Au lendemain de l’annonce surprise d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale, un accord de coalition était déjà trouvé à gauche, le 10 juin, pour « constituer un nouveau front populaire » présentant une candidature unique dès le premier tour des législatives dans chaque circonscription.
La France insoumise (LFI), Les Écologistes, le Parti socialiste (PS) et le Parti communiste (PC) ont mis de côté leurs divergences pour contrer le péril que fait planer le succès majeur de l’extrême droite aux élections européennes. Mais peuvent-ils rejouer le coup du programme commun, mis en place en un temps record lors des législatives de 2022 par l’éphémère alliance de la Nupes ?
Le temps extrêmement raccourci de l’élection ne plaide pas en leur faveur, le premier tour ayant lieu dès le 30 juin, et les candidatures devant être déposées le 16 juin au plus tard. « On sera très loin d’un programme tel qu’on l’entendait lors du programme commun de la gauche qui a mené aux victoires de 1981 ; les forces politiques n’auront le temps que de se mettre d’accord sur quelques propositions phares, sur certains secteurs », anticipe Simon Persico, enseignant-chercheur en science politique à Sciences Po Grenoble.
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Dans l’urgence, l’écologie peut toutefois servir de matrice politique idéale pour forger une union autour d’un socle commun minimal. « Lors de la campagne, les trois principales forces de gauche se sont divisées sur les questions géopolitiques et sociétales liées aux guerres en Ukraine et en Palestine. Ils ont tout intérêt à mettre en avant ce qui les met plutôt d’accord quand on lit leurs programmes : la transition écologique, qui est un dénominateur commun sur l’essentiel », poursuit le politologue. Voici, sur quatre grands enjeux écologiques, quelques idées qui pourraient servir de base à l’union de la gauche.
Énergie : sobriété et renouvelables en étendard
C’est l’un des enjeux les plus importants, les plus clivants politiquement mais, presque, les plus unificateurs à gauche. L’urgence climatique impose de développer massivement les énergies renouvelables, disent les partis de gauche. Alors que Marine Le Pen souhaite carrément les « arrêter », que les projets de concessions d’hydrocarbures se multiplient toujours en France sous Emmanuel Macron, et que le business du gaz fossile prospère au motif fallacieux de la guerre en Ukraine, la gauche fait front pour une bifurcation énergétique radicale.
Lors des élections européennes, Les Écologistes ont promu l’objectif de 100 % d’énergies renouvelables dès 2040 ; La France insoumise en 2050. Les deux partis vantent donc la sortie du nucléaire : c’est le point d’achoppement avec le Parti communiste et le Parti socialiste, qui veulent conserver l’atome. Le PC est péremptoire sur le sujet, le PS plus ambivalent ; Raphaël Glucksmann étant à titre personnel « favorable » au développement de nouveaux EPR tandis qu’Olivier Faure, premier secrétaire du parti, plaidait en 2022 pour un référendum sur l’avenir de la filière. Le programme de la Nupes, qui promettait un objectif 100 % renouvelable, remettait la discussion sur le nucléaire « à la sagesse de l’Assemblée », en cas de victoire commune.
Les gauches sont également raccord sur la sortie rapide des énergies fossiles. Dès 2030 pour le charbon et dès 2035 pour le gaz, ont rappelé lors des européennes Les Écologistes et le PS. La Nupes s’accordait également en 2022 sur la fin de la subvention aux énergies fossiles (sur la période 2008-2021, la France subventionnait encore davantage les fossiles que les énergies renouvelables, selon la Cour des comptes européenne).
Enfin, l’union de la gauche sur les énergies renouvelables se fait autour d’une vision écologique plus globale : tous soulignent d’une part le besoin crucial de sobriété comme pièce maîtresse de la transition énergétique. Le PS, LFI et Les Écologistes se démarquent d’autre part des partis de droite en affichant la volonté d’allier énergies renouvelables et protection de l’environnement, en s’engageant, lors des européennes, à « supprimer les récentes dérogations au droit de l’environnement » mises en place pour accélérer le développement des énergies renouvelables, synthétise le WWF. Une aberration dénoncée depuis plusieurs années en France.
Réconcilier agriculture et écologie
Alors que durant la crise agricole, le gouvernement et la FNSEA — le syndicat dominant — ont fait le choix d’opposer environnement et agriculture, la gauche peut à l’inverse tenter de les réconcilier. Elle a notamment porté de nombreux messages communs lors de l’examen de la loi d’orientation agricole à l’Assemblée nationale. Garantie d’un revenu juste aux paysans, fin des accords de libre-échange, facilité d’accès au foncier pour les jeunes agriculteurs, encouragement du bio et des pratiques agroécologiques, rejet des fonds d’investissement privés qui pourraient posséder des terres voire des exploitations agricoles, etc. Tous les groupes de gauche ont voté contre le projet de loi, seuls les communistes se sont partagés entre opposition et abstention.
