• jeu. Sep 19th, 2024

à Greendock et Amundi, le calvaire des militants écolos


« Le but, c’était de faire la fête », insiste Malo [*]. En ce vendredi 24 mai, une sono, des décors étaient prévus. L’objectif : dénoncer les investissements de TotalEnergies dans les énergies fossiles, à l’occasion de l’Assemblée générale de la multinationale. Le rendez-vous était fixé devant l’un de ses principaux actionnaires, la société de gestion d’actifs Amundi, dans le 15ᵉ arrondissement de Paris. Mais la mobilisation s’est transformée pour lui et ses camarades en journée infernale.

Selon les témoignages recueillis par Reporterre, environ 450 personnes [1] ont été nassées devant le siège de la multinationale, à partir de 11 h 15. Objectif pour la police : retrouver ceux qui, une heure plus tôt, avaient cassé une vitre et redécoré le hall d’entrée de l’immeuble Amundi avec de la peinture et des tags. Dans la bousculade, dix vigiles auraient été blessés, neuf transportés à l’hôpital, selon la police.

Vigiles d’Amundi et militants écologistes s’accusent mutuellement de blessures causées dans la bousculade.
© Nnoman Cadoret / Reporterre

« J’ai soigné des personnes mordues au sang par les vigiles », indique un médic. En tout, 173 personnes ont été interpellées et placées en garde à vue. Cinquante d’entre elles ont dû rester jusqu’à presque minuit dans un bus où il faisait extrêmement chaud, sans possibilité d’aller aux toilettes, de manger, de voir un médecin et avec une quantité d’eau extrêmement limitée. Chez Extinction Rebellion (XR), qui organisait la mobilisation, on n’avait jamais vu autant de gardes à vue, des privations de liberté aussi longues et dans de telles circonstances.

Une ambiance qui a donné le ton du lendemain lors d’une autre mobilisation écologiste : entre 1 000 (selon la police) et 2 000 personnes (selon les manifestants) ont défilé le samedi 25 mai contre le projet d’entrepôt Greendock, à Gennevilliers. Selon les témoignages recueillis par Reporterre, un cortège détaché de la manifestation principale a été chargé par la BAC (Brigade anticriminalité), armée de LBD et de gaz lacrymogènes. Bilan : cinquante-neuf interpellations [2]. La police craignait que ce groupe aille mener des dégradations.

Près de 60 opposants à Greendock ont été, après avoir été gazés, forcés de s’allonger par terre les mains dans le dos par la police avant d’être arrêtés.
© Nnoman Cadoret / Reporterre

Alors qu’un rapporteur de l’ONU qualifie la France de « pire pays d’Europe concernant la répression policière des militants environnementaux », deux jours de suite, un très grand nombre d’interpellations et gardes à vues, parfois violentes et dégradantes, ont visé des manifestants écologistes. Reporterre a recueilli des témoignages de participants à ces deux journées.

Retenus sans explication

Le vendredi, devant Amundi, « c’est vers 11 h 15 qu’on a compris qu’on ne pouvait plus partir », se souvient Mat [*], membre de XR. « Les policiers nous donnaient très peu d’informations : pourquoi ils nous retenaient, est-ce qu’on allait être interpellés ? Ils voulaient faire des contrôles d’identité, on a refusé pour éviter le fichage. » Hadrien Goux est arrivé justement à ce moment-là. Salarié de l’association Bloom, qui a porté plainte contre TotalEnergies, il était accompagné de l’un des autres plaignants : Benjamin, Belge de 17 ans, non francophone.

Le jeune homme a failli mourir lors des inondations de 2021 en Wallonie et y a perdu Rosa, sa petite amie. Alors qu’ils ne pouvaient manifestement pas avoir participé aux dégradations, « personne ne nous a prévenus que si on entrait, on ne sortait pas », indique le responsable de campagne énergies fossiles. Ils ont enchaîné les entretiens avec la presse, et « on ne s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas sortir que vers 13 ou 14 heures. »

La police a violemment interpellé plusieurs des personnes nassées devant Amundi.
© Nnoman Cadoret / Reporterre

Pendant ce temps-là, l’un des vigiles d’Amundi a commencé à désigner des manifestants dans la foule, rapportent les témoignages. Facile : une grande partie des personnes entrées dans le siège de l’entreprise le matin étaient à visage découvert. La police a commencé les interpellations. Certaines étaient violentes. Une candidate LFI aux européennes a été traînée au sol. Mat a vu « des coups au visage avec un gant coqué ».

