par Maria Fe Celi Reyna
Partie 1
Ce mois-ci, j’étais à Paris, une ville avec laquelle j’ai une très longue histoire et pour laquelle j’ai une affection particulière. La première fois que j’y ai marché, c’était en 1989. En 2004, je suis venu y vivre et je suis resté deux ans. La dernière fois que j’y suis allé, c’était en 2016.
La différence de cette visite est que je suis arrivée à la «ville lumière» par l’autre direction. Au cours des huit dernières années, j’ai vécu cinq ans et demi en Chine, et quatre d’entre elles sans quitter le pays. Si vous venez vivre en Chine (et sortez de la bulle des expatriés), que vous le vouliez ou non, votre perception du monde change à jamais et tout semble différent.
Paris vu de Shanghai est très différente de Paris vu de Lima.
Les transports en commun
Je suis arrivée à l’aéroport Charles De Gaulle. Quand j’ai réussi à sortir de son dédale mal balisé, je me suis dirigée vers la gare RER B, le train de banlieue, qui m’emmènerait au centre de Paris. La station est en travaux et les premiers résultats sont visibles. Ils donnent l’impression d’être arrivé dans une ville en voie de modernisation.
Cependant, quand je suis montée dans le RER B, la réalité m’a frappé. Le train était probablement le même que celui dans lequel j’étais 20 ans auparavant, lent et sale. À Châtelet-Les Halles, le centre névralgique de Paris, j’ai retrouvé plus de travaux. C’est là que j’ai réalisé qu’ils se préparaient pour les Jeux olympiques.
Je pensais que je passerais quelques jours au milieu de l’agitation au sujet des travaux, mais je me trompais. Les autres gares de Paris sont pratiquement les mêmes que celles où je voyageais quand j’y habitais, sauf plus anciennes, corrodées par l’humidité et sales. J’ai perdu le compte du nombre de fois où j’ai dû porter ma valise en raison du manque d’escaliers mécaniques et d’ascenseurs, ainsi que du nombre de fois où j’ai entendu le message demandant de faire attention aux pickpockets.
Et si je commence par la saleté, l’histoire ne s’arrête pas : les odeurs de latrines, les crachats sur le sol du métro, les gouttières sales, etc.
Le jour de mon arrivée, j’ai rencontré une amie rencontrée à Shanghai. Quand elle m’a dit au revoir, elle m’a dit avec le plus grand sérieux : «Occupe-toi de tes affaires». Elle a vécu ici et sait à quel point c’est sûr. Mes instincts de survie péruviens refont surface, mais maintenant que je sais que ce n’est pas normal de vivre comme ça, ils me coûtent plus cher.
Les rues
Le plus choquant était peut-être la pauvreté dans les rues parisiennes, principalement, car je sais qu’il y a quelques années, ce n’était pas comme ça. La pauvreté n’est pas nouvelle pour les Français, mais on voit que, maintenant, le système a débordé. On se promène le long de la rue centrale et commerçante de Rivoli et on rencontre des tentes et des gens dans les rues avec leurs affaires, sans nulle part où aller. Les gens qui mendient sont devenus quelque chose de normal et à seulement quelques mètres de la mairie.
Les années en Chine ont changé mes paramètres de normalité. En 10 jours, j’ai vu plus de pauvreté qu’au cours des cinq dernières années et demie, et que j’ai visité plusieurs villes de ce pays de taille continentale. En 2020, la Chine a éradiqué l’extrême pauvreté et bien que beaucoup aient rechuté pendant la pandémie, il existe déjà un système social qui les aide à se rétablir. Il y a des sans-abri, mais c’est minime et ils recevront bientôt des aides de l’État.
Macron a promis aux Français la libéralisation économique comme solution et, aujourd’hui, les résultats sont visibles : la pauvreté et les inégalités augmentent.
Selon la dernière étude de l’Institut national de la Statistique et des Études économiques (INSEE), publiée en 2023, 14,5% de la population française, en 2021, était en dessous du seuil de pauvreté. C’est 0,9% de plus qu’en 2019 ; tandis que la proportion de pauvres est passée de 18,7% en 2020 à 20,2% en 2021.
Cela se traduit par les effectifs des SDF («sans domicile fixe») qui ne cessent de croître. Selon la Fondation Abbé Pierre, 330 000 personnes sont à la rue. Cela représente une augmentation de 30 000 citoyens en un an, et deux fois plus qu’il y a dix ans.
Pour l’instant, ils blâment la pandémie et l’inflation. Personne n’y croit. Rien n’indique non plus que les politiques du gouvernement changeront. Il est révolu le temps de l’État-providence, qui considérait les gens comme le centre de ses politiques.
