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Zelensky repart de sa visite en France avec des avions sous le bras

ByVeritatis

Juin 8, 2024


De quoi s’agissait-il, au juste ? D’une fin de campagne pour les européennes ? D’un important moment diplomatique ? D’un hommage historique préempté par un président arrogant ? D’un peu de tout cela à la fois ? Difficile de décrire les deux journées qui viennent de s’écouler, durant lesquelles le président français a reçu son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky – d’abord pour participer aux commémorations du Débarquement, puis pour une visite officielle avec passage à l’Élysée et à l’Assemblée nationale.

Volodymyr Zelensky devant l’Assemblée nationale à Paris le 7 juin 2024. © Photo Eric Tschaen / REA

Pour la présidence française, tout est limpide : il était logique et fort, symboliquement, d’inviter aux commémorations du Débarquement Volodymyr Zelensky « au regard de la résonance historique du Débarquement avec le juste combat que mène aujourd’hui la nation ukrainienne ». Il était tout aussi logique qu’Emmanuel Macron prenne longuement la lumière durant quarante-huit heures – n’est-il pas chef de l’État ? Quant à la concordance avec la fin de la campagne pour les élections européennes, « le Débarquement a eu lieu le 6 juin 1944 et que c’est une date que nous avons plutôt tendance à respecter », grince un conseiller élyséen.

Pour les oppositions, le moment a au contraire été savamment choisi pour monopoliser cette fin de campagne. Un « détournement à des fins électoralistes » ont-elles dénoncé. Sans doute à raison : représenter la France à Omaha Beach ou lors d’un dîner avec son homologue ukrainien est une chose, s’inviter en prime time dans le journal de 20 heures, à trois jours d’une élection européenne où sa majorité est en difficulté, pour parler d’Ukraine mais également du scrutin à venir, en est une autre.

Au-delà de cet opportun exercice de communication macroniste, que retenir de cette visite ? Trois images, pour commencer : d’abord, celle de l’accolade entre un Volodymyr Zelensky manifestement ému et un vétéran américain de la Seconde Guerre mondiale – Melvin Hurwitz, 99 ans. « Non, non. Vous avez sauvé l’Europe ! » rétorque Zelensky, alors que le vétéran le qualifie de « sauveur du peuple ».

Durant tout son séjour, le chef d’État ukrainien n’aura cessé de dresser, implicitement ou explicitement, un parallèle entre la guerre dans son pays et la Seconde Guerre mondiale. « Hitler dans les années 1930 a franchi ligne après ligne. Poutine fait de même aujourd’hui », a-t-il ainsi assuré devant l’Assemblée nationale, où il s’exprimait ce 7 juin. Ou encore : « Pouvons-nous gagner cette bataille ? Oui. J’en suis persuadé, tout comme la France croyait à la liberté avant même le D-Day. »

Sans la Russie

La seconde image marquante est celle d’une absence : celle de la Fédération de Russie, justement. Vladimir Poutine n’aurait de toute façon pas pris le risque de fouler le sol français, en raison du mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) qui le vise. Il aurait pu se faire représenter : cela n’a pas été le cas, la France ayant fait le choix de ne pas inviter de délégation russe.

« Les conditions ne sont pas réunies compte tenu de la guerre d’agression que mène la Russie contre l’Ukraine et qui s’est encore intensifiée ces dernières semaines » a justifié la présidence française, faisant allusion à l’offensive déclenchée par les troupes russes début mai dans la région de Kharkiv.

D’un point de vue strictement historique, la présence de l’Ukraine à des commémorations du D-Day n’est pas moins justifiée que celle d’une délégation russe, relèvent les historien·nes. « Les Ukrainiens ne sont ni plus, ni moins concernés que les Russes – 4 millions d’Ukrainiens ont combattu les nazis dans les rangs de l’Armée rouge », rappelle la politiste spécialiste des sociétés post-soviétiques Anna Colin Lebedev. « À strictement parler, penser en premier lieu à associer la Russie – en tant qu’héritière de l’URSS – à ces commémorations, et pas les autres États post-soviétiques, a été un affront fait à ces autres, et un déni du rôle des autres peuples d’URSS », poursuit la chercheuse.

D’autant plus que « les termes de “Débarquement” ou de “Libération” ne sont pas des termes consacrés en russe, et [que] ces événements sont présentés comme des moments où les Occidentaux se sont enfin décidés à venir soutenir l’URSS dans son combat contre le nazisme », rappelle encore Anna Colin Lebedev.

Troisième image, bien plus anecdotique mais témoignant bien de l’étrange ambiance installée par ce calendrier : celle de députés de la majorité, dans la salle des quatre colonnes de l’Assemblée nationale, juste après que Volodymyr Zelensky s’y est exprimé, ce 7 juin au matin. Ils ne dissertent pas sur la guerre ; non, ils relèvent, avec un air mi-consterné, mi-satisfait, que « Mathilde Panot n’était pas là ».

Comprenez : les député·es réputé·es proches de Jean-Luc Mélenchon n’ont pas daigné venir. Comprenez encore : les Insoumis ne sont pas à la hauteur de l’événement, et sont sans doute restés prorusses malgré leurs déclarations de soutien à l’Ukraine. Comprenez sans doute : ne votez pas pour eux le 9 juin.