Deux témoins nous rapportent qu’un homme a été agrippé par l’entrejambe. Léa Thieullant, elle, a été embarquée vers 15 heures. « J’ai été pointée du doigt, puis ils m’ont agrippée de manière violente pour me porter. J’ai encore la marque des doigts du policier sur le bras gauche. Le médecin de la police m’a mis un jour d’ITT (Incapacité temporaire totale). »

Refuser de signer les PV

Hadrien Goux a filmé un homme à terre, manifestement en hyperventilation. « La police a fini par le jeter tel quel dans le bus », dit-il. Lui s’est retrouvé dans le même bus quelques minutes plus tard, pour ne pas laisser seul face à la police le jeune Benjamin, « sur lequel trois policiers ont fondu ». Les deux, partis en garde à vue, ont été libérés le soir même pour vice de forme.

« Ils m’ont quand même demandé de signer un PV sur lequel était inscrit “rassemblement en vue de commettre des dégradations et violences” et “terrorisme” », se souvient le salarié de Bloom. « Bien entendu, j’ai refusé ! » En tout, selon XR, seuls deux manifestants ont été déférés au tribunal et risquent des poursuites.

Les activistes ont eu le temps de taguer l’intérieur de ce gros actionnaire de TotalEnergies avant d’être restreints par la police.
© Nnoman Cadoret / Reporterre

Pendant ce temps, à 15 h 15, les manifestants dans la nasse ne savaient toujours pas pourquoi ils étaient privés de liberté. La police semblait débordée par le nombre de personnes à interpeller. « Il y avait des juristes dans la foule, donc on savait que la privation de liberté au bout de quatre heures devient illégale », dit Mat. « Les gens sont sous le cagnard depuis plusieurs heures, ont faim, soif, ont besoin de sanitaires… »

Un coin pipi a été improvisé avec une bâche. Les élus — l’eurodéputée Manon Aubry, la députée Sandrine Rousseau — se relayaient et permettaient un ravitaillement. Arrivé dans l’après-midi, le député Éric Coquerel a demandé le statut des personnes nassées. « Le préfet m’a répondu par texto qu’elles étaient interpellées et que vu les violences du matin, elles allaient tous au commissariat. »

Certaines personnes ont été emmenées dans les fourgons classiques de la police. Et vers 17 heures, un nouveau bus a commencé à être rempli. Neo [*] faisait partie de ceux qui y sont montés. « Des policiers m’ont demandé de venir, je n’ai pas résisté », se souvient-il. Après un contrôle d’identité, il y est entré. Entre ces quatre parois de métal, « tout de suite il faisait très chaud. » Cela faisait déjà six heures que les personnes étaient dans la nasse. « On avait tous un peu faim, soif, envie de pisser. » En tout, cinquante personnes ont été embarquées, sans que leurs droits ou leur statut ne leur soient notifiés. Zénon [*], autre passager, se rappelle : « J’ai demandé en montant si on était en garde à vue, ils m’ont dit non. »

Un litre et demi d’eau pour un bus entier

Le bus a mis du temps à partir. « Il y a eu au moins une dizaine de coups de frein très violents avant qu’il ne parte », se souvient Malo. Puis a commencé une traversée de Paris et du périphérique à toute allure. « Une majorité de gens étaient debout car il y avait peu de places assises, c’était très dangereux », dit Neo.

« Déjà il y a eu de premiers signes de malaise, un vieux monsieur en face de moi était blanc comme un linge. On a demandé de l’eau, ils nous ont donné une bouteille d’un litre et demi pour tous », raconte Zénon. Après un premier stop, le bus atterrit devant le commissariat de Bobigny peu après 19 heures. Les passagers étaient soit très blancs, soit très rouges. Certains étaient au bord du malaise. Un policier a consenti à remplir quelques gourdes. La porte avant a été ouverte pour laisser entrer un peu d’air.

« On demande à aller aux toilettes, on nous dit non »

« On a demandé à aller aux toilettes, on nous a dit non mais les gens n’en pouvaient plus. Alors les policiers nous ont désigné un trou à l’arrière », dit Malo. Les urines s’évacuaient mal, très vite une forte odeur est monté. La situation semblait de plus en plus absurde alors qu’au même moment, vers 19 h 15, la nasse devant l’immeuble Amundi était finalement levée, près de huit heures après son début. Les manifestants sont repartis sans même avoir à subir un contrôle d’identité.

Mais pas question de relâcher les passagers du bus. « Une personne avait le poignet enflé, on suspectait une fracture. Ils lui ont refusé le médecin », se rappelle Neo. Il a l’impression que la situation amusait leurs geôliers. « Ils passaient, faisaient “coucou” et riaient. » Le jeune homme, parfois sujet à des crises d’angoisse, a fini par faire une attaque de panique. Il était allongé dans le bus, une codétenue lui tenait la main, le faisait respirer.

