• jeu. Sep 19th, 2024

Une bâtisse écolo menacée de démolition par Burger King


Ploërmel (Morbihan), reportage

Les herbes hautes ont repris leurs droits. Dans leur sillage, encadré d’arbres majestueux, un édifice aux murs blancs et aux étonnantes courbures se dessine. Les voitures ont déserté le parking. Les volets sont fermés. Ne reste que quelques souvenirs de la vie d’avant comme ce logo bleu et défraîchi des Allocations familiales. Deux panneaux ont enrichi ce décor de friche depuis 2023 : l’un présente le permis de démolir du bâtiment, l’autre annonce la construction d’un Burger King par un promoteur. Selon eux, l’antenne singulière de la Caisse d’allocations familiales (CAF) à Ploërmel, ville morbihannaise de près de 10 000 habitants dans le centre de la Bretagne, est amenée à disparaître.

Du moins était. Une table, quelques chaises, des gobelets… Face au terrain qui héberge le site, six copains discutent de l’avenir de la bâtisse à l’air d’église, imaginée par l’architecte breton Bernard Menguy et inaugurée en 1998. « On ne veut pas qu’elle soit démolie comme un vulgaire abri de jardin », critique avec fougue Nicolas, de l’association locale de défense de l’environnement et du patrimoine RBH 56a. À ses côtés, Flavie, la trentaine et membre du collectif Déambulateurs 56, abonde : « C’est tout un symbole de remplacer un lieu qui sert l’intérêt général par un restaurant signe de malbouffe. »

Les militants installés devant le bâtiment, Daniel (à g.), Simon, Flavie et Brendan.
© Caroline Ruffaut / Reporterre

Les deux organisations mènent depuis l’annonce du projet dans la presse en mars 2023 une bataille pour l’arrêter. Leur combat, à coup de tracts et de pique-nique géant, a essaimé. Il pourrait bien changer la donne quant au futur de l’ancienne CAF, un cas devenu « emblème de la dématérialisation et image d’une précarisation de la société, où l’on doit manger vite, pas forcément bien, peu cher », analyse le docteur en urbanisme et conseiller en mobilité Iwan Le Clec’h.

L’heure de la rationalisation

Ces préoccupations n’ont pas inquiété Anne Bastien outre mesure lorsqu’elle a mis le bâtiment en vente en décembre 2022. La directrice de la CAF du Morbihan, dans son bureau vannetais très rose, explique sa décision : « Mon obligation, c’est de m’engager à optimiser le patrimoine et le parc immobilier. » Le foncier ? L’opérateur de l’État, délégation de services publics, « en a beaucoup » dans le département et une partie « n’est plus utile », selon sa représentante, qui évoque la baisse de fréquentation des antennes de la CAF et la pratique importante du télétravail chez ses salariés.

Des sept agents dans 500 m² aux coûts de fonctionnement de 25 000 euros par an, le bâtiment ploërmelais, « atypique » selon ses mots avec ses 8 000 m² de parc, lui donnait toutes les raisons pour s’en séparer à un prix qu’elle ne souhaite pas communiquer. « Quant au projet que veut faire l’acheteur avec le bien, je dirais que ça ne me regarde pas », ajoute-t-elle, en précisant que des permanences subsistent à Ploërmel.

Anne Bastien, directrice de la CAF du Morbihan, dans ses locaux à Vannes.
© Caroline Ruffaut / Reporterre

Une pensée architecturale menacée

La directrice départementale ne se doutait pas que la nouvelle de destruction alerterait des habitants, mais également l’architecte qui a imaginé les lieux il y a près de trente ans, au point de bloquer la vente depuis deux ans et demi. À plus de 70 ans, Bernard Menguy œuvre encore en Bretagne à une architecture qu’il qualifie « d’organique », vigilante sur la qualité et la provenance des matériaux, leur aspect sanitaire aussi.

La CAF de Ploërmel, « c’est un moment de mon parcours d’architecte qui est militant sur la démarche environnementale et écologique, une matrice », explique ce précurseur dans le domaine, à l’origine du premier écolotissement dans la région, à Plouray. Son travail avec plusieurs maires bretons a également inspiré la création du réseau d’échanges et de conseils entre communes, Bretagne rurale et urbaine pour un développement durable (Bruded).

