• mar. Oct 1st, 2024

En Italie, les écologistes freinés par l’extrême droite et des divisions internes


Milan (Italie), correspondance

Malgré l’heure tardive, le débat s’échauffe dans le somptueux Palais d’Este de Varèse, en Italie du Nord, où six candidats aux élections européennes s’affrontent sur les politiques climatiques, le 28 mai. Parmi eux, l’écologiste Benedetta Scuderi semble avoir conquis le public, à en croire les ovations qu’elle déclenche dans la salle. « Je pense que vous avez gagné des voix ce soir », la félicite un jeune homme, une fois le débat terminé. Des voix, l’Alliance des Verts et de la Gauche — pour laquelle la trentenaire est candidate dans le nord-ouest du pays — peine justement à en rassembler.

Les derniers sondages accréditent cette coalition des partis Europa Verde et Gauche italienne à 4,6 % des intentions de vote aux élections européennes du 9 juin. Juste au-dessus du seuil (4 %, en Italie) permettant d’envoyer des députés au Parlement européen.

Par rapport à 2019, « c’est déjà une première victoire ! », souligne avec optimisme Benedetta Scuderi. À l’époque, son parti Europa Verde avait obtenu 2,3 % des votes. Regardant de loin la vague verte déferler sur la France (13 % pour Europe Écologie-Les Verts) et l’Allemagne (21 % pour Die Grünen). Un exploit qui a d’ailleurs peu de chance de se reproduire cette année : le groupe des Verts européens passerait de 72 à 55 élus, selon les projections.

« La mobilisation vient avec le temps : il faut travailler sur les territoires et dans les institutions. Ce n’est pas facile », reconnaît la candidate. Pas facile, surtout pour un parti qui n’a pas mis les pieds au Parlement italien pendant quatorze ans. En 2022, des députés écologistes ont finalement retrouvé les rangs de l’Hémicycle, grâce à l’alliance avec la Gauche italienne.

Un manque de « vision univoque et claire »

Avant de disparaître des radars politiques, les Verts ont connu leur âge d’or autour des années 1990. Rencontrant « un succès sur l’onde de Tchernobyl », raconte Giorgio Grimaldi, professeur d’histoire des relations internationales à l’université de Rome et auteur du livre Les Verts italiens entre politique nationale et projection européenne, 2021. En 1987, ils « faisaient partie des promoteurs d’un référendum [contre une loi en vigueur] sur le nucléaire », dont ils sont sortis vainqueurs. Quelques années plus tard, ils ont placé pour la première fois un ministre au gouvernement.

Mais très vite, les divisions internes ont affaibli le parti. Et continuent encore aujourd’hui, avec le départ de la porte-parole Eleonora Evi, fin 2023. Résultat : les Verts italiens ne parviennent pas à avoir « une vision univoque et claire », commente Luigi Pellizzoni, sociologue de l’environnement à l’université de Pise. Et c’est même tout le mouvement écologiste qui semble désuni. « On se perd dans une infinité d’associations, de mouvements locaux. Chacun fait son chemin dans son coin au lieu d’essayer d’avancer ensemble. Quand je vois ces fragmentations, je perds un peu espoir », confie Luisa Rampoli, 64 ans, une électrice du parti Europa Verde venue assister au débat à Varèse.

Le slogan de l’Alliance : « Le courage d’oser ».
X/Sinistra Italiana

À une cinquantaine de kilomètres de là, près du centre de Milan, les militantes et militants occupés à distribuer les tracts électoraux font le même constat. « Ce qui manque encore aujourd’hui, c’est une coordination [entre le parti des Verts et les mouvements écologistes], où on reconnaît le rôle de chacun mais en ayant un objectif commun », analyse Tommaso Gorini, conseiller municipal encarté Europa Verde. Certes, quelques activistes de Fridays For Future ont rejoint des listes écologistes lors de récentes élections, mais « il y a toujours de la défiance à l’égard du politique », observe le trentenaire.

De son côté, Legambiente, l’une des plus grandes associations environnementales du pays, a longtemps reproché aux Verts d’être un parti de contestation, « sans donner de solutions alternatives et réalisables. L’aspect idéologique a pris plus de place », explique Sefano Ciafani, le président national de Legambiente. Il y a vingt ans, l’association a même décidé de rompre avec le parti, dont elle avait pourtant contribué à la création. Et si aujourd’hui, « les relations se sont améliorées », continue Sefano Ciafani, Legambiente ne se sent toujours pas représentée par Europa Verde.

La puissance de l’extrême droite

Cette étiquette d’un parti du rejet a longtemps collé à la peau des écologistes. « Notre grande bataille est de se débarrasser de ce stigmate. Et en dehors de la droite, d’autres forces politiques commencent à nous considérer comme des interlocuteurs plutôt que des fous déchaînés », explique Benedetta Scuderi.

Pour y arriver, il faut avoir « des programmes proactifs, qui donnent de l’espoir. Notre slogan est “Le courage d’oser”, car on ose imaginer une Europe différente, et on en a une idée claire », continue la candidate, qui a fait de la transition industrielle son premier point de campagne. Elle insiste : « Ces dernières années, on a beaucoup parlé de restauration écologique, d’artificialisation des sols — qui sont des batailles fondamentales —, maintenant on a besoin d’entrer dans une autre sphère : celle d’une planification pour atteindre des objectifs avec une production interne, et une vision à long terme. »

Les idées ne manquent pas, donc. Mais elles restent souvent inaudibles. De fait, difficile pour un parti avec peu de moyens de s’imposer dans une campagne monopolisée « par la confrontation entre la Première ministre [d’extrême droite], Giorgia Meloni, et l’opposition menée par le Parti démocrate et le Mouvement 5 Étoiles », analyse Luigi Pellizzoni.

« Quand il y a une droite qui prend autant d’espace, par exemple à la télévision, en faisant une propagande si forte sur cette radicalité verte, la difficulté est d’arriver aux électeurs. Mais quand on y arrive, ils comprennent qu’on a des propositions », continue Benedetta Scuderi. Car dans ce pays fortement touché par des événements extrêmes liés au réchauffement climatique, impossible de nier le problème. En 2024, 66 % des Italiens et Italiennes estimaient que le pays devrait faire davantage d’actions (contre 57 % de Français et Françaises).

Reste la difficulté d’apparaître comme une alternative crédible, face à d’autres forces politiques qui se sont également emparées du sujet. C’est le cas du Parti démocrate ou encore du Mouvement 5 Étoiles, dont l’une des étoiles représente justement l’écologie. « Un électeur qui a le climat à cœur votera pour le parti le plus en vue pour défendre ces politiques, explique le politologue Matteo Zanellato. C’est le vote utile. »



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