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21 mégabassines réautorisées, une décision juridique « dangereuse »


4 juin 2024 à 10h11
Mis à jour le 4 juin 2024 à 11h40

Durée de lecture : 5 minutes

C’est un rebondissement inattendu dans l’un des nombreux dossiers juridiques concernant les mégabassines. La cour administrative d’appel de Bordeaux a validé, dans une décision du 28 mai dernier, la construction de vingt-et-une mégabassines en Charente-Maritime. « C’est une décision dangereuse », réagit Marie Bomare, responsable juridique de l’association Nature Environnement 17, qui portait le recours avec les associations SOS Rivières et Environnement et la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Les arguments utilisés par le tribunal pour valider les mégabassines étant inédits, la juriste craint qu’ils puissent servir à valider d’autres projets.

Les ouvrages avaient été autorisés le 26 septembre 2018 par un arrêté du préfet de Charente-Maritime, puis contestés en justice par les associations. Elles avaient obtenu gain de cause auprès du tribunal administratif de Poitiers. Ce dernier avait, en février 2021, annulé l’arrêté d’autorisation du préfet. Trois ans plus tard, la cour d’appel administrative a fait le choix d’aller totalement à rebours de la décision de ses collègues. L’autorisation de 2018 est à nouveau valide, les bassines peuvent être construites.

Pas de « risque suffisamment caractérisé »

Ces vingt-et-une mégabassines stockeraient 5 millions de m3 d’eau (soit la consommation annuelle de près de 92 000 Français et Françaises) prélevés dans le bassin de la Boutonne, un affluent de la Charente. Les bassines desserviraient soixante-sept exploitations agricoles. « Des grandes cultures de maïs, blé ou soja arrosées aux pesticides, déplore Marie Bomare. Certaines bassines ne desserviraient qu’une seule exploitation. Le projet coûterait 32 millions d’euros, dont 80 % d’argent public avec aucune compensation ou engagement, par exemple à faire de l’agroécologie. » Cela représenterait donc un coût moyen d’environ 477 000 euros pour chaque ferme reliée aux réserves. Un coût qui devrait d’ailleurs augmenter, l’évaluation datant d’il y a près de dix ans.

Une mégabassine déjà construite en Charente-Maritime.
© Nature Environnement 17

« Nous n’allons pas faire que du maïs irrigué, d’ailleurs cette production a diminué de moitié en dix ans », conteste Françoise de Roffignac, présidente du Syres 17 qui souhaite construire ces bassines. Le syndicat mixte regroupe le département de Charente-Maritime, la chambre d’agriculture et des associations d’irrigants. Pour celle qui est aussi vice-présidente du conseil départemental, « la sécurisation de l’approvisionnement en eau permettra d’augmenter le bio et les cultures de plein champ vendues en local ».

Elle estime aussi que les pompages d’hiver pour les bassines permettraient de diminuer les volumes prélevés en été. Autant de m3 libérés « pour une centaine de petits irrigants qui bénéficieraient indirectement du projet », dit-elle. Des vertus qui ont pu convaincre la cour de rendre une décision qui lui donne pleine « satisfaction », estime-t-elle.

Lire aussi : En Charente, vingt ans de lutte contre les mégabassines

« La cour considère que l’étude d’impact et l’évaluation des incidences du projet sur l’environnement, tant sur les sites Natura 2000 susceptibles d’être affectés que sur la ressource en eau, sont suffisantes », expliquent les juges dans un communiqué. Ils ne voient pas de « risque suffisamment caractérisé de destruction d’animaux protégés ou de leurs habitats ». Par ailleurs, « les prescriptions relatives aux conditions de remplissage des “mégabassines” et aux limites de prélèvements dans les nappes phréatiques respectent le principe d’une gestion équilibrée et durable de l’eau », ajoutent-ils.

Une mégabassine dès 2026 ?

« On est extrêmement déçus par la décision », dit Marie Bomare. Une disposition de l’arrêté qui autorise ces bassines avait particulièrement inquiété les associations. « Il permet le remplissage des bassines jusqu’aux assecs [quand les rivières sont sans eau]. Or, une journée sans eau et tous les poissons meurent… » Les associations avaient donc contesté l’arrêté en estimant qu’il ne permettait pas de préserver les débits minimums nécessaires au vivant des cours d’eau. Des arguments qui n’ont pas convaincu la cour.

« Elle a expliqué que toutes les conditions juridiques visant à préserver les débits minimums biologiques des cours d’eau, pour maintenir la vie piscicole, ne sont pas applicables aux bassines, car elles prélèvent dans les nappes phréatiques et pas dans les cours d’eau, explique la juriste. C’est une méconnaissance du fonctionnement hydraulique de nos territoires. Les cours d’eau et les nappes sont liés. Dès qu’une nappe est vide, il n’y a plus d’eau dans les cours d’eau et dès qu’une nappe est pleine, il y a des inondations ! »

Une interprétation, si elle séduit d’autres juges, « dangereuse pour tous les dossiers de contestations de bassines », s’inquiète-t-elle.

« Je ne prendrai pas la responsabilité d’aller mettre une rivière en assec en tant que présidente du Syres », rassure de son côté Françoise de Ruffignac. Elle nous annonce que la première mégabassine de ce vaste projet pourrait voir le jour en 2026.

Des promesses qui n’annulent pas l’argumentation de la cour d’appel. Dernière chance pour éviter qu’elle ne fasse jurisprudence et se répercute sur d’autres dossiers juridiques concernant des mégabassines, les associations comptent se pourvoir en cassation.



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