Sur le papier, la plage d’Illien, au creux du Finistère, a tout du paradis : une bande de sable blanc liserée d’eau turquoise, bordée par des falaises couvertes de fougères. Elle se situe pourtant parmi les dix plages les plus régulièrement polluées de France, selon un classement établi par Eau & Rivières de Bretagne et publié le 25 mai. L’association estime que l’eau n’est pas suffisamment saine dans 20 % des plages bretonnes. Une situation attribuable, selon elle, à l’élevage intensif.
À l’origine de ce classement, il y a une impression : celle, partagée par plusieurs surfeurs et baigneurs fréquentant les plages de la mer d’Iroise, de souffrir plus souvent que la moyenne d’otites et de conjonctivites. « Ces plages étaient polluées très souvent, et pourtant leur place dans le classement sur la qualité des eaux de baignade s’améliorait tous les ans », raconte le vice-président d’Eau & Rivières de Bretagne, Christophe Le Visage.
L’association a donc mené l’enquête. En tirant le fil, elle s’est rendu compte que l’Agence régionale de santé (ARS) Bretagne avait commis des erreurs statistiques et écarté — à tort — des épisodes de pollution majeurs de son classement des eaux de baignade, gonflant ainsi artificiellement la note de certaines plages. Cette découverte a valu à l’ARS d’être condamnée en juin 2023 par le tribunal administratif de Rennes.
88 plages déconseillées, 21 à éviter
Eau & Rivières de Bretagne ne s’est pas arrêtée là. À partir des résultats d’analyses des eaux de baignade récoltés par les autorités et publiés sur le site de l’Agence européenne de l’environnement, l’association a décidé d’établir son propre classement, « ciblé sur les besoins de l’usager », explique Christophe Le Visage.
1 853 plages françaises ont été étudiées par l’association, qui a ensuite focalisé son analyse sur le cas spécifique de la Bretagne. 88 des 566 plages de la région sont classées « déconseillées » et 21 « à éviter », en raison de la présence récurrente d’entérocoques intestinaux et de la bactérie intestinale E. coli dans la mer, à des taux considérés comme « moyens » ou « mauvais » par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). L’eau de baignade du reste des plages bretonnes (soit 80 % du total) est d’excellente qualité ou sans risque, tient à saluer Christophe Le Visage. « Mais il y en a quand même un cinquième qui ne sont pas bonnes. »
Voici la liste des plages bretonnes classées comme « à éviter » :
- Finistère :
– Illien (Ploumoguer)
– Porsmoguer-Kerhornou (Ploumoguer)
– Toul An Ouch (Plougoulm)
– Plage du Moulin de la Rive (Locquirec)
– Bourg (Porspoder)
– Pors Lous (Telgruc-sur-Mer)
– Treompan (Ploudalmézeau)
– Corn ar Gazel (Saint-Pabu)
– Pors An Eis Vinis (Lanildut)
– Lerret (Kerlouan)
– Château (Landunvez)
- Côtes-d’Armor :
– Tournemine (Plérin)
– Saint-Laurent – Les Nouelles (Plérin)
– Baie de la Vierge – Pont Roux (Ploulec’h)
– Les Quatre vaulx (Saint-Cast-le-Guildo)
– Porz Garo (Trélévern)
– La Banche (Saint-Jacut-de-la-Mer)
– Le Bourd nord (Saint-Michel-en-Grève)
– Gouermel (Plougrescant)
- Ille-et-Vilaine :
– La Hoguette (Saint-Malo)
– Le Mole (Saint-Malo)
La méthodologie utilisée par l’association diffère de celle de l’ARS, selon qui 98,1 % des plages bretonnes « présentent une eau répondant aux exigences de qualité en vigueur ». Plutôt que de recourir à des outils statistiques en s’appuyant sur les résultats d’analyses des paramètres bactériologiques, comme le font les autorités, l’association a analysé chacun des prélèvements réalisés sur le littoral au cours des quatre dernières années.
