• lun. Sep 30th, 2024

les assos écolos entrent dans la danse


Tandis que les paroles défilent, on entend à travers le téléphone le bruit du clavier qui s’agite. Chloé Gerbier envoie des messages en tout sens. La militante de Terres de luttes, une association qui soutient les citoyens opposés aux autoroutes, fermes usines et autres mégaprojets, tente de recenser les actions des collectifs locaux sur une carte. « Ça se mobilise partout », dit-elle. Depuis le 9 juin au soir, et l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, tout le réseau écolo a suspendu les affaires en cours et s’est mis en action.

« Dès le lundi matin, nous avons réfléchi à comment s’organiser pour participer à un mouvement qui fasse en sorte que l’extrême droite n’arrive pas au pouvoir », raconte Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France. « On n’avait jamais vu une émulation pareille », constate Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac, qui a abandonné ses campagnes en cours pour mettre toutes ses forces dans la bataille contre l’extrême-droite. « On a un pic de dons, on n’arrive pas à gérer le nombre de demandes. »

« Ce qui détruit la biodiversité, c’est un système économique »

L’urgence est vitale. Les militants écologistes subissent déjà en France une répression policière plus dure qu’ailleurs en Europe, selon un rapporteur de l’ONU. Avec un RN dominant l’Assemblée nationale et le gouvernement, « ce serait encore pire », craint Chloé Gerbier, qui ajoute : « L’élargissement de l’arsenal pénal contre les militants s’est fait avec les voix du RN. »

Sans compter que « les analyses de son programme montrent que la politique du RN va aggraver les problèmes environnementaux », souligne Arnaud Schwartz, vice-président de France Nature Environnement (FNE), fédération de plus de 6 000 associations environnementales aux 900 000 adhérents sur le territoire. « Ce qui détruit la biodiversité, c’est un système économique. »

« Tout ce à quoi Greenpeace aspire pour la société — plus de justice sociale, de solidarité, d’ouverture sur le monde et sur les autres, des valeurs de tolérance et de respect d’autrui — serait balayé du revers de la main », alerte aussi Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France.

« On a participé à une réunion où plus de 110 organisations étaient connectées »

L’envie d’agir est donc bien là, mais beaucoup tâtonnent encore sur la méthode à suivre. Les idées fusent dans tous les sens. « On en est à quatorze propositions de tribunes collectives », compte Antoine Gatet, président de FNE. « Il y a plusieurs propositions de cartographie des événements », constate Youlie Yamamoto. Une boucle Telegram créée par Extinction Rebellion (XR) tente de regrouper les initiatives : un kit pour convaincre autour de soi, au marché, au boulot, un site pour faciliter les procurations, des fils « action » pour Lille, Nancy, Metz, le Limousin, Toulouse, Montpellier… Affiches, visuels et actions de collage fleurissent aussi de partout.

La coordination pour ne pas disperser les forces est un défi. « On a participé à une réunion où plus de 110 organisations étaient connectées », témoigne Youlie Yamamoto. Les alliances sont déjà nombreuses et sont un socle sur lesquelles beaucoup comptent s’appuyer, comme l’Alliance écologique et sociale, qui réunit syndicats et organisations écologistes. « On a déjà créé des liens lors de la défense des retraites, les révoltes des quartiers, la mobilisation des agriculteurs », observe Émile de XR. « Là, ça discute encore plus. »

Des appels au vote inédits

Mais que faire concrètement ? Toutes les organisations contactées relayent les appels à rassemblement et manifestation contre l’extrême-droite et plaident pour l’union de la gauche. Mais au-delà ? Pour répondre à cette question, chaque organisation doit trancher en interne.

Attac, pour la première fois, a ainsi décidé de franchir une « ligne rouge », c’est-à-dire appeler à voter pour l’union de la gauche, le Front Populaire. D’habitude, l’organisation se contente d’appeler à voter tout court. « Il ne s’agit pas de faire seulement barrage au RN, mais aussi de ne laisser aucune chance à Macron qui est le marchepied du RN », justifie Youlie Yamamoto.

Le mouvement Riposte Alimentaire a lancé le même appel au vote pour la gauche. Idem du côté de la Voie est libre, le collectif qui lutte contre l’A69 : « Nous dénonçons le cynisme du chef de l’État, qui a servi de marchepied aux idées fascistes qui menacent le pays, avant de les accompagner aux portes du pouvoir, peut-on lire dans leur communiqué. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour soutenir le Nouveau Front Populaire pour qu’enfin la justice sociale et environnementale soit portée au premier plan de la politique du pays ».

Mouiller la chemise

Greenpeace se dit aussi prêt à discuter avec le Front populaire de la façon dont les organisations de la société civile peuvent s’y intégrer. « Il n’y a pas eu une seconde d’hésitation sur le fait qu’il fallait mouiller notre chemise », dit Jean-François Julliard.

