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Face à la sécheresse, un mégaprojet pour pomper le Rhône


24 mai 2024 à 09h23
Mis à jour le 24 mai 2024 à 18h23

Durée de lecture : 4 minutes

Pyrénées-Orientales, reportage

« Ce que vous vivez, c’est ce qui nous attend. » Le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu était en déplacement à Perpignan, le 22 mai. Dans les Pyrénées-Orientales, la situation est rude. Après deux années de sécheresse consécutives, les nappes ne se sont pas rechargées, les cours d’eau sont secs, les forêts roussies au sortir de l’hiver et douze communes sont déjà privées d’eau potable, de manière totale ou partielle.

Le gouvernement entend donc répondre à la crise, et « faire du territoire des Pyrénées-Orientales un démonstrateur des solutions et des processus d’adaptation », a précisé le ministre. Autrement dit : pour avoir une idée de la manière dont la France va réagir aux tensions sur l’eau dans les années à venir, il faut s’intéresser à ce qui se passe dans les Pyrénées-Orientales.

Si le ministre a mentionné « la mobilisation des acteurs du territoire » pour faire des économies d’eau, l’essentiel des annonces a porté sur des financements d’infrastructures, à hauteur « au minimum » de 10 millions d’euros, financés au moins pour moitié par l’État par l’intermédiaire de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse. L’État s’apprête aussi à investir par le biais du ministère de l’Agriculture, la Caisse des dépôts prévoyant de mettre en place des « aquaprêts » permettant d’emprunter sur soixante ans pour des projets liés à la gestion de l’eau.

Nouveau mégaprojet

Si le ministre a commencé par parler chiffres, c’est que les projets retenus sont globalement coûteux. D’abord, trois installations pour faire de la réutilisation des eaux usées (Reut) à Argelès-sur-Mer, Saint-Cyprien et Canet-en-Roussillon : « C’est pas la solution miracle, sauf que quand on est au bord de la mer, on n’a aucun intérêt à rejeter [l’eau] dans la mer. » Les quatre autres mesures portent sur l’amélioration des infrastructures d’acheminement d’eau, notamment en traquant les fuites et en installant une « télégestion à la parcelle ».

Christophe Béchu sur la plage de Canet-en-Roussillon, le 22 mai 2024.
© Nicolas Celnik / Reporterre

Mais le gros des annonces concerne surtout un mégaprojet dont les études de faisabilité seront rendues « au plus tard fin 2025 », a annoncé le ministre : la création d’un nouveau réseau de canaux en extension d’Aqua Domitia, le vaste système de tuyauterie qui achemine l’eau du Rhône jusqu’à Montpellier. Il s’agit cette fois d’un projet allant « jusqu’à un demi-milliard d’euros de travaux » : de quoi comprendre des « évolutions tarifaires » à venir sur le prix de l’eau dans le département.

Christophe Béchu a enfin regretté la multitude de « petits syndicats » qui gèrent l’eau dans le département, qui constituent selon lui un « facteur de fragilité », et préfère miser sur la « mutualisation ».

« Nous, on veut gérer notre eau »

Les propositions étaient toutes autres, quelques jours plus tôt, lors de « palabres pour une assemblée populaire de l’eau » organisées dans le village de Fillols. Une centaine d’habitants étaient réunis par le collectif des Brulls, pour faire un point sur les années écoulées et réfléchir aux « moyens de s’organiser », avec un point commun : « Nous, on veut gérer notre eau », résume Annie [*], une participante.

Face aux arrêtés préfectoraux imposant des restrictions d’eau, perçus comme des « décisions infantilisantes venues d’en haut », peste François, certains reconnaissent s’être organisés au niveau d’un village pour y déroger collectivement, afin notamment de continuer d’arroser des jardins partagés. Et de pointer du doigt le modèle d’agriculture intensive qui mise sur l’irrigation et le stockage de l’eau, mais aussi des aménagements du territoire qui accélèrent la bétonisation des terres au profit du tourisme.

Lors de l’assemblée populaire de l’eau dans le village de Fillols, le 18 mai 2024.
© Nicolas Celnik / Reporterre

« Cela fait cinquante ans que le territoire est aménagé pour le tourisme et les résidences secondaires de retraités qui viennent profiter du soleil, pointe Stéphane, du collectif des Brulls. Alors la solidarité avec les habitants du territoire, je dis oui ; mais en se demandant : “Une solidarité pour quoi, avec quelle logique ?” »

En marge de la visite de Christophe Béchu, Jean Henric, le président des Jeunes agriculteurs, syndicat agricole classé à droite, se félicitait d’avoir « évité la guerre de l’eau » l’été dernier. Mais la sécheresse dans le département met en exergue des lignes de fracture qui ne feront que s’intensifier à mesure que l’eau s’amenuisera.



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