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Country, rhythm and blues et banjo, par Éric Delhaye (Le Monde diplomatique, juin 2024)

ByVeritatis

Juin 1, 2024


«Ce n’est pas un album de country. C’est un album de Beyoncé. » Publié sur ses réseaux sociaux par la superstar américaine Beyoncé Knowles-Carter, quelques jours avant la sortie fin mars de son huitième album studio, Cowboy Carter, ce message voulait-il désamorcer le débat ou l’enflammer ? La seconde hypothèse prévaut, considérant la science du marketing que déploie la chanteuse et productrice dont les racines plongent dans le gospel, la soul et le rhythm and blues. Née en 1981 à Houston, Texas, elle est aussi imprégnée de la culture sudiste, qu’elle incarne sur la pochette de son disque avec chapeau, cheval et bannière étoilée. Donnons-lui raison : calibré pour les jeunes urbains « globalisés », Cowboy Carter n’est pas un album de country. Mais il est saturé, de l’instrumentation au répertoire, de références au genre, dont ses invités, Dolly Parton, Willie Nelson et Linda Martell, sont des symboles. Beyoncé est ainsi devenue la première Afro-Américaine à être au sommet des palmarès (1).

Aucun album contemporain n’a été autant commenté. Associant la country à des chanteurs blancs coiffés d’un Stetson, des journalistes du monde entier se sont improvisés ethnomusicologues et des centaines d’articles ont été publiés, dont une dizaine dans le seul New York Times. Sur la contribution afro-américaine à la genèse du genre, il faut regarder la série documentaire de référence, Country Music, de Ken Burns, une fresque de neuf heures dans sa version diffusée en France par Arte. On y apprend l’influence des bluesmen sur des piliers de la country comme Jimmie Rodgers, Hank Williams, Johnny Cash et The Carter Family. On y comprend aussi que, alors que les folklores des opprimés noirs et des prolétaires blancs se mêlaient dans les campagnes du Sud, l’industrie du disque a distingué la race music des premiers, rebaptisée rhythm and blues, du hillbilly des seconds (devenu la country) pour ajuster son marketing aux deux marchés dans les années 1920. Mais la circulation entre les deux a perduré. Ce que démontre Cowboy Carter, qui résonne avec l’histoire, la société, la pop culture américaines — et l’année électorale (Beyoncé a soutenu M. Joseph Biden en 2020). Accessoirement, on peut apprécier cet album.

De DeFord Bailey à Darius Rucker en passant par Charley Pride, l’histoire de la country compte bien quelques célébrités noires. En 1962, au pic du mouvement des droits civiques, Ray Charles réconcilia même les radios de country et de rhythm and blues avec son album Modern Sounds in Country and Western Music, entraînant toute une scène country soul dans son sillage. Mais l’exception confirme la règle : entre 2002 et 2020, seulement 1,5 % des artistes joués sur les radios country étaient noirs, dont un petit tiers de femmes. Sauf que les lignes bougent, par l’entremise notamment d’une artiste comme Rhiannon Giddens, artisane de la réappropriation par des musiciens afro-américains du banjo, caractéristique de la country mais dont l’ancêtre semble bien être un luth ouest-africain importé lors de la traite atlantique au XVIe siècle (2). Ex-membre du groupe Carolina Chocolate Drops, avec Dom Flemons qui milite sur le même registre, et récipiendaire de deux Grammy Awards, elle joue du banjo sur le premier single de Cowboy Carter et attribue les critiques à « des personnes tentant de préserver leur nostalgie d’une tradition purement blanche qui n’a jamais existé » (3). Le rappeur queer Lil Nax X avait horripilé les traditionalistes avec son tube Old Town Road en 2019 : de jeunes artistes afro-américains dont Mickey Guyton, Kane Brown, Brittney Spencer, Rvshvd et Breland continuent, en jetant des ponts entre la country et le rhythm and blues ou la trap.



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