« Conjonctivite, otite, gastro-entérite… »
Si 95 % ou plus de ceux effectués sur une plage sont « bons » — au regard des critères de l’Anses — et qu’aucun prélèvement « mauvais » n’y a jamais été réalisé, ladite plage est classée dans la catégorie « recommandée » ; entre 85 et 95 % de prélèvements « bons », elle passe dans la catégorie « sans risque » ; entre 70 et 85 %, elle devient « déconseillée ». Si moins de 70 % des prélèvements effectués sont satisfaisants, Eau & Rivières de Bretagne considère que la plage est « à éviter ».
Les personnes qui se baignent dans les deux dernières catégories de plages ont davantage de chance d’être exposées aux « maladies en “ite” : conjonctivite, otite, gastro-entérite… », signale Christophe Le Visage. Pour un adulte âgé de moins de 60 ans et non immunodéficient, le risque est très faible, précise-t-il. « Mais pour les populations fragiles, en particulier les petits enfants que l’on voit parfois patauger dans les ruisseaux situés sur les plages, le risque est sévère. »
L’élevage intensif dans le viseur
D’après l’association, les stations d’épuration ne seraient responsables que d’un nombre réduit de contaminations en Bretagne. Selon Christophe Le Visage, environ deux tiers des eaux de baignade polluées le seraient à cause de l’élevage intensif. Le vice-président d’Eau & Rivières de Bretagne en veut pour preuve la localisation des plages « déconseillées » et « à éviter » : « Elles se concentrent sur la côte nord, où l’urbanisation est beaucoup moins dense qu’au sud, précise-t-il. Pour l’essentiel, ce sont des petites plages situées à l’exutoire de cours d’eau, et qui sont systématiquement polluées quand il pleut. L’explication vient donc du bassin versant. Et qu’est-ce qu’il y a sur le bassin versant ? Peu d’habitats mais beaucoup, beaucoup d’élevages. »
La Bretagne concentre, à elle seule, 57 % des porcs, 31 % de la volaille et 11 % des bovins français. Le département des Côtes-d’Armor, au nord de la région, comptait en 2021 pas moins de 2 438 millions de porcs… soit un cochon par habitant. Ces animaux sont souvent entassés par milliers dans d’immenses fermes-usines, d’où ils ne voient jamais le jour. Leurs excréments sont stockés dans des fosses à lisier où fleurissent les bactéries. « Quand l’administration l’autorise, le lisier est épandu sur les champs pour servir d’engrais, raconte Christophe Le Visage. À la première pluie, tout ruisselle jusqu’à la mer. »
« C’est dégueulasse » : à Landunvez, nouvelle pollution du ruisseau qui traverse la plage de Penfoul
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Il cite en exemple Penfoul, une plage aux faux airs de lagon bien connue des surfeurs bretons. Le site, traversé par un ruisseau, est situé à quelques kilomètres de la mégaporcherie Avel Vor, qui produit 27 000 cochons charcutiers chaque année. La plage est « déconseillée » par Eau & Rivières de Bretagne en raison des fréquentes pollutions qui y sont constatées. Il y a à peine une dizaine de jours, le 13 mai, un liquide a teinté de marron ses eaux turquoise, rapporte le Télégramme. La concentration bactériologique, mesurée en laboratoire à l’initiative d’un habitant, dépassait très largement les seuils de tolérance sanitaire.
Contactée, l’Union des groupements de producteurs de viande de Bretagne — le syndicat qui fédère les organisations de producteurs de viandes porcine et bovine dans la région — n’a pas répondu aux sollicitations de Reporterre.
La première chose à faire pour retrouver des plages saines serait de « reconnaître que le problème existe », insiste Christophe Le Visage. Une piste pourrait selon lui être de stériliser le lisier avant de l’épandre ; l’association recommande également d’interdire les apports d’effluents d’élevage sur les bassins versants des plages régulièrement polluées, et de privilégier dans ces zones le pâturage, plutôt que l’élevage hors-sol qui nécessite des épandages. Le problème des algues vertes n’a été pris en compte par les autorités qu’après des dizaines d’années d’alertes, déplore le vice-président d’Eau & Rivières de Bretagne. « On ne peut pas encore attendre trente ans. »