Londres (Royaume-Uni), reportage
Sur les rives de la Tamise, nichée derrière le Parlement britannique, la partie sud des jardins de la Victoria Tower offre un spectacle inhabituel. Finies les rayures parfaites, l’herbe est haute et désordonnée. Ici et là, pâquerettes et céraistes apparaissent. La pelouse n’est pas tondue depuis trois semaines. Un peu plus loin, même constat dans le St-George Square. Au milieu d’arbres centenaires, le parc se partage en deux : une pelouse soignée, où se prélassent les promeneurs, et une autre, rebelle, où seuls les chiens osent s’aventurer.
À l’entrée du parc, une affiche indique que le conseil municipal de Westminster participe au « No Mow May » (« Pas de tonte en mai »), « pour favoriser l’apparition de fleurs sauvages dans certains de nos parcs, espaces verts et lotissements, afin d’aider les papillons et les abeilles à prospérer et la nature à s’épanouir ». Cette année, 49 conseils municipaux, près d’un sur six en Angleterre, jouent le jeu.
Le mouvement au nom anglais accrocheur est né en 2019 à l’initiative de l’association Plantlife. L’idée est simple, surtout pour les apprentis jardiniers : en mai, voire tout au long de l’été, ne rien faire. « Beaucoup de Britanniques pensent que leur pelouse doit être bien tondue et bien rangée, dit Joanne Riggall, responsable de la défense des prairies à Plantlife. Or, lorsque vous tondez en mai, vous coupez les têtes des plantes en fleurs et les empêchez de monter en graine. Ce qui bloque le nectar et le pollen, qui sont une très bonne source de nourriture pour les pollinisateurs et autres insectes. Par ailleurs, en tondant, vous empêchez les plantes sauvages de pousser l’année suivante. Donc notre démarche, c’est amener les gens à penser différemment. Leurs jardins ont un potentiel immense pour la faune et la flore sauvages. »
La situation est alarmante : ces vingt dernières années, la population d’insectes volants a diminué de 60 % au Royaume-Uni. En cinquante ans, plus de la moitié des espèces de plantes à fleurs ont disparu des régions où elles poussaient auparavant. Quant aux prairies, en un siècle, elles ont disparu du paysage britannique à 97 %.
Face à ce constat, la mobilisation s’enracine. En 2023, 7 000 personnes se sont officiellement inscrites sur le site, soit 30 % de plus que l’année précédente, dont les jardins couvraient environ mille hectares, selon Plantlife. Cette année, une carte interactive donne un premier aperçu du nombre de participants par région.
« Des renards et des hérissons nous rendent visite »
Sur les réseaux sociaux, le #NoMowMay devient viral. Des centaines d’internautes partagent des photos de leur jardin en fleurs. Photographe animalier installé près d’Oxford, Paul Colley observe qu’en « laissant la nature pendant un mois, nous avons une petite prairie de fleurs sauvages qui attire des insectes, des oiseaux et des chauves-souris. Des renards et des hérissons nous rendent visite, nous leur laissons toujours de l’eau, voire de la nourriture ».
Avril Broadley, de Whitstable, jardinière, s’inquiète du « déclin massif des pollinisateurs à cause de l’agriculture intensive. Alors, ajoute-t-elle, je construis des haies mortes pour les invertébrés et je laisse pousser l’herbe pour favoriser les fleurs sauvages. » Maëla Derrien, Londonienne, participe au mouvement cette année pour la première fois « par conviction et je l’avoue, par manque de temps ! Je suis ravie de voir des petites fleurs et l’herbe ne pousse pas très vite donc nous pouvons toujours utiliser le jardin ».
Paul Sargeantson, lui, est adepte du « No Mow Summer » (« Pas de tonte l’été ») depuis six ans pour son jardin situé dans la campagne d’Oxford : « Les deux premières années ont donné des résultats impressionnants, et aujourd’hui, j’ai trente espèces différentes de fleurs sur la pelouse et soixante-dix dans la cour. » Ce qui le rend le plus heureux : « Une myriade de papillons de nuit, apparue grâce aux séneçons que j’ai laissés prospérer. »
Toutefois, un bémol selon Paul, la difficulté de la tonte d’automne, qu’il réalise à la faucille et à la faux, ne « supportant pas le bruit de la débroussailleuse ». Contrairement à ses voisins qui tondent tout l’été. « Je me sens jugé car je suis le seul dans le village à adopter cette approche écologique », regrette ce restaurateur du patrimoine.
« Laisser pousser l’herbe signifie constituer un sanctuaire vital pour la faune et les pollinisateurs », défend pourtant Jen Roozel qui vit à Bristol. « Dans mon jardin familial, je laisse le sol autour de l’abri et du bac à compost intact afin d’assurer la stabilité de l’habitat des insectes et des petits animaux tout au long de l’année. »
Dans les parcs londoniens, même si la référence au No Mow May n’est pas explicite, de plus en plus d’espaces sont livrés à la nature. Ils sont petits, mais ils existent. À ce rythme, peut-être deviendront-ils la norme dans quelques années. D’autant que le renommé Chelsea Flower Show a de nouveau, cette année, mis à l’honneur le jardin sauvage.
Plusieurs participants au mouvement nous ont transmis des photographies de leurs jardins non-tondus :