• ven. Sep 20th, 2024

Un trafic de viande de cheval révélé en Europe


Des chevaux de course finissent-ils dans nos assiettes ? C’est l’une des questions soulevées par l’enquête Horses — Making a Killing (Chevaux, la fabrique d’une tuerie) du journaliste d’investigation Conor Ryan, diffusée les 12 et 13 juin par la télévision publique irlandaise dans l’émission RTÉ Investigates.

Foodwatch, organisation de défense des consommateurs, travaille sur la question de la fraude alimentaire depuis des années. Ingrid Kragl, sa directrice de l’information, dévoile les révélations de ce documentaire et pointe les failles de la réglementation européenne.

Reporterre — La télévision irlandaise alerte dans un documentaire sur un nouveau scandale alimentaire lié à la viande de cheval. Que révèle l’enquête du journaliste Conor Ryan ?

Ingrid Kragl — Dans cette enquête, le journaliste d’investigation révèle qu’il existe bel et bien un trafic de viande de cheval. Impropre à la consommation, cette viande entre pourtant dans la chaîne alimentaire [n’étant pas destinée à la boucherie, elle n’a pas été soumise aux mêmes contrôles sanitaires et peut contenir des antibiotiques, des virus, etc.]. Et ce trafic n’est pas mince, cette fraude transfrontalière concerne plusieurs pays européens, dont la France. Depuis le scandale que l’on a appelé « les lasagnes à la viande de cheval » qui avait éclaté début 2013 — et qui était déjà venu de révélations des autorités irlandaises —, on pensait qu’il n’y avait plus de problème. Ce documentaire démontre le contraire.

Conor Ryan a pu filmer en caméra cachée dans le seul abattoir irlandais qui abat les chevaux, qui partent ensuite vers le continent européen. Car il faut savoir qu’en Irlande, on ne mange pas de cheval. Culturellement, c’est pratiquement un tabou. En France, en revanche, 5 % de la population en consomme encore.

« Les chevaux de course sont soignés avec de puissants anti-inflammatoires »

En Irlande, la culture est très ancrée autour des chevaux de course. Or, quand ces derniers ne sont plus bons à rien, ça coûte cher de s’en débarrasser. Des réseaux criminels bien organisés brouillent alors la traçabilité des chevaux grâce à l’utilisation de puces électroniques importées. Il s’agit vraiment d’un trafic transfrontalier avec du brouillage de piste avec les passeports. Résultat : ces chevaux de course entrent dans les abattoirs et dans la chaîne alimentaire avec le risque de finir dans des barquettes en supermarché, dans nos frigos ou dans les boucheries.

Dans quelle mesure la France est-elle concernée par ce trafic ?

Énormément de quantités de viande chevaline partent de l’Irlande vers la France. D’après les chiffres officiels de France Agrimer, en 2023, environ 400 tonnes ont été importées depuis l’Irlande, soit l’équivalent de 1,6 million de steaks de 250 grammes.

Avec ce documentaire qui montre les magouilles sur l’identité, les puces et les passeports des chevaux, on s’aperçoit que l’on ne peut pas avoir confiance en la traçabilité, la qualité et la sécurité sanitaire de cette viande. Où ont été commercialisées les tonnes de viande impropre et par qui  ? Peut-être que la viande irlandaise n’a fait que transiter par la France. On ne sait pas.

« Il n’y a pas de suivi, pas de sanction. Tout ça reste très opaque. »
Pxhere/CC0

Attention, on ne dit pas que toute la viande est pourrie ou qu’on nous refile cette viande en la faisant passer pour du bœuf ! On dit qu’il y a un problème de traçabilité et que les consommateurs en bout de chaîne ne sont jamais informés. Vous ne voyez pas de retrait-rappel de viande chevaline en France à ma connaissance. Pourtant, sur ces cinq dernières années, le réseau d’alerte européen RASFF [Système d’alerte rapide pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux] a fait remonter près de 200 signalements concernant des problèmes d’identification ou de passeports de chevaux entrant dans le marché européen. À chaque fois, plusieurs pays étaient concernés. 

Quels sont les types de risques éventuels ? Que préconisez-vous ?

Les chevaux de course sont soignés avec de puissants anti-inflammatoires, par exemple. Je ne dis pas qu’il y a un danger sanitaire imminent. Ce que je dis, c’est que des réseaux criminels organisés et transfrontaliers ont encore un intérêt à brouiller l’identité, à exposer potentiellement les consommateurs à un risque et qu’on n’en est pas informé. On a un problème de transparence.

Certes, il y a eu de nouvelles réglementations en 2015, puis en 2021 pour encadrer et obliger, notamment au niveau national, à avoir des bases de données, à être très transparent et essayer d’améliorer cette traçabilité de la viande. Il y a eu vraiment une intention de resserrer la vis après le scandale des lasagnes. Les autorités européennes ont demandé aux États membres de faire du suivi, du contrôle, etc. Malheureusement — et c’est ce que le documentaire révèle —, le compte n’y est pas.

Pourquoi ça ne fonctionne pas dans tous les pays européens ? Parce qu’on manque d’effectifs pour les contrôles sanitaires. On se repose trop sur les autocontrôles et l’autorégulation. Il n’y a pas de suivi, pas de sanction. Tout ça reste très opaque. Finalement, c’est « pas vu, pas pris » et tant que tout le monde ignore le problème, il ne va rien se passer. Nous sommes convaincus chez Foodwatch que la transparence, au contraire, œuvre à mettre fin à l’impunité.



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