« J’avais besoin de manger quelque chose, les policiers ont refusé. Aussi que je prenne du Xanax, que j’avais sur moi. » Il fait partie des premiers à être sortis du bus… La nuit commençait à tomber, il était donc entre 21 h 30 et 22 heures. Par tout petits groupes, les manifestants ont été répartis dans différents commissariats pour être mis en garde à vue.

Enfermés six heures dans un bus

En parallèle, dans la nuit, Éric Coquerel s’est plaint auprès du préfet de la situation : « Il m’a répondu que les gens n’y étaient plus ! » Une de ses collègues, la députée Sarah Legrain, s’est rendue sur place. Il faisait nuit noire. Elle a exercé son droit de visite dans le bus, plus d’une trentaine de personnes s’y trouvaient encore, depuis bientôt six heures. Il a enfin été permis aux passagers d’aller aux toilettes. « On m’explique qu’a été dressé un PV de circonstances insurmontables pour justifier que ces personnes ne soient pas encore en garde à vue », a-t-elle dit en sortant.

Les dernières personnes sont sorties du bus vers minuit, et se sont donc vu notifier leur garde à vue environ douze heures après que la privation de liberté ait commencé. Répartis dans différents commissariats, ils ont enfin été libérés le lendemain.

Gaz lacrymogènes, grenades explosives et LBD ont été mis à contribution pour réprimer les manifestants contre Greendock.
© Nnoman Cadoret / Reporterre

Mais les commissariats d’Île-de-France n’ont pas tardé à être à nouveau remplis. Dès le samedi, une manifestation contre le projet d’entrepôt Greendock, coordonnée par les Soulèvements de la Terre, a elle aussi eu droit à l’intervention des forces de police. Ces dernières sont restées calmes jusque vers 16 heures, quand une partie du cortège s’est détachée. Une grille est démontée pour entrer dans un parc voisin. Objectif selon les Soulèvements de la Terre, faire « une balade surprise par le grand parc des Chanteraines pour aller découvrir les zones logistiques de Gennevilliers ».

La police a dit craindre immédiatement que ce groupe aille commettre des dégradations. Certains manifestants étaient masqués, beaucoup ne l’étaient pas. Comme Émilie [*], venue avec seulement ses lunettes de soleil et son téléphone, dépassée par la situation. « Tout d’un coup, il n’y a pas eu une dégradation, pas un caillou, pas une provocation, des policiers ont commencé à nous charger avec un LBD. Ils visaient les manifestants », raconte-t-elle. Elle assure n’avoir entendu aucune sommation. Les militants ont reconnu la BAC — Brigade anticriminalité.

« J’ai craché du sang »

« Ils étaient en mode cow-boys, l’un d’eux a dégoupillé lacrymo sur lacrymo », poursuit-elle. Un groupe de manifestants s’est retrouvé pris dans un épais nuage de gaz. « Je voyais à peine mes mains », nous raconte Sandrine [*]. « Certains ont vomi », ajoute Galad [*]. « J’ai craché du sang », dit Émilie. Quand le nuage s’est dissipé, la police a interpellé des personnes, les alignant le long des murs des maisons de la rue pavillonnaire. Très vite, il a été demandé aux personnes arrêtées de s’allonger, mains dans le dos.

Une vidéo montre des personnes à terre frappées par les agents. Notre photographe sur place a pu immortaliser un policier pointer avec un LBD la tête d’un manifestant à terre puis le maintenir au sol genou sur le cou. « Il y avait un excès de zèle », estime un autre témoin de la scène.

Cinquante-huit personnes (selon la police) ou cinquante-neuf (selon le parquet) ont été arrêtées et emmenées dans différents commissariats. L’une d’entre elles, un médic, a été emmenée à l’hôpital. Tout comme la veille lors de l’action Amundi, les policiers ont sous-entendu auprès de plusieurs militants que s’ils ne faisaient pas appel à un avocat, ils sortiraient plus vite. « Finalement, c’est la copine qui y a renoncé qui est sortie la dernière », observe Émilie.

Coup de pression en vue des JO

Ils sont accusés d’« attroupement en vue de commettre des dégradations ». La majorité des militants sont sortis de garde à vue le lendemain. D’après Le Parisien, qui cite le parquet de Nanterre, cinquante dossiers sur les cinquante-neuf ont été classés sans suite.

Autant de « coups de pression pour décourager, freiner le militantisme », estime Émilie. Plusieurs gardés à vue lors des deux événements se sont aussi vu délivrer un message de la part des policiers : ceci est un avertissement, tenez-vous tranquille pendant les Jeux olympiques, car la répression pourrait être alors bien plus sévère.



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