• dim. Sep 22nd, 2024

La montagne n’est pas un parc d’attraction pour riches !


Aujourd’hui, la montagne se like comme n’importe quel produit marchand. Ses cimes éthérées sont la nouvelle proie de notre hubris, de nos désirs de conquête et de performance. Le sauvage est devenu instagrammable. Un lieu de mise en scène et d’ego.

On a appris cette semaine que le youtubeur de 22 ans Inoxtag aurait réussi à gravir l’Everest. Un défi qu’il s’était lancé comme un grand jeu, une forme de dépassement sportif pour la modique somme de 1,2 million d’euros. Au même moment, des embouteillages gagnaient les sommets himalayens. Le Népal a délivré près de 500 permis en 2024 pour l’ascension de l’Everest malgré les risques encourus. Les files d’alpinistes s’enchaînent le long de la paroi. Avant même d’atteindre le sommet, 40 000 personnes se massent désormais chaque année au premier camp de base, à 5 300 mètres d’altitude, comme nous le rappelions en mars 2023.

Les logiques du néolibéralisme à son paroxysme

La haute montagne est devenue le parc de loisir des ultrariches. Le lieu où ils déploient leurs nouvelles lubies destructrices et polluantes. Les premiers de cordée y poussent les logiques du néolibéralisme à son paroxysme. Pour un selfie sur le toit du monde, ils sont prêts à abandonner toute forme de responsabilité collective : ils transforment la montagne en décharge, abandonnent leur matériel, leurs déjections et même les cadavres de leurs compagnons qui n’ont pas résisté à cette épreuve physique extrême.

Qu’il semble loin le temps des Élisée Reclus et des amoureux sincères de la montagne. Le temps de la contemplation paisible et de la mesure. Dans son Histoire d’une montagne (1880), le géographe libertaire racontait sa passion et son respect pour ces espaces infinis, ces chaos de roche et de glace. « Nous vivons comme des pucerons sur l’épiderme d’un éléphant », écrivait-il, avant d’inviter à l’humilité.

Il serait bon aujourd’hui de s’en rappeler. Dans La Part sauvage du monde (Seuil, 2018), la philosophe Virginie Maris s’insurge contre l’idée que chaque espace naturel devrait être désormais appropriable. Avec ce récit finalement éculé, cette triste répétition du fantasme de toute-puissance, l’humanité a aboli la Terre comme altérité.

Nous ne sommes pas partout chez nous

« L’idée que la Terre tout entière s’étende, disponible, habitable, appropriable, est une idée si étrange qu’elle pourrait être le produit d’un esprit malade », affirme-t- elle, avant d’ajouter : « Il faut savoir habiter mieux la Terre, plus sobrement, avec davantage de bienveillance pour les vivants non humains et de soin pour les paysages. Mais il faut peut-être aussi accepter de se limiter, restreindre notre territoire ».

Il s’agit de lutter contre l’habitation totale et de borner l’empire humain. Nous ne sommes pas partout chez nous. Nous n’avons éthiquement pas le droit d’absorber la nature et de l’aménager de toute part.

Nos récits d’aventures doivent changer

C’est peut-être là la leçon des écologistes. Derrière l’apprentissage de l’humilité se joue aussi une question d’émancipation. On ne se libère jamais seul. C’est dans un lien charnel avec les éléments, en cohérence et en attention avec le vivant, que l’on pourra construire une société meilleure. Et non pas dans son écrasement.

Dans son dernier livre, L’inexploré (Wildproject, 2023), Baptiste Morizot nous enjoint à changer nos mythes et nos récits d’aventures. À l’heure de l’Anthropocène, à l’époque où les glaciers fondent et où les roches se détachent sous le coup du réchauffement climatique, notre imaginaire doit changer. Quel sens y a-t-il à vouloir se surpasser dans un monde en voie d’effondrement, dans un monde qui se désagrège ?

Nous devons retrouver de l’émerveillement ailleurs. « L’inexploré ne se situe plus dans les terres lointaines et désertes, décrit Baptiste Morizot. L’inexploré, ce sont les tissages des vivants entre eux et avec nous, sous nos pieds, dans leurs dimensions éthologique, écologique et évolutionnaire, historiques, sociales et politiques. L’inexploré, ce sont les relations. Dans et avec le vivant ».

« Débelliciser, déphallocratiser, désexotiser les affects exploratoires »

Les affects exploratoires portés par l’Occident et la modernité sont destructeurs. L’aventurier est l’éclaireur du colonialisme et de l’impérialisme. Il suffit de voir aujourd’hui comment sont traités les sherpas, prêts à mourir pour le bon plaisir de leurs clients fortunés. Alors, il est temps de « débelliciser, déphallocratiser, désexotiser et démocratiser l’affect exploratoire », selon les mots de Baptiste Morizot, pour le réaffecter ailleurs. Le faire réatterrir, en somme. Dans l’infiniment petit, la douceur du quotidien, la curiosité face à la puissance vibrante du vivant. Regarder la montagne non plus de haut, mais depuis notre place réelle. En bas, depuis la gangue terrestre.

Cette préoccupation émerge au sein des luttes écologistes. En occupant le glacier de la Grave contre un projet de téléphérique, l’automne dernier, les Soulèvements de la Terre ont affirmé que tout territoire n’avait pas vocation à être aménagé. Dans un film en cours de création, le youtubeur, Vincent Verzat, appelle lui aussi à réenchanter notre regard. Il invite à partir à la découverte du vivant en bas de chez soi, dans les interstices qu’on lui laisse. Aller à l’aventure au pas de sa porte et partir à l’affût.



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