TRIBUNE – “J’y suis, j’y reste !”. Les Françaises et les Français sont prévenus. Même en cas de défaite de son camp aux élections législatives des 30 juin et 7 juillet prochains, consécutives à la débâcle des élections européennes du 9 juin (pas même 15 % des suffrages exprimés !), le président de la République entend rester à l’Elysée.
Bien sûr, on citera la dissolution ratée de 1997 de Jacques Chirac, point de départ d’une cohabitation de cinq ans avec Lionel Jospin. Evidemment, on vantera la souplesse des institutions pour justifier que le Président aille au terme de son mandat, comme si sa légitimité n’était pas gravement altérée par deux revers électoraux en quelques semaines.
Dimanche soir, sur un plateau de télévision, le ministre de l’Intérieur, M. Darmanin, qualifiait de “gaulliste” la décision de son mentor élyséen de renvoyer les députés devant leurs électeurs. Pour ma part, j’y vois plutôt une inspiration mitterrandienne : accepter les défaites de 2024 pour préparer la revanche et la victoire de son camp en 2027, en ne restant pas “inerte”, comme l’avait dit et fait M. Mitterrand. Battu aux élections législatives de 1986, il avait gagné la bataille de la cohabitation et s’était imposé à l’élection présidentielle de 1988 face à Jacques Chirac. Mais que l’on ne vienne pas dire qu’il s’agit là d’une démarche “gaulliste”.
Si la dissolution existe dans notre Droit constitutionnel, c’est parce que le général de Gaulle l’a consacrée – comme d’ailleurs l’autre innovation fondamentale, le référendum – dans le texte fondateur de 1958. Sous la IIIème République, le chef de l’Etat devait obtenir l’accord du Sénat pour dissoudre la Chambre des députés. Et, sous la IVème République, la dissolution était assortie de tellement de conditions qu’elle n’a été mise en œuvre qu’une fois, par Edgar Faure, le 2 décembre 1955 ; avec le scrutin proportionnel, il ne servait pratiquement à rien de revenir devant les électeurs, aucune majorité ne se dégageant des urnes. La dissolution de 1955 succédait à celle de … 1877 !
Sous la Vème République, la dissolution est un droit donné au président de la République, qui peut en user à sa guise. Mais un président de la République ne fait pas appel à l’arbitrage du peuple français sans tirer des conséquences de sa réponse. A cet égard, je veux citer deux grands témoins.
D’abord, René Capitant, dernier garde des sceaux du général de Gaulle, professeur de droit constitutionnel. Dans son cours de doctorat en droit public, “Démocratie et participation politique”, dispensé après l’échec du référendum de 1969 et la démission du général de Gaulle, René Capitant énonçait de la manière la plus claire qui soit : “L’arbitrage rendu par le peuple doit évidemment s’imposer aux deux parties en cause, c’est-à-dire à l’Assemblée nationale et au président (…). Une interprétation saine et démocratique doit porter à dire que le président doit se soumettre à l’arbitrage qui a été rendu. Si sa politique a été approuvée, alors il reste en place, retrouve une Assemblée disposée à soutenir cette politique et la poursuit dès lors sans difficulté. Mais si sa politique a été condamnée, c’est alors qu’il doit donner sa démission. On dit parfois : il doit se soumettre ou se démettre, formule déjà adressée à Mac-Mahon, mais le régime actuel n’est pas le régime qui fonctionnait au temps de Mac-Mahon, il serait plus exact de dire que dans ce cas le président de la République doit se démettre. Il doit se démettre parce qu’il s’est lui-même lié à une politique”.
René Capitant cite en exemple la dissolution de 1962, consécutive à la censure du gouvernement de Georges Pompidou. “En 1962, le général de Gaulle a clairement posé la question de confiance à l’occasion de la dissolution, annonçant ainsi sa volonté de se démettre en cas de désaveu de sa politique. Cette question de confiance est une obligation pour le président. C’est la conséquence et l’esprit de sa responsabilité”. Je souligne : une obligation !
A l’évidence, n’est pas De Gaulle qui veut, même avec une croix de Lorraine sur l’emblème de sa présidence, comme l’a fait M. Macron.
Mon second témoin était un authentique homme d’Etat, attaché par-dessus tout à l’intérieur supérieur de la France. Il a pour nom Raymond Barre.
Dans un entretien à la revue “Projets”, publié à l’automne 1984, par conséquent avant le funeste précédent de la cohabitation, Raymond Barre définissait “la logique de la Vème République”, insistant sur la nécessité de “donner une forme parlementaire à la majorité présidentielle et de la maintenir pendant le mandat présidentiel. Le général de Gaulle a toujours souligné l’importance d’une telle majorité ; il a dissous l’Assemblée quand la majorité était douteuse et, avant chaque élection législative, il a demandé aux Français de lui donner une majorité lui permettant de gouverner”.
Raymond Barre parlait aussi du contrat de confiance entre le Président et le peuple. “Si des craquements apparaissent dans cette majorité, il ne faut pas ruser avec les faits, mais retourner devant le peuple : à lui de choisir. Mais il faut alors que le Président, comme le faisait le général de Gaulle, s’engage au moment de l’élection et accepte de se remettre lui-même en question. Elu par le peuple et ayant passé un contrat avec lui, le Président doit pouvoir poser au pays -par une dissolution ou un référendum- la question de confiance, afin de vérifier que ce contrat demeure. Il lui appartient, au vu de la réponse, d’en tirer les conséquences”.
Voilà l’esprit des institutions adoptées par le peuple français à l’appel du fondateur de la Vème République.
M. Macron peut bien commémorer, commémorer encore. Son “J’y suis, j’y reste !” est la négation de la Vème République.