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Pour la cérémonie d’ouverture des Jeux, Paname 2024 fait valser le droit du travail 

ByVeritatis

Juin 7, 2024


La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques et paralympiques sera à l’image de l’événement : une fête pour quelques privilégié·es, organisée entre ami·es, dans l’opacité. 

Mediapart révèle désormais que Paname 2024, groupement chargé de la fête inaugurale, s’est montrée bien peu respectueuse du droit du travail dans le processus de recrutement des centaines de danseuses et danseurs qui animeront les quais de Seine pour l’ouverture des Jeux. En tout, 3 000 artistes seront sollicité·es. 

Interrogé par Mediapart, Paname 2024 n’a répondu à aucune de nos questions et a envoyé son client, Paris 2024, pour répondre à sa place. 

Dernière audition pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, à La Ménagerie de verre à Paris, en avril 2024. © Karine PERRET / AFP

Pour trouver des intermittent·es, Julien Chapero, directeur de casting passé par « Danse avec les stars », ne s’est pas beaucoup embêté. À partir de janvier 2024, il a partagé des publications sur son compte Instagram personnel. Celles et ceux qui le suivent y ont eu accès, tant pis pour les autres. 

Siglé « Paris 2024 » et « Paname 2024 », l’« avis d’auditions sur invitation », publié plusieurs fois en story, ne respecte pas les règles du code du travail sur la diffusion d’offres d’emploi. Il n’est pas indiqué le type de contrat. Il est simplement noté la date et le lieu des auditions, le calendrier, ainsi que le profil requis : « Danseur avec un excellent niveau technique et une expérience confirmée. » 

La candidature, aussi, se fait par messages privés Instagram. Et Julien Chapero prévient : « Désolé par avance si je ne peux pas répondre à tous. » C’est exactement ce qui s’est passé, d’ailleurs. 

Paris 2024 n’y voit aucun problème : « Le directeur de casting a reçu plus de 3 000 candidatures au total et a répondu à l’ensemble des danseurs venus aux auditions. » 

Une convention collective piétinée 

S’il manquait des informations majeures, une autre, bien présente, a exaspéré nombre de professionnel·les. Pour les auditions, il est précisé : « Hébergement, transport et repas non fournis. » « On a l’habitude, souffle Mael. De plus en plus de recruteurs ne les payent pas alors qu’ils savent que beaucoup de danseurs viennent de partout en France, voire d’autres pays. » Cette disposition contrevient à la convention collective applicable aux « artistes chorégraphiques ».

En mars 2023, le Centre national de la danse (CND), institution dépendant du ministère de la culture et de la communication, a publié une offre plus complète. Une autre annonce a été publiée sur le site de Pôle emploi dans le même temps. 

Ignorant cette temporalité, Paris 2024 balaye les critiques visant les annonces sur Instagram de Julien Chapero : « Le directeur de casting a suivi une méthodologie commune à l’ensemble de ses recrutements. Les offres ont été diffusées sur les réseaux de danse, dont le Centre national de danse, ainsi que par Pôle emploi. »

Sur l’avis d’audition du CND, cette fois-ci, le type de contrat est précisé, il s’agit d’un contrat à durée déterminée d’usage (CDDU). Le salaire l’est aussi : pour les répétitions, entre 120 et 200 euros brut selon le rôle attribué et entre 155 et 300 euros pour les spectacles. Des premiers salaires au ras des pâquerettes ou plutôt au ras des minima de la convention collective

Pour les répétitions, le minimum conventionnel pour un service de trois heures de travail est de 58,42 euros. Pour les répétitions de la cérémonie d’ouverture, les journées de répétitions comptent au moins deux services et doivent donc être payées au minimum 116,84 euros. Paname 2024 propose 120 euros au minimum. Pour les spectacles, ils dépassent le minimum de la convention de 2,31 euros.

Les organisateurs se comportent comme des plus petites structures qui essayent de tricher et d’économiser sur tout.