En pleine crise sociale, d’autres personnages attirent mon attention : policiers armés et militaires. Une parente me dit qu’après les attaques, c’est devenu nécessaire. Je réponds qu’il y a eu aussi des attentats en Chine et qu’il serait impossible de voir la même chose. Pour commencer, il est interdit à la police de porter des armes à feu et les militaires ne sont vus que le matin sur la place Tiananmen pour la cérémonie de lever du drapeau.
Elle resta silencieuse.
Je l’ai compris en 2016 lorsque les attentats étaient récents, mais en 2024 cela me semble dystopique. Oui, c’est exactement ce qu’ils disent sur la Chine.
Le retour
Au final, je me suis demandé si je n’avais pas exagéré et si Paris n’était pas si dangereux. Mon dernier dîner en ville était au McDonald’s de l’aéroport (oui, triste fin, mais quand ma mère a mal au dos, elle s’assoit à l’endroit le plus proche qu’elle puisse trouver et le reste obéit). Soudain, un touriste de quelque part en Asie du Sud a commencé à demander à une dame plus âgée (et blanche) de lui rendre son chargeur. Les employés sont intervenus dans l’altercation et la dame est partie en disant que c’était la faute de McDonald «d’avoir mis tant d’Arabes», et qu’elle a pris ce qu’elle a trouvé. Là, nous avons réalisé qu’elle n’était pas une dame qui allait voyager, mais se promenait dans l’aéroport en poussant le chariot et en volant tout ce qu’elle pouvait. Je n’ai pas réussi à voir si elle avait rendu le chargeur, mais j’ai vu le visage mécontent de l’employé de McDonald’s, un Noir, devant les insultes racistes. Je suis restée avec la certitude que je n’avais pas exagéré. Ce que j’ai vu n’était pas un cas isolé mais l’expression d’une ville en déclin et profondément raciste.
Je suis arrivée à Shanghai et j’ai pris le métro sans l’odeur de l’urine. Il avait l’air impeccable à côté du métro parisien. Sur tout le trajet, je n’ai chargé la valise qu’une seule fois pour le contrôle de sécurité du métro (et ils m’ont aidé). Je n’ai pas vu une seule arme à feu. Je ne m’inquiétais pas non plus des pickpockets. Encore une fois, je me sentais libre.
Shanghai est connue pour concentrer une élite libérale qui continue d’admirer l’Occident. Quelques jours après son retour, quelqu’un m’a dit : «Tu ne vas pas me dire que Shanghai est mieux que Paris». «Eh bien, si». Parfois, les Chinois ne réalisent pas à quel point ils sont chanceux.
Je ne sais pas quels sont les plans de la mairie de Paris pour les JO, mais la ville est très loin des standards des villes chinoises (et je risque de dire cela de nombreuses villes asiatiques). Ils devraient travailler à un «rythme chinois» pour améliorer la ville et même dans ce cas, le temps presse.
Très probablement, le Paris qu’ils présenteront au monde sera un maquillage pendant quelques semaines qui fera appel à la mystique d’une ville qui n’existe plus. En fait, on sait que le gouvernement municipal a un plan pour «réinstaller» les «SDF» dans différents endroits du pays pendant la durée des JO.
Si quelque chose comme ça se passait en Chine, ils auraient des centaines de pages écrites et des ONG dénonçant la «violation des droits de l’homme», mais c’est Paris.
Pour quelqu’un avec une si longue histoire avec la ville, comme la mienne, c’est vraiment dommage. Paris mérite tellement mieux.
Tout au long de ce parcours, une question me taraude : «Sont-ils conscient de la baisse de leur qualité de vie ?». J’ai l’intuition que non, mais ce sujet est mieux développé dans une prochaine chronique.
*
Paris 2024 : Cocktail de décadence et de propagande occidentale
Partie 2
J’ai terminé la première partie de cette chronique en me demandant si les Parisiens étaient conscients de leur propre décadence. Mon intuition est que non, parce que la propagande ne le permet pas.
Vivre en Chine vous sensibilise au rôle pernicieux de la propagande occidentale. Si vous sortez de votre bulle d’expatrié, tôt ou tard vous avez un «réveil» lorsque vous commencez à comparer ce qui se dit sur ce pays et la réalité. Certains se taisent pour ne pas aller à contre-courant car, tôt ou tard, ils reviendront vers l’Ouest.
D’autres, nous avons décidé de le dénoncer et en avons même fait un sujet de recherche et d’écriture. Alors, chaque jour qui passe, je m’interroge sur l’origine de ma surprise. Ce que j’ai vu à Paris, je le savais déjà.