Alors, quand une inconnue l’a informé de la prochaine démolition des lieux, Bernard Menguy n’a pas souhaité laisser faire. Il ne mâche pas ses mots : « Détruire ce bâtiment, c’est s’attaquer à une forme de pensée qui a permis de générer un certain nombre de projets. Je trouve cela extrêmement violent. » L’architecte a déposé un recours pour faire reconnaître ses droits d’auteur sur son ouvrage. La discussion est toujours en cours entre ses avocats et ceux du porteur de projet.

L’architecte Bernard Menguy devant ses bureaux à Arradon.
© Caroline Ruffaut / Reporterre

La spécificité structurale de la CAF de Ploërmel mobilise également les Déambulateurs 56 et RBH 56a. Le collectif et l’association ont en effet remis une pétition signée par 2 000 personnes à la Direction des affaires culturelles (Drac) de Bretagne début avril, pour que l’édifice soit labellisé « Architecture contemporaine remarquable », en plus du dépôt d’un recours contre la démolition de celui-ci. « Ce label permet de protéger le patrimoine récent proposant des visions originales », précise Simon, maraîcher et membre des Déambulateurs 56.

Question de goût ? Le premier édile de Ploërmel, Patrick Le Diffon (Les Républicains), ne partage pas les vues des partisans de la non-destruction. Celui qui n’avait pas hésité à décrire le bâtiment comme « horrible » lors du conseil municipal de février 2023, avance « la loi Climat et Résilience qui impose la densification de la ville sans laisser un espace vide  » pour défendre son accord du permis de démolition de l’ex-CAF.

Autorisation de travaux à l’entrée de l’ancienne CAF de Ploërmel avec le bénéficiaire Burger King Construction.
© Caroline Ruffaut / Reporterre

Peu importe que la zone commerciale dense de la cité ducale accueille déjà un fast-food, le maire libéral insiste : « Je n’ai pas à m’opposer. La demande était recevable au titre du Plan local d’urbanisme et le terrain est constructible. » Le docteur en urbanisme Iwan Le Clec’h, qui a étudié une dynamique similaire dans la ville moyenne de Redon (Ille-et-Vilaine), indique qu’un nouveau venu « renforcera l’attractivité de la périphérie sur la ville centre et les bourgs alentour ».

Imaginer ensemble

Depuis leur maison de lotissement soignée, qui fait face au lieu verdoyant de la discorde, Susie et Bernard Roussel n’acceptent pas ce scénario de bétonisation. Le couple de retraités, membres de l’association de riverains Les Diligences, qui s’est inquiétée du passage des poids lourds avec l’arrivée du Burger King, a même hésité à vendre sa propriété.

« Et dire qu’ils songent à éradiquer les jolis arbres ! Le bâtiment est beau lui aussi. Il y a tellement de choses dont on aurait besoin ici, comme un centre médical, un parc pour les familles », énumère Suzanne, septuagénaire aux petits soins de son jardin. Un peu plus loin dans la rue, une autre voisine, Françoise Grenier, fait preuve d’un certain fatalisme : « Je ne vous cache pas qu’on aurait bien aimé une crèche pour les enfants. Maintenant, on ne peut pas empêcher le projet de se faire. »

De g. à d. : les opposants Nicolas, Flavie, Chloé, Brendan et Simon.
© Caroline Ruffaut / Reporterre

Autour de la table installée à l’improviste à quelques mètres de là, les opposants à la démolition partagent le souhait de réfléchir ensemble à une future activité pour le bâtiment de Bernard Menguy. Maison du patrimoine, centre social… « On a récolté des idées, mais on ne veut pas choisir pour les gens », insiste Flavie dans un sourire. Les recours ont pour l’instant gelé l’acte de vente. L’écho court que la destruction serait annulée, ce que le promoteur à l’origine du projet a refusé de nous confirmer.

En attendant, devant les locaux rénovés de la Maison France Service, où sont réunies les antennes des différents services publics dans le centre de Ploërmel, Patricia s’inquiète. La mère de famille a rendez-vous avec la CAF dans quelques jours et cherche leur nouvelle permanence en ville. « Je suis allée du côté de la Mutuelle sociale agricole (MSA), où on me disait que je les trouverais, mais je n’ai rien vu d’indiqué », explique la presque quadragénaire, qui doit travailler sur son dossier, car son ex-mari violent ne lui verse pas de pension alimentaire. Les agentes à l’accueil ont peine à la renseigner : « Leurs locaux doivent être la MSA, car on ne les voit pas ici. » Patricia repart en quête de la CAF de Ploërmel.




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