Marc, danseur pour la cérémonie d’ouverture des JO

« J’ai été pris en catégorie 1, on est les mieux payés, avance Marc*, intermittent du spectacle. S’ils m’avaient proposé la catégorie 3, j’aurais refusé, même si j’ai vraiment besoin de boulot. » 

Dans cette offre, la convention collective est indiquée, il s’agit de celle des entreprises artistiques et culturelles… Cela n’empêche pas Paname 2024 de ne pas la respecter, une nouvelle fois. 

En effet, les sélectionné·es ont toutes et tous reçu un « Message confidentiel ! » les invitant aux auditions. Le texte était deux fois en dehors des clous, précisant à nouveau que l’hébergement et le transport ne sont pas remboursés pour les auditions, mais aussi qu’il n’y aura pas de défraiement lors des journées de répétitions et de spectacle. Là encore, cette disposition est contraire à la convention collective selon laquelle les artistes résidant à plus de 40 kilomètres du lieu de répétition et de spectacles doivent être défrayé·es pour le transport et le logement. 

« C’est naze, souffle Marc. Je m’attendais à mieux pour un événement comme ça. Ils se comportent comme des plus petites structures qui essayent de tricher et d’économiser sur tout. » 

On avait des répétitions de trois heures minimum. On s’est tous donnés à fond, on était crevés… et pas payés.

Étudiant danseur au conservatoire de Paris

Mais là encore, Paris 2024 n’estime pas que l’agence qu’ils ont mandatée est en dehors des clous. « Concernant l’annonce publique, tout artiste peut se présenter à une audition avec publicité. La présence maximale de l’artiste est de trois séances d’audition. C’est seulement au-delà que le candidat entrera dans les conditions d’indemnisation prévues pour les auditions sur convocation. » 

Or, les documents et les témoignages des danseurs le prouvent : il fallait d’abord envoyer son CV et une vidéo avant d’être sélectionné par le directeur de casting et de recevoir… une convocation. 

Sur l’illégalité de ces mêmes dispositions concernant les journées de répétitions ou de spectacle, Paris 2024 ne répond pas. 

Des petites économies à mettre en comparaison avec le faste de la cérémonie. Dans Le Canard enchaîné du mercredi 5 juin, on apprend qu’Emmanuel Macron compte bien s’offrir des « top-vedettes » pour la cérémonie, selon un document interne au comité d’organisation des Jeux que nos confrères se sont procuré. Le montant total de cette envie présidentielle ? 2,7 millions d’euros d’argent public. 

Des auditions sous le sceau de la confidentialité 

Mael, bien que très agacé par tous ces manquements, est arrivé jusqu’aux auditions, en mars 2024, dans un théâtre parisien d’avant-garde. Mais avant de danser, il faut obtenir son dossard, et pour cela, les candidat·es doivent signer un tas de documents. 

Il y a d’abord un engagement de confidentialité de dix pages. Paname 2024 demande aux personnes auditionnées, qui ne sont donc pas encore liées par un contrat de travail avec la structure, de « s’abstenir de tout commentaire négatif » concernant une ribambelle d’acteurs : le Comité international olympique (CIO), le Comité international paralympique (CIP), les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) et, même, Paname 2024. Si le document est très probablement abusif, toutes et tous l’ont signé. « On n’avait pas le choix, rappelle Mael. Si on voulait danser et défendre sa candidature, il fallait signer ce document. »

Il y a ensuite le formulaire d’autorisation pour l’Olympic Broadcasting Services (OBS), l’agence radiotélévisuelle du CIO et l’Olympic Channel, sa webtélé, toutes les deux basées en Espagne. Par ce document, les danseuses et danseurs autorisent l’enregistrement et la diffusion de leur « contribution ».