Le programme de la Nupes, en 2022, comportait déjà ces points d’accord. Côté champs, il proposait des prix planchers pour les denrées agricoles, de limiter les profits de l’agroalimentaire pour maintenir des prix accessibles côté consommateurs, de planifier une sortie des pesticides, de récupérer des terres pour installer des paysans, refusait les OGM, voulait revoir la politique agricole commune de l’Union européenne pour soutenir les fermes créant le plus d’emplois et ayant les pratiques les plus écologiques… L’interdiction des fermes-usines était aussi dans la liste. Côté fourchettes, la Nupes voulait « en finir avec la malbouffe », en interdisant par exemple les additifs alimentaires « les plus controversés » ou les publicités alimentaires à destination des enfants et adolescents, tout en allant vers le 100 % bio à la cantine.
Pour la biodiversité, la promotion de la pêche artisanale plutôt que les pêches « destructrices », l’interdiction des coupes rases en forêt ou encore « renoncer aux grands projets d’infrastructures inutiles et écologiquement néfastes et aux projets d’entrepôts géants », étaient envisagés. Encore faudra-t-il se mettre d’accord sur l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres, puisque la socialiste Carole Delga, présidente de la région Occitanie, défend l’axe bec et ongles.
Transports : plus de trains, moins d’avions
Tout miser sur le train, voici encore une idée qui met d’accord à gauche. Socialistes, écolos, insoumis et communistes ont tous proposé, dans les programmes des européennes, un investissement massif dans le rail et le développement du fret ferroviaire, comme alternative aux camions sur les routes. C’était aussi dans le programme de la Nupes.
Côté avion, tous envisagent également de réduire son utilisation, mais avec des mesures plus ou moins ambitieuses selon les partis. Écolos et insoumis veulent interdire les vols quand il existe une alternative raisonnable en train. Ils veulent également taxer le kérosène, avec l’appui des socialistes. Les communistes, eux, abordent le sujet par la question sociale et veulent s’attaquer aux conditions de travail des personnels des compagnies low cost — qui donc font l’unanimité contre elles. En 2022, la Nupes proposait clairement, au niveau national, l’interdiction des vols quand une alternative en train de moins de trois heures existe.
Moins de voitures polluantes semble aussi être un horizon commun. Les communistes sont peu précis sur ce point. Mais là encore, les trois autres composantes de la gauche parlementaire s’accordent sur des mesures qui limiteraient le développement des grosses voitures telles que les SUV. Développer l’autopartage et les aides à l’acquisition de véhicules électriques venaient compléter le tableau dans le programme de l’union de la gauche il y a deux ans.
Économie : temps de travail et biens communs
« La défense des services publics et de l’intervention publique dans l’économie sont désormais largement partagées à gauche — après la période plus sociale libérale du PS, sous Hollande notamment, résume Simon Persico. En matière d’écologie, cela les situe à l’écart d’une vision écomoderniste qui voudrait influencer les comportements par le marché, les prix et les incitations économiques, quelles qu’en soient les conséquences sociales. » Pour le politologue, la gauche s’accorde ainsi sur le fait que la transformation sociale et écologique passe par « une action plus directe : une forme de planification vers plus de sobriété matérielle, l’investissement public, la régulation, les subventions ».
Quelques marqueurs économiques forts participent d’une union possible avec l’écologie comme catalyseur : c’est le cas de la lutte contre le libre-échange. LFI et Les Écologistes promettent chacun de sortir des accords de libre-échange climaticides. Pour le PS, Raphaël Glucksmann promettait aussi de « rompre » avec le libre-échange, au niveau européen, et le PCF de le « remettre en cause ». Les visions semblent donc encore alignées sur l’alliance de 2022, lorsque la Nupes se disait prête à « ne pas respecter certaines règles » à propos notamment de ces traités de libre-échange.
Autre totem fort : la réduction du temps de travail. Le consensus a quelque peu éclaté depuis les promesses de la Nupes de revenir à la retraite à 60 ans à taux plein pour tous et d’ouvrir la négociation sur le passage aux 32 heures et la sixième semaine de congés payés. Mais une philosophie politique partagée rend la lutte commune sur le sujet possible, estime Simon Persico : « Sans aller sur des notions comme celles de la “fin du travail”, car la transition socioécologique implique une grande quantité de travail, les forces de gauche pourraient s’entendre sur l’amélioration des conditions de celui-ci, la libération de temps de vie sans travail, au moment de la retraite par exemple, et la démocratisation des espaces de travail, en donnant plus de voix aux salariés. Ces trois approches sont aussi une des voies pour écologiser le travail et permettent de s’adresser à l’électorat qui leur manque. »
Enfin, la socialisation d’une part de l’économie peut faire office d’élément fédérateur. La Nupes ambitionnait de « socialiser les biens communs fondamentaux », notamment pour « empêcher le droit de propriété privée de prévaloir sur la protection de l’eau, de l’air, de l’alimentation, du vivant, de la santé et de l’énergie ». Cela se déclinait notamment sur la gestion de l’eau, avec un objectif de gestion 100 % en régies publiques, « locales et ouvertes aux citoyens ».
Le programme prévoyait également de nationaliser des entreprises stratégiques pour la transition, comme EDF ou les autoroutes. Les Écologistes développaient aux européennes l’idée d’un fonds de souveraineté écologique pour acquérir et faire bifurquer les multinationales des hydrocarbures. Une idée de plus à mettre au pot commun d’ici le 30 juin ?