J’arrive à la conclusion que, parlant en termes «borréliens» (NDT : du nom de Josep Borrell, ministre des Affaires étrangères de l’UE, dans les faits ministre de la Guerre de l’UE, qui à comparé l’UE à un jardin et le reste du monde à une jungle), il est très différent d’observer un fait de la «jungle» que d’être à l’intérieur du même «jardin». La cécité est beaucoup plus grave et c’était la première fois depuis mon «réveil» que j’y étais confrontée.
Une étincelle de résistance
Quelques semaines avant de me rendre à Paris, le livre de Emmanuel Todd «La défaite de l’Occident» a été publié. L’auteur est l’un des rares intellectuels qui survivent dans la décadence de la société française et c’est pourquoi il conserve encore le privilège de publier, même si cela va à l’encontre du récit hégémonique.
Todd, connu pour avoir prédit la chute de l’Union soviétique, analyse le processus de déclin occidental et sa dernière défaite avec le soutien de l’Ukraine, une nation qu’il a décrit, selon ses propres mots, comme «un pays en décomposition» bien avant le début de l’Opération militaire spéciale.
De plus, il critique le manichéisme occidental, l’aveuglement des dirigeants européens et le leadership qu’ils ont donné aux États-Unis.
Les apparitions médiatiques de Todd sont devenues virales et, malgré les tentatives des journalistes de l’interrompre, il a réussi à transmettre ses idées. C’est pourquoi il est devenu le premier en vente sur Amazon et j’ai demandé à un membre de ma famille de l’acheter pour moi, car j’avais peur qu’il soit épuisé avant mon arrivée. Je n’imaginais pas ce que j’allais trouver ensuite.
L’omniprésence de la propagande antirusse
J’arrive en France avec la promesse de me déconnecter de tout, mais les murs m’en empêchent. Presque à chaque station de métro, je trouve une affiche promotionnelle géante d’une bande dessinée sur l’histoire de Jérusalem, mais je résiste à l’acheter.
Par contre, ma faiblesse était l’hebdomadaire Le Point. Sur la couverture du numéro 2686, daté du 8 février, il y avait un court plan moyen du président Vladimir Poutine, avec le titre «Si Poutine gagne…». J’ai acheté le magazine. Cela ne vaut pas la peine d’y consacrer plus que cette ligne car c’était plus ou moins la même chose.
En fin de compte, j’ai décidé d’acheter la bande dessinée susmentionnée. Je suis allée à la FNAC, l’un des magasins les plus populaires de France, et, avant de le trouver, je suis tombée sur les mécanismes de propagande en action.
Je suis arrivée à la section géopolitique en premier. Sur les étagères proposant les livres les plus remarquables, je suis tombée sur un certain nombre de titres qui donnaient l’impression que la France était attaquée par la Russie. Certains des plus frappants étaient : «Le logiciel impérial russe», «Poutine contre la France», «Allô, Paris ? Ici Moscou, immersion au cœur de la guerre de l’information» et «La guerre russe ou le prix de l’empire. D’Ivan le Terrible à Poutine».
Les livres sur le président ukrainien avec des titres propres de films hollywoodiens ne pouvaient pas non plus manquer : «Vladimir Zelensky. L’Ukraine dans le sang» ou «Nous gagnerons. Vladimir Zelensky et la guerre en Ukraine».
Bref, de la pure propagande déguisée en production universitaire ou, en d’autres termes, des informations partiales présentées comme si elles étaient impartiales.
Il n’y avait aucun signe du livre de Todd. Jusqu’à ce que, lorsque je me suis retournée pour continuer à chercher les bandes dessinées, par hasard, j’ai trouvé un rayon, loin des lumières, plein d’exemplaires.
Je ne sais pas quels ont dû être les critères des gérants du magasin pour placer l’un des livres les plus vendus à l’abri des regards des consommateurs. Le livre était le premier en vente sur Amazon et les présentations de l’auteur sont devenues virales, mais apparemment – notez le sarcasme – ils ne l’ont pas jugé assez intéressant pour être placé à côté des titres qui présentent Poutine comme un empereur maléfique qui est sur le point de les envahir.
Enfin, je suis arrivée à la section des bandes dessinées et en cherchant le livre, je suis tombée sur un ouvrage intitulé : «Wagner, l’histoire secrète des mercenaires de Poutine». Quand on est sensibilisé à la propagande, on se sent vraiment envahi. Il ne suffit pas de livres universitaires, il faut aussi les insérer dans les loisirs. Quand j’ai trouvé le livre que je voulais, j’ai quitté le site le plus rapidement possible.