Dans ce formulaire de cession de droits, aucune date n’est indiquée. Et puisqu’il a été exigé des candidat·es qu’ils signent ce document avant même l’audition, cela veut-il dire que cette cession vaut aussi pour l’audition ? Si c’est le cas, là encore, l’organisation se place dans l’illégalité puisque la convention collective est claire : « En aucun cas, il ne pourra être réalisé d’enregistrement sonore ou audiovisuel de l’artiste pendant l’audition. » 

Au SFA-CGT, on l’assure : « Les auditions ont été filmées. Ils disent que c’est uniquement pour faire leur choix, mais ça reste une infraction. Par ailleurs, il y a un documentaire qui est en cours sur la cérémonie. Il y avait l’une de leurs caméras pendant au moins une audition. »

Au reste, qu’il s’agisse d’un enregistrement des auditions, des répétitions ou des spectacles, une chose est sûre, ni Paname 2024 ni l’OBS ne comptent débourser un euro en droit à l’image. En compensation de la cession de ces droits, il n’est rien proposé aux artistes. 

Dans l’un des nombreux documents que les danseurs devaient signer avant l’audition est inscrit en toutes lettres que « les cessions des droits sont incluses dans ces rémunérations ». Puisque, par exemple, pour le spectacle, les premières rémunérations ne dépassent le minimum légal que de 2,31 euros, est-ce à dire que ce sont ces deux euros qui compensent la cession de droits à l’image pour les artistes ? 

Pour sa cérémonie d’ouverture, Paris 2024 promet « une célébration au cœur de Paris qui s’annonce magique ». © Paris 2024

La cession de droits doit forcément faire l’objet d’une rémunération spécifique, comme indiqué dans le Code de la propriété intellectuelle. 

Et pour celles et ceux qui seraient inspirés d’aller au litige, l’OBS prévient : ce sera en Espagne, selon les règles espagnoles et tant pis si les artistes sont français et que tout se passe en France, des auditions au grand soir. 

L’âme en peine, Maël a signé tous ses papiers, a dansé et attendu la réponse. Jusqu’à début juin. Finalement, il n’a pas été sélectionné et Paname 2024 a pris trois mois pour lui annoncer. La convention collective indique que la réponse après une audition, qu’elle soit négative ou positive, ne peut pas se faire plus de quinze jours après la dernière séance.

« À ce jour, tous les candidats ont une réponse », promet Paris 2024. Et d’ajouter : « Il y a un travail d’anticipation à réunir l’ensemble des candidats pour les auditionner. À cette époque, certains tableaux artistiques se peaufinaient, nous avons préféré attendre pour apporter une réponse définitive aux candidats. »

Une centaine d’étudiants danseront à bas coût 

D’autres savent déjà qu’ils seront du show. C’est le cas d’Aymeric*, étudiant au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Il est en dernière année et comme une centaine de ses camarades de promo, il dansera pour la cérémonie d’ouverture des Jeux. « On nous a vendu ça comme une super opportunité, explique l’étudiant, mais tout ça se fait dans une grande désorganisation. »

Pour l’heure, Aymeric et ses camarades ont enchaîné les heures de répétition pour Paname 2024, dans les locaux du conservatoire… et sans être rémunérés. « La moitié de nos répétitions ont été faites gratuitement, parce que, soi-disant, ça rentre dans notre parcours scolaire. » Et alors même que ces séances se font parfois sur le temps de vacances scolaires. À partir du 15 juin, les étudiant·es s’exerceront avec les danseurs et danseuses professionnel·les, seront payé·es et traité·es de la même manière que les intermittent·es.

Et le danseur-étudiant raconte qu’il a fini sur les rotules : « La deuxième semaine des vacances d’avril, on a fait quatre jours de répétitions non-stop au conservatoire, week-end compris. On avait des répétitions de trois heures minimum. On s’est tous donnés à fond, on était crevés… et pas payés. » 

En comparaison, les salarié·es débauché·es directement des ballets nationaux sont mieux traité·es. La plupart d’entre eux sont logés et leurs déplacements sont remboursés, plusieurs ont obtenu une prime, d’autres le paiement de leur cession de droit à l’image. Mais là encore, Paname 2024 fait dans la grande désorganisation : les conditions d’embauche diffèrent d’un ballet à l’autre, selon ce que chacun a pu négocier. 



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