Quelques minutes plus tôt, devant un hémicycle pas tout à fait rempli – voire franchement vide du côté des bancs des Républicains –, le président ukrainien avait remercié longuement la France pour son soutien politique, humanitaire et militaire.

« La France est désormais vue comme un partenaire très important pour l’Ukraine, surtout suite au changement dans la politique française. Les positions de Paris ont pu questionner les Ukrainiens début 2022, avec les déclarations de Macron sur les “garanties de sécurité” à fournir à la Russie. Mais elles sont depuis devenues beaucoup plus claires », observe la politiste Oksana Mitrofanova, autrice d’un livre récent sur les relations franco-ukrainiennes.

Le président ukrainien en a conscience et a donc veillé à soigner cette relation, en donnant du « Cher Emmanuel » au président français, et en prononçant quelques mots en français devant les députés. « Votre aviation de combat, sous la direction des pilotes ukrainiens, prouvera que l’Ukraine est plus forte que le mal qui la menace », a-t-il également lancé aux parlementaires. Une référence à une annonce faite par Emmanuel Macron à l’occasion de cette visite : la livraison, par Paris, d’avions de chasse Mirage 2000-5 à l’armée ukrainienne.

Zelensky repart avec des Mirage et une brigade

Depuis de longs mois, pourtant, les armées françaises assuraient lors de conversations informelles que les Ukrainiens n’avaient pas besoin de cet avion de chasse français, rappelle le journaliste spécialisé Romain Mielcarek. La livraison de Mirage 2000-T impliquerait de mettre en place une logistique et une maintenance compliquée, pour un petit nombre d’appareils concernés au final (au contraire des chasseurs américains F-16, dont Kyiv espère recevoir plusieurs dizaines d’exemplaires, fournis par les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark et la Norvège).

Ces avions de combat « permettront à l’Ukraine de protéger son sol, son espace aérien », s’est réjoui Emmanuel Macron ce 6 juin, surprenant de nombreux observateurs. En termes de communication, le Mirage 2000-5 semble bien être devenu à la guerre en Ukraine ce que le masque a été durant la pandémie de Covid-19 : décrit comme inutile tant que l’État n’était pas capable d’en fournir, présenté comme indispensable une fois rendu disponible.

Dans les faits, l’avion n’est « pas forcément le premier appareil auquel on pourrait penser pour aider les Ukrainiens », en raison notamment de son âge et de « son radar qui, même modernisé, n’est pas forcément le plus performant », observe Yohann Michel, chercheur responsable du pôle « Puissance aérienne » à l’Institut d’études de stratégie et de défense de l’université Lyon 3. Mais « tout dépend du rôle qu’on pourrait lui donner : il pourrait être très intéressant pour des missions d’interception de missiles de croisière, par exemple ».

Quant à la logistique et à la formation nécessaire pour que ces Mirage français soient pris en main par les Ukrainiens, il s’agit d’un vrai défi, mais Kyiv en a déjà relevé d’autres, et n’a pas vraiment le choix que d’essayer, relève Yohann Michel. « Bien sûr, quand vous expliquez à un pilote de l’armée de l’air [française] qu’il va devoir former un pilote ukrainien à du combat “air-air” – la chose la plus compliquée qui soit – contre les Russes, et que le temps de formation ne sera que de six mois, pour lui c’est insensé, expose le chercheur. Mais les Ukrainiens n’ont pas le choix. Et ce n’est pas parce que ce n’est pas optimal aux yeux de commentateurs occidentaux que c’est infaisable pour les Ukrainiens. »

L’armée française en possède vingt-six, basés à Luxeuil (Haute-Saône) et à Djibouti. Le France pourrait choisir de puiser dans ce stock, ou d’en acheter pour l’occasion. L’Élysée n’a à ce stade ni précisé le nombre d’avions concernés, ni l’échéance à laquelle ils pourraient être effectivement livrés à l’Ukraine.

Emmanuel Macron a en revanche fait une seconde promesse à Kyiv : celle que l’armée française forme, sur le sol français, 4 500 soldats ukrainiens, soit l’équivalent d’une brigade. Jusqu’à présent, les soldats ukrainiens formés en France l’étaient plutôt en tant que bataillons (une échelle plus petite), avec les différentes armes – infanterie, cavalerie… – instruites séparément.

Réussir à former une brigade dans son intégralité représenterait un important succès, assure Yohann Michel. « Il ne faut pas sous-estimer cette annonce-là. Si la France parvient à former une brigade bien formée, cohérente, entraînée en tant que brigade dès le départ, avec un équipement suffisant, c’est peut-être même encore plus important que les Mirage », estime le chercheur.

La visite du président ukrainien en France s’est conclue, vendredi 7 juin au soir, par la signature de quatre textes et accords, dont un accord avec l’Agence française de développement qui prévoit 400 millions d’euros de prêts et 50 millions d’euros de dons pour l’Ukraine jusque 2027 ; et la création d’un fonds de soutien aux infrastructures critiques en Ukraine doté de 200 millions d’euros.

Ce dernier soutiendra des projets « impliquant des entreprises avec une part française » en Ukraine, dans les domaines de l’énergie, du transport, de l’eau, de la santé ou de l’agriculture, a fait savoir l’Élysée. Car comme pour les armes – que la France, sauf exception, ne donne plus mais vend – il s’agit d’aider l’Ukraine mais aussi et surtout de trouver des débouchés aux entreprises françaises.





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