Alors que le gouvernement français est en train de finaliser la loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France avec pour objectif de limiter les intrusions d’autres États via l’espionnage et les manipulations pour contrecarrer les intérêts géopolitiques de la France, le 28 mai 2024, le Parlement géorgien a voté contre les remarques motivées de la présidente pro-européenne (qui a la double nationalité franco-géorgienne), Salomé Zourabichvili, sur la loi relative aux agents étrangers, surmontant son véto.
La présidente géorgienne contestait cette loi, tout comme les Etats-Unis et l’Union européenne, ainsi qu’un certain nombre d’organisations internationales, telles que l’ONU, l’OTAN, l’OSCE et de Conseil de l’Europe.
La loi géorgienne en elle-même
La loi sur les agents de l’étranger a été adoptée en troisième lecture par le Parlement géorgien le 14 mai 2024. C’est une loi sur la transparence de l’influence étrangère qui sert, suivant les dirigeants du parti au pouvoir en Géorgie (Rêve géorgien), à garantir la visibilité du financement étranger du secteur non gouvernemental (ONGs) et des médias. Ce texte classe comme « agent au service d’une puissance étrangère » tout media ou ONG recevant plus de 20% de son financement de l’étranger. On note que la loi adoptée ne limite nullement les activités ou communications publiques de ceux qui tombent sous son coup, hormis les activités sensibles (accès aux secrets d’État, production de supports adressés à des mineurs notamment).
Suite au vote du 14 mai, la présidente géorgienne, Salomé Zourabichvili, a déclaré qu’elle opposerait son veto à cette loi. Ce veto a toutefois eu une portée symbolique, le Rêve géorgien disposant de suffisamment de voix au Parlement pour passer outre le veto de la présidente, comme cela a été démontré le 28 mai.
La réaction de l’Union Européenne
L’Union européenne regrette profondément que le Parlement géorgien ait décidé d’ignorer le veto sur la loi sur les agents à l’étranger et envisage toutes les options de réponse à cette décision. Ceci est indiqué dans une déclaration conjointe du chef de la diplomatie de l’Union européenne, Josep Borrell, et de la Commission européenne.
L’Union européenne souligne que “cette loi va à l’encontre des principes de base et des valeurs de l’Union européenne et portera un impact négatif sur la voie de l’adhésion de la Géorgie à l’UE. Nous appelons les autorités géorgiennes à inverser cette tendance et reprendre fermement le chemin vers l’UE. Il reste encore du temps pour changer la dynamique, mais un engagement ferme du côté des instances dirigeantes est nécessaire”, indique le document officiel.
La réaction de l’OTAN et des Anglo-Saxons
De même, il a été exposé que la loi sur les agents étrangers pourrait mettre un frein aux projets de Tbilissi d’adhérer à l’OTAN. Comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni s’oppose fermement à l’introduction de cette loi qui est, selon eux, incompatible avec les valeurs démocratiques d’un pays qui cherche à rejoindre l’OTAN et qui aspire à une ligne euro-atlantique. Les tentatives orchestrées d’intimidation des manifestants qui ont accompagné le vote de cette loi sont également condamnées.
Le premier ministre géorgien, Irakli Kobakhidze, a déclaré le 14 mai que les discussions sur d’éventuelles sanctions imposées par les Etats-Unis n’étaient pas sérieuses. Le responsable du comité des sanctions du département d’Etat US, James O’Brien, aurait menacé de sanctions, restrictions de visas et gels d’actifs, les parlementaires de Rêve géorgien et les principaux dirigeants du pays, de même que leur famille.
A ce jour, les Etats-Unis prévoient de fournir aux autorités géorgiennes une aide de 390 millions de dollars. La moitié pour une aide militaire et le reste affecté, entre autres, à des projets de développement économique, de mise en place d’institutions démocratiques et de la société civile.
La loi géorgienne versus les lois occidentales
La loi géorgienne sous le feu des critiques des Occidentaux n’est toutefois qu’une loi similaire à celle US qui est en vigueur depuis 1938 connue sous le nom de FARA (Foreign Agents Registration Act), que les Etats-Unis s’apprêteraient d’ailleurs à modifier de manière plus stricte selon Politico.
Quant à la loi française qui pourrait apparaître liberticide, elle implique la nécessaire surveillance des éléments techniques de toutes les communications de la population à savoir qui contacte qui, quand, comment, pourquoi…afin de détecter des profils « suspects » qui seraient ciblés et suivis par des agents de renseignement.
Du risque d’une révolution de couleur de type Maïdan à Tbilissi
Le Parlement géorgien a commencé à examiner ce projet de loi en avril. Dès lors, des manifestations d’assez grande ampleur ont commencé en Géorgie, essentiellement de la part de jeunes. A plusieurs reprises, les manifestations se sont transformées en affrontements avec les forces de l’ordre et les forces spéciales. On peut noter que lors de ces manifestations les drapeaux ukrainiens jouxtent ceux de la Géorgie ce qui n’est pas sans rappeler le coup d’Etat de Maïdan en Ukraine qui a renversé le président démocratiquement élu, Viktor Ianoukovitch, en 2014, avec la participation prédominante des Etats-Unis et de quelques figures de premier plan géorgien dont le chef de la Légion géorgienne, Mamulashvili, comme l’a montré une enquête de Grayzone.
Le 15 mai 2024, la quasi-totalité des universités géorgiennes ne fonctionnaient plus et les porte-paroles des contestataires ont appelé à la désobéissance civile ainsi qu’à une grève générale dont les effets à ce jour ne sont pas perceptibles. Ceci fait échos à un nouveau processus de déstabilisation de la Géorgie qui fait suite à l’arrestation d’agents US spécialistes des changements de régime à Tbilissi fin septembre 2023. Ces personnes interpellées appartenaient au Centre d’Actions et de Stratégies Non Violentes Appliquées (CANVAS), une organisation financée par le gouvernement Américain.
Aujourd’hui on note la participation aux événements, jugée hostile par le Rêve géorgien et le maire de Tbilissi, de l’Occident avec la présence des ministres des Affaires Etrangères d’Islande, de Lituanie et d’Estonie à un rassemblement contre la loi sur les agents de l’étranger à Tbilissi, devant le bâtiment du Parlement. Cette participation a été vue par le parti au pouvoir comme une tentative d’attiser la polarisation dans le pays et a pris le relais des présidents des commissions des Affaires Etrangères des parlements d’Allemagne, Lituanie, Pologne, Finlande et République tchèque arrivés quelques jours plus tôt.
Le gouvernement géorgien affirme vouloir lutter pour son indépendance, sa souveraineté et la non-manipulation par une puissance étrangère. Cette analyse est d’autant plus d’actualité au regard de l’échéance électorale de l’automne avec les élections législatives en ligne de mire en octobre prochain.