Lille (Nord), correspondance
Si vous sortez en ce moment, prenez garde : vous pourriez, par inadvertance, écraser un être innocent et tout gluant. Ces derniers jours, les escargots, excités par l’humidité ambiante, s’exhibent en mode « Festival de Cannes ».
Une extraversion qui plaît à Louis Bronne, spécialiste en malacologie — l’étude des mollusques — pour l’association belge Natagora : « Le temps est propice à l’observation et à la production d’escargots. Cela dépasse ce que l’on a pu connaître les années précédentes. Ces espèces ont besoin d’humidité pour vivre, car leur peau a besoin d’être humidifiée en permanence, à l’exception de quelques espèces vivant en milieu sec. »
Ce que l’hélicicultrice bio Myriam Grouselle confirme. « C’est une année propice, on a de l’humidité, peu d’amplitude thermique et pas de gel depuis longtemps, de la douceur et pas trop de vent. Aussi, l’escargot n’aime pas l’excès d’humidité, il a besoin d’eau et de chaleur en quantité modérée », explique l’éleveuse d’escargots à Hénin-sur-Cojeul (Pas-de-Calais).
Plusieurs espèces observables
Une balade à la faveur d’un soir de pluie vous fera rencontrer un escargot appartenant à l’une des quatre espèces suivantes : « Le plus grand, c’est l’escargot de Bourgogne, un monstre par rapport aux autres. Le petit-gris est aussi très présent dans les zones urbanisées et les villages, détaille Louis Bronne. Les escargots des haies et les escargots des jardins sont les deux escargots classiques, ce sont les petits qu’on trouve dans les jardins. »
Dans le Nord et en Belgique, vous pourrez, avec un peu de chance, trouver deux autres espèces relativement rares. « Seules deux espèces en Belgique ont la taille des grands. L’hélice cerise, un bel escargot jaune avec de petits points noirs, que l’on trouve dans les haies, souvent près des orties, et surtout en Wallonie. L’autre, c’est l’hélice des bois, un bel escargot, presque aussi grand que le petit-gris avec une belle coquille marbrée. Sa bave est totalement liquide, ce qui montre qu’il a besoin de milieux humides. »
Si vous souhaitez réellement observer les escargots, il faudra être très attentif. « Le commun des humains repère les espèces qui font plus de 1 cm, mais la plupart sont plus petits, voire mesurent moins de 4 mm, précise le spécialiste en malacologie. En Belgique, un site internet permet à n’importe qui d’encoder ses observations. En France, dans le cadre de l’opération escargots lancée l’année dernière, il est également possible d’accomplir une telle démarche. »
Climat favorable aux nouvelles espèces
En ce moment, nos bons vieux escargots de Bourgogne — lesquels ne sont d’ailleurs pas originaires de Bourgogne, mais ont été amenés en France par les Romains — prospèrent, et leur population ne semble pas avoir diminué récemment. Toutefois, au vu des faibles moyens mis en place pour la recherche, difficile d’avoir des données précises. « Mon impression est que l’escargot de Bourgogne se porte très bien, le petit-gris également. »
De nombreuses espèces venues du Sud ont néanmoins migré récemment vers des contrées septentrionales. « On observe des espèces méditerranéennes qui se maintiennent en Belgique. Le réchauffement climatique est favorable à l’installation d’espèces plus méridionales. Certaines sont apparues récemment, par exemple un escargot carnivore du sud-est de l’Europe arrivé en 2022. On a ajouté pas loin de 20 nouvelles espèces à une liste de 120 en Belgique [1]. C’est énorme. »
« On a ajouté pas loin de 20 nouvelles espèces »
Le risque est de voir arriver des espèces invasives nocives pour l’agriculture, mais aussi des escargots d’eau douce vecteurs de maladies. « Les escargots terrestres à problèmes sont issues de milieux tropicaux, et pourraient poser des soucis en zone méditerranéenne », estime Louis Bronne.
Lequel s’inquiète de voir cette mutation ne pas être prise au sérieux. « La liste des espèces invasives ne prévoit pas tous les cas : on a repéré des coquilles d’espèces asiatiques arrivées avec les pierres [de construction], je me suis aperçu que ces espèces posaient d’énormes problèmes en Chine et au Vietnam [comme de ravager les cultures ou d’être porteurs de parasites]. Personne n’a anticipé qu’elles arriveraient ici, elles ne sont donc pas sur la liste des espèces invasives. Le risque existe, on n’imagine pas ce que cela pourrait donner », soupire Louis Bronne.
Toutefois, ce climat plus propice aux escargots n’enlève pas les dangers qui les guettent, notamment en raison des activités humaines : « Les espèces en danger ne sont pas celles des jardins, ce sont celles liées à des milieux plus rares », précise Louis Bronne. Comme le bulime montagnard (Ena montana), qui ne supporte pas les coupes rases.
Le précédent des limaces
Cousines des escargots, les limaces — lesquelles ne sont jamais que des escargots sans coquille — ont été remplacées par d’autres dans un passé pas si lointain.
« Si vous rencontrez des personnes de plus de 50 ans, elles ont connu des limaces d’une autre espèce : arion rufus a été remplacée par arion vulgaris [appelée limace espagnole]. L’espèce du Sud a remplacé celle du Nord sans que personne ne s’en rende compte, explique Louis Bronne. Or, ce ravageur pose des problèmes à la biodiversité [il se reproduit très vite et devient envahissant]. Lors de mes observations, je trouve 3 arion rufus, surtout dans les forêts, pour 97 arion vulgaris. » En sera-t-il de même pour les escargots ?