les stars ne sont pas les seules à éviter le pigeon. L’oiseau est décrié pour sa simple présence et ses nombreuses fientes. Certaines personnes développent même une phobie.
« Pourtant au départ, le pigeon avait symboliquement bonne presse avec Noé, le pigeon voyageur, le pigeon messager, rappelle la colombophile. Quand on s’est désintéressé de lui pour l’élevage, on n’a plus eu besoin de cette espèce, et on n’a pas géré. »
Des goélands et corneilles tournent autour de la buse pour l’effaroucher.
© Laurent Carré / Reporterre
Alors à Cannes, « il est recommandé de mettre en place des dispositifs les empêchant de se percher et de se nicher (grillager les ouvertures, poser des filets…) et de ne pas les nourrir (sous peine d’infraction) », édicte-t-on sur le site de la ville. « La LPO [Ligue pour la protection des oiseaux] préconise l’effarouchement, on veut éviter les tirs létaux », estime son directeur général Cédric Marteau. Cette technique est un « moindre mal » face à la stérilisation des œufs ou aux tirs d’oiseaux.
L’association Les Colombes du soleil s’oppose à la glu et aux piques. Mais l’effarouchement n’est pas la solution magique. « Ce n’est efficace que sur l’instant présent, dit son président Jean-Pierre Bourgon. Les pigeons ont compris que c’est éphémère. » Au Martinez, on assure que les effets se font ressentir jusqu’à une semaine après le passage de la buse. Jean-Pierre Bourgon préconise le pigeonnier urbain et la pédagogie « pour la cohabitation homme-oiseau ».
Daenerys, une buse de Harris, est âgée de 3 ans.
© Laurent Carré / Reporterre
Daenerys n’est pas revenue sur le bras du fauconnier. Elle s’est posée sur le toit de l’hôtel. Il faudra l’aide de la puce GPS et des sifflements du fauconnier pour la faire redescendre sur son avant-bras. La récompense ? Un bout de poulet. Daenerys a fait son premier vol sur la Croisette en 2022. Née en captivité en Espagne, elle a été élevée par ses parents jusqu’à la fin de la pousse des plumes. Elle a ensuite été sociabilisée à l’humain et entraînée au rappel, à la chasse au leurre, à la musculation, à la balade suivie.
C’est bientôt le dîner à Cannes. Le couvert est dressé. Un pigeon se pose sur la table. Daenerys veut chasser. Le fauconnier la retient. L’invité indésiré repart de lui-même. Le climat de crainte fonctionne sur la Croisette.