Athènes (Grèce), reportage
À presque une semaine du scrutin européen, une quarantaine de militants et candidats de la liste Kosmos, le parti de coalition des écologistes grecs, s’est rassemblée le jeudi 30 mai dans un petit théâtre indépendant du centre d’Athènes. Objectif de la soirée : faire échanger des jeunes, militants ou pas, avec des membres et des candidats de la coalition Verte en lice pour les élections européennes.
Stathis Xanthopoulos, la barbe longue, est venu « par curiosité » et pour écouter leurs propositions. Ce jeune diplômé en ingénierie civile dit être « un extraterrestre » pour sa famille comme pour la société, lorsqu’il met en avant ses pratiques écolos au quotidien. « Je ne me déplace qu’à vélo, ce qui est déjà assez rare pour un Grec. Mais quand les gens me voient récupérer les restes alimentaires pour en faire du compost dans mon jardin, là, ils me prennent pour un fou ! » dit-il mi-amusé, mi-désabusé. C’est dire le défi que représente cette campagne électorale pour les écologistes grecs.
D’autant qu’elle a été une campagne éclair. Fondé il y a à peine quatre mois en vue des élections européennes et soutenu par le groupe des Verts européens, Kosmos est devenu en quelques semaines la première coalition ayant réussi à rassembler l’ensemble des partis Verts grecs traditionnels pour des élections. Son fondateur, Petros Kokkalis, actuel député européen, avait fait défection en 2023 du parti de gauche Syriza pour rejoindre le groupe européen des Verts/ALE.
« En devenant eurodéputé, j’ai constaté que la véritable gauche au Parlement européen, c’étaient les Verts. Les écologistes sont, selon moi, la gauche du XXIᵉ siècle », affirme-t-il à Reporterre. En Grèce, « cette vision, celle d’une écologie qui implique l’humain et le social, était très peu présente, y compris à gauche ».
« Ici, l’écologie est perçue comme un luxe »
Mais si, pour Petros Kokkalis, « tout est encore possible », les sondages ne sont pour le moment pas très encourageants pour la coalition verte : 1 % à 2,3 % des intentions de votes, alors que 3 % des suffrages sont nécessaires pour l’obtention d’au moins un siège — sur les vingt-et-un sièges dédiés aux Grecs — au Parlement européen.
« Ici, l’écologie est encore aujourd’hui perçue comme un luxe », regrette Vassiliki Grammatikoyianni, coprésidente du parti des Verts écologistes et candidate européenne sur la liste Kosmos. Plusieurs années de crise économique et de baisses drastiques des salaires sont passées par là. En quinze ans, le PIB par habitant s’est effondré et demeure, malgré une reprise, l’un des plus bas de l’Union européenne. Difficile dans ce contexte de percevoir l’écologie comme une priorité politique.
Lors des dernières élections législatives, en juillet 2023, les Verts écologistes n’avaient remporté que 0,41 % des suffrages, tandis que la coalition Verte et violette n’en rassemblait que 0,30 % ; pas assez pour obtenir un élu vert à la Vouli, le Parlement. En 2019, tandis qu’une percée historique des partis verts avait marqué les élections européennes, les Grecs, eux, n’avaient élu aucun député européen écologiste.
En Grèce, pourtant, « l’urgence écologique est absolue », souligne Theodota Nantsou, directrice des programmes du WWF Grèce, qui décrit son pays comme un « hot spot de la crise climatique ». Car outre la crise économique qui avait sévi à partir de 2008, ce sont bien les catastrophes naturelles qui ravagent chaque année le pays.
L’été 2023 a été l’un des plus dévastateurs, avec notamment le plus grand incendie jamais enregistré dans l’Union européenne, qui a fait rage, en août dernier, dans le parc national de Dadià, dans le nord du pays et qui a fait vingt morts. Quelques semaines plus tard, des inondations d’une ampleur inédite détruisaient les cultures de Thessalie, l’une des plus vastes zones agricoles du pays, toujours pas remise des dégâts aujourd’hui.
« Les élus se déresponsabilisent de ces catastrophes »
À la suite du bilan catastrophique de l’été 2023, l’actuel Premier ministre conservateur Kyriakos Mitsotakis affirmait que lui et son gouvernement avaient fait « de leur mieux ». Il ajoutait qu’ils avaient aussi « bien peur » que ces catastrophes deviennent « la réalité qu’auront à affronter des régions comme la Méditerranée » à l’avenir. Quelques semaines plus tard, il décrivait le réchauffement climatique comme « une opportunité de prolonger la saison touristique ».
Cette année, grâce à des fonds européens, des mesures considérables de modernisation des infrastructures de protection civile ont cependant été présentées par le gouvernement. Pour autant, « chaque année, les politiques se déresponsabilisent de ces catastrophes », fulmine Theodota Nantsiou. Un récit politique bien ancré, « qui distingue la politique environnementale désastreuse menée dans le pays depuis plusieurs années [avec une ouverture aux marchés sans précédent de l’exploitation des ressources naturelles, notamment l’extraction d’énergies fossiles], d’une supposée fatalité liée au changement climatique », selon Vassiliki Grammatikoyianni.
La couverture médiatique n’aide pas à repolitiser la question. « Pour les gros médias grecs, les partis écologistes n’existent pas, nous ne sommes jamais invités ni interviewés, si ce n’est durant les campagnes électorales, car la loi les y oblige », raconte la candidate écologiste et ancienne journaliste. Elle déplore aussi « une défaillance et une simplification des questions environnementales » dans la presse.
La Grèce, qui a dégringolé depuis deux ans dans le classement RSF de la liberté de la presse, voit par ailleurs se multiplier les procédures bâillons contre les journalistes qui s’aventurent à mettre en lumière des scandales environnementaux.
Le droit européen, « un socle précieux »
En outre, à la veille des élections européennes, « le débat politique se déroule comme s’il s’agissait d’un débat national, sans aucune prise en compte des enjeux européens, qui sont en grande partie environnementaux », dit Theodota Nantsiou.
Or, à l’instar de plusieurs autres États membres, « la Grèce doit quasi 100 % de sa réglementation environnementale à l’Union européenne, souligne la chargée des programmes du WWF. Malgré les pratiques illégales qui perdurent, ainsi que les difficultés à appliquer cette réglementation, c’est un socle précieux pour un pays comme le nôtre. »
Pour autant, selon plusieurs études, les Grecs ont conscience de la menace climatique. Une étude d’avril 2024 menée par l’institut Dianeosis dévoile que le changement climatique arrive en troisième position (20,5 %) des plus grandes menaces qui pèsent selon eux contre leur pays, derrière la situation économique (49,1 %) et la baisse démographique (36,7 %). Sur les menaces pesant sur l’ensemble de la planète, le changement climatique arrive même en première position, selon une deuxième étude menée auprès des Hellènes par l’institut Metron Analysis.
Depuis plusieurs années, les petites et grandes actions citoyennes pour l’environnement se multiplient, notamment des actions de ramassage collectif des déchets en forêt ou mer. « Ici finalement, l’engagement écolo est pour le moment plus individuel que dans les urnes », analyse Theodota Nantsou.