FNE doit se décider ce samedi mais déjà, Arnaud Schwartz constate que sa fédération « lors des européennes, avait pris un parti beaucoup plus neutre ». Là, la présidence de FNE a déjà signé des tribunes appelant à l’union de la gauche. La Confédération paysanne, pour l’instant, appelle à rejoindre les rassemblements intersyndicaux et ne donne pas de consigne de vote. Les Amis de la Terre non plus, en tout pas clairement. « On appelle à voter en général pour défendre le climat et la justice sociale. C’est notre position historique. Mais notre rôle n’est pas de dire aux gens pour qui ils doivent voter en termes de partis », explique à Reporterre Marie Cohuet, coprésidente de l’organisation.

Chaque organisation qui s’engage, ce sont des forces militantes susceptibles de tracter, afficher, faire du porte à porte, manifester, convaincre… Dans un contexte où les partis politiques sont affaiblis. Mobiliser de façon joyeuse et créative est l’un des points forts d’Attac. L’organisation est déjà en train de préparer des tracts, kits de mobilisation, des affiches, des autocollants, « et une nouvelle chanson de soutien au Front populaire », liste Youlie Yamamoto.

« On peut créer des territoires en résistance plutôt que d’aller vers le fascisme »

Riposte Alimentaire assume de « se mettre en retrait », nous explique Till, et met ses forces vives au service de la cause commune, pour du tractage par exemple. Même analyse chez XR. « On va se rapprocher des organisations déjà implantées dans les milieux ruraux et les quartiers populaires, car ce n’est pas nous qui allons inventer les argumentaires pour expliquer que le RN n’est pas la solution pour les classes populaires. »

Les luttes locales ont un rôle particulier à jouer, rappelle Chloé Gerbier. « Car le constat est clair : ce n’est pas dans les métropoles, qui ne votent pas pour le RN, que ce scrutin va se jouer, mais dans les territoires », analyse la militante de Terres de Luttes. Pour elle, « le déni de démocratie est un moteur vers le RN. C’est aussi un sentiment que les collectifs en lutte expérimentent à chaque projet imposé mais ils ont su le transformer en alternative politique, en construction collective. Ils montrent que l’on peut créer des territoires en résistance plutôt que d’aller vers le fascisme. »

Le réseau des écolos des campagnes s’est donc lui aussi mis en branle. La Confédération paysanne entend « s’adresser aux agriculteurs, monter que l’extrême droite est globalement favorable aux accords de libre-échange », dit sa porte-parole Laurence Marandola. « Il y a un vrai enjeu à mobiliser en milieu rural », estime Romane, du collectif Résistance aux fermes usines. « Je vis en centre Bretagne, en milieu très rural, autour de chez nous ça vote RN à fond. On a fait le choix d’essayer de mobiliser principalement les personnes qui ne votent pas, car en trois semaines on n’a pas le temps d’aller chercher ceux qui votent RN. »

Cibler les abstentionnistes

Cette stratégie de cibler les abstentionnistes est aussi celle qu’a choisi Riposte Alimentaire. « On est en train de cartographier les zones les plus pertinentes, il y a des territoires avec 70 % d’abstention », rapporte Till.

D’autres entendent mener la bataille des idées. « Dans un scénario du meilleur, si la gauche l’emporte, on pourrait enfin obtenir un moratoire sur les mégabassines », dit Julien Le Guet, porte-parole du mouvement Bassines non-merci. Il va pousser pour que la mesure soit reprise par les candidats du Front populaire.

La Déroute des routes, qui elle rassemble les collectifs luttant contre des projets routiers, compte aussi peser sur les programmes, explique sa porte-parole Énora. « On veut montrer que les infrastructures routières soutiennent plus l’économie de marché que les territoires. Treize millions de personnes sont dans une situation de précarité vis-à-vis de la mobilité, cela nourrit un sentiment d’abandon qui profite au RN », explique-t-elle.

Opposer un horizon désirable

À cet abattement, il faut donc opposer un horizon désirable. Des discussions sont aussi en cours pour lancer une liste de propositions pour « changer la vie des gens », dit Youlie Yamamoto. En trois semaines, le monde militant se retrouve à devoir mener une bataille qu’il imaginait pour dans trois ans.

Julien Le Guet est inquiet. « Mardi soir, à Niort, nous étions un millier de manifestants contre l’extrême-droite devant la préfecture, et il y avait autant de gens dehors en terrasse qui nous regardaient », déplore-t-il. Youlie Yamamoto, elle, préfère partir « l’esprit combatif et optimiste. La gauche peut gagner », insiste-t-elle.



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