Antoine Gatet est président de France Nature Environnement (FNE) et représentant de FNE au Conseil économique, social et environnemental (Cese).
Monsieur le président de la République,
Le 4 mai, dans un entretien accordé à La Tribune Dimanche, vous avez décrit votre conception de « l’écologie à la française » : « créer de la richesse en baissant les émissions » — et appelé à en « être fiers ». Or, il ne suffit pas de baisser les émissions territoriales de gaz à effet de serre, de 5,8 % l’an dernier, pour mener une politique écologique efficace : un monde décarboné qui détruit ses fonctionnalités écologiques est « créateur de richesses », mais il reste un monde sans avenir ne reposant pas sur un modèle pérenne répondant à l’urgence écologique.
Le Haut Conseil pour le climat (HCC) l’a d’ailleurs rappelé dans son rapport annuel de 2023, la politique climatique doit être globale et transversale, l’évolution du climat étant indissociable de la biodiversité, des pollutions chimiques, du cycle de l’eau, de la santé des sols, de la réduction des déchets.
En intégrant ces considérations, nous pensons à France Nature Environnement, Monsieur le président, qu’il n’y a pas de quoi être fier de votre « écologie à la française ». Quand, en début d’année, les agriculteurs et agricultrices en colère ont réclamé un soutien face aux effets de la mondialisation et de l’essor de l’agroalimentaire industriel, qui les appauvrissent, vous avez répondu par un détricotage d’importantes règles environnementales, aux dépens justement de cette nécessaire transversalité, et aux dépens in fine des agricultrices et agriculteurs.
Un véritable recul démocratique
Les écosystèmes sont pollués par l’agrochimie, le réchauffement climatique alimente les catastrophes environnementales telles que crues et inondations, en plus de renforcer l’érosion de la biodiversité nourricière. Pourtant, un signal politique a été donné à la frange violente du monde agricole qu’elle pouvait impunément continuer à détruire notre patrimoine. Ces reculs environnementaux sont incohérents avec le rapport du HCC sur l’alimentation et l’agriculture, qui préconise notamment de rehausser les standards environnementaux, soit l’inverse de la politique menée récemment par l’exécutif.
En outre, la politique climatique doit être juste et inclusive, en s’appuyant sur la société civile et les citoyens pour son élaboration, son suivi et son application. Pour ce faire, la France dispose d’organes et d’outils de concertation et de participation aux politiques publiques environnementales ne demandant qu’à être mieux employés, tels que les consultations publiques, les débats publics, le budget participatif ou encore les instances de discussion collective de la société civile organisée, comme le Cese et les Ceser.
Mais nous assistons aujourd’hui à leur marginalisation, et à un train de réformes qui marquent un véritable recul démocratique. Sous prétexte de « simplification », vous organisez notamment la mise en retrait progressive de la Commission nationale du débat public et des enquêtes publiques environnementales. Pourtant, ces lieux de démocratie améliorent les projets et politiques transformatrices et évitent de perdre du temps sur ceux sans avenir.
Enfin, une telle politique devrait se fonder sur des données scientifiques et être portée par un État respectueux des principes de l’État de droit et de la justice. Mais les scientifiques pointant l’absurdité du projet de l’A69 n’ont pas davantage été écoutés que le secrétaire général de l’ONU ou son rapporteur spécial, qui dénoncent la répression croissante des défenseurs de l’environnement — la France est désormais considérée par l’ONU comme « le pire pays d’Europe concernant la répression policière des militants environnementaux ». Actant un deux poids deux mesures inadmissible entre défenseurs non violents des droits humains et environnementaux, et défenseurs violents de logiques économiques agroindustrielles.
L’État n’applique pas ses propres lois
Dans le même entretien accordé récemment à La Tribune Dimanche, vous laissez entendre, évoquant l’Affaire du siècle, que ce serait la seule fois où l’État « exemplaire » a été condamné. En réalité, votre gouvernement, et son administration, êtes régulièrement désavoués par la justice pour non-application des règles environnementales : parce que vous soutenez publiquement des projets sans avoir lancé d’études d’impact environnemental, comme celui de la mine de lithium dans l’Allier, parce que vous autorisez des activités dérogeant au droit de l’environnement, au profit des seuls intérêts économiques industriels de court terme.
De fait, l’État n’applique pas ses propres lois. Entre autres exemples, l’intense activité judiciaire qu’ont dû mener des associations telles que FNE pour le contraindre à faire respecter la protection des dauphins et autres cétacés, dans le golfe de Gascogne, votre choix d’abandonner un débat démocratique permettant de définir au Parlement la programmation sur l’énergie et le climat, pourtant légalement obligatoire et qui aurait permis de se rapprocher de l’objectif de neutralité carbone en 2050, avec, entre autres, la réduction de la consommation d’énergies fossiles.
« Construire collectivement
un futur vivable »
À France Nature Environnement, nous déposons et gagnons chaque année face à un État qui n’est plus exemplaire, des dizaines de recours devant la justice administrative sur les questions environnementales. Et, parallèlement, nos 6 200 associations territoriales et fédérations locales sont de plus en plus mises en cause publiquement par des membres de votre gouvernement, comme Alternatiba Poitiers, qui s’est vu retirer des subventions après avoir organisé un atelier sur la désobéissance civile.
Nos libertés associatives sont attaquées et notre intégrité physique elle-même est menacée par certains agriculteurs auxquels vous accordez des autorisations sans discernement, après que le juge les a reconnues illégales, conformément à notre objet social.
Soyons clairs, Monsieur le président : nous sommes conscients de la difficulté de la tâche, tant les changements à effectuer sont profonds et systémiques. Mais a-t-on vraiment le choix, alors que sur tous les terrains de l’écologie, les limites planétaires se rappellent à l’idéologie productiviste ? La science nous le répète, le dogme de la croissance infinie et extractiviste que vous portez nous détruit davantage aujourd’hui qu’il ne nous enrichit…
La France et l’Europe pourront être fières de leur politique écologique quand elle sera à la hauteur des enjeux. Plutôt que de porter des discours qui aboutissent à dresser les Français les uns contre les autres sur les questions environnementales et les libertés associatives, appuyons-nous sur les connaissances scientifiques pour débattre, penser, construire collectivement un futur vivable, et transmettre un monde en voie de rémission aux prochaines générations, avec, enfin, la fierté légitime du devoir accompli.