Tous les jours, dans la maison où je logeais, ils regardaient la télévision. Je ne sais pas s’il s’agissait d’un documentaire ou un reportage, mais son titre était : «La Russie malade de sa guerre». J’avais l’impression d’être dans un labyrinthe dont la sortie était mon vol de retour vers Shanghai.
Le loto de la propagande
Malgré l’omniprésence de la propagande antirusse, il y a toujours des espaces pour les autres.
Dans la même FNAC, j’ai trouvé deux livres sur le 7 octobre dernier en Palestine occupée. J’ai lu les titres de type sionistes et je n’ai pas osé les relire de peur d’endommager mon foie.
La propagande anti-chinoise n’est pas loin derrière. À travers plusieurs stations de métro, je suis tombée sur de grandes annonces de la tournée de la compagnie de danse Shen Yun, composée de membres de la secte anti-science Falun Gong (NDT : Je me disais bien que leurs danses manquaient de drapeaux rouges, les vrais danses chinoises cela ressemble à ça), interdite en Chine et qui a réussi à construire un empire médiatique aux États-Unis. Aujourd’hui, c’est la principale source des canulars les plus grossiers sur le pays où je réside.
La compagnie se produisait pour la deuxième année consécutive sur différentes scènes en France. En me renseignant sur la réception en 2023, je suis tombé sur des commentaires plus négatifs. De toute évidence, son intention n’était pas de gagner de l’argent avec le spectacle.
J’ai eu le sentiment que la propagande anti-Chinoise est forte, mais ce n’est pas «à la mode». Ils me montrent des commentaires innocents comme : «En quoi le crédit social est-il un mensonge si tout le monde en parle !», ou un «Je ne l’aurais pas imaginé», lorsque je commente que les Ouïghours, ainsi que toutes les minorités ayant leur propre langue, étudient à la fois le mandarin et leur langue maternelle à l’école.
Je sais très bien d’où ils viennent. Tant de mensonges ont été transformés en vérité sans que personne ne puisse les contester.
Cerise sur le gâteau, en descendant la rue de Rivoli, j’ai croisé des partisans du Conseil national de la Résistance iranienne, un groupe dissident considéré comme l’aile politique des Moudjahidines du Peuple d’Iran (OMPI). À Paris, il y a de la place pour tous les dissidents.
En dix jours, je suis tombée sur une propagande anti-russe, anti-palestinienne, anti-chinoise et anti-iranienne. Je me sentais comme dans un loto qui, au lieu de chiffres, chantait des pays que les Occidentaux pensent autoritaires et arriérés. Je parie qu’avec quelques jours de plus, il le complèterait avec Cuba, le Venezuela, la Syrie et la République populaire démocratique de Corée.
Propagande et décadence
Dans l’une de ses vidéos lors de sa visite en Russie, Tucker Carlson a déclaré qu’il se sentait «radicalisé» Je sais que le journaliste était sincère car cela arrive à beaucoup d’entre nous qui viennent en Chine. Une fois que vous savez qu’il est humainement possible de sortir 100 millions de personnes de l’extrême pauvreté en huit ans, vous regardez en arrière l’environnement dans lequel vous êtes né et avez grandi, entouré de misère, et votre sang bout. Vous savez qu’il n’y a rien pour le justifier.
Par conséquent, pour éviter la radicalisation, la propagande est nécessaire. Il est plus facile de maintenir la population soumise lorsque vous lui faites croire que le reste du monde est un endroit horrible et dangereux. Ils peuvent s’énerver contre le système et le critiquer, mais ce n’est que lorsqu’ils sortent de leur bulle et voient comment ils ont été bernés qu’ils se radicalisent.
Pour cela, les moyens ne suffisent pas. Il doit être infiltré dans tous les domaines de la vie, en particulier dans le milieu universitaire. Ce sont les scientifiques en sciences sociales et humaines qui donnent le «certificat» de crédibilité.
Paris est un cocktail de propagande et de décadence. Au lieu de faire face à la réalité, les Parisiens vivent dans une bulle où on leur apprend à mépriser toute société qui ne leur ressemble pas. Ils croient que la crise du «jardin» est normale, mais que c’est mieux que d’être dans la «jungle». Ils ne se rendent pas compte que plus que dans un «jardin», ils vivent sur une «île».
Bien qu’il y ait des lueurs de résistance, comme le livre de Todd, ils sont trop petits pour lutter contre le système qui les éteint très facilement. L’avenir est sombre, car, à part une révolution, cette France dont beaucoup d’entre nous ont tant appris, a le temps compté et il semble qu’il n’y ait aucun moyen pour sa société de réagir.
source : Le Grand Soir