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Bétonner les plages, le projet désastreux de l’extrême droite brésilienne


12 juin 2024 à 09h45
Mis à jour le 13 juin 2024 à 15h12

Durée de lecture : 5 minutes

Rio de Janeiro (Brésil), correspondance

Copacabana, Ipanema, Leblon… Les plages brésiliennes font rêver les touristes, mais aussi l’extrême droite locale, biberonnée au néolibéralisme. Dernière idée en date : un projet d’amendement de la Constitution (PEC) qui permettrait de céder des parties des zones proches des plages à des mairies, à des États régionaux… ou à des acteurs privés. L’État est aujourd’hui propriétaire des 7 500 kilomètres de littoral brésilien. En première ligne pour promouvoir l’idée, Flávio Bolsonaro, sénateur et fils de l’ancien président d’extrême droite Jair Bolsonaro, au pouvoir de 2018 à 2022. 

Ce projet a suscité l’ire de nombreux Brésiliens et Brésiliennes, qui se dressent contre cette possible privatisation des plages. Plus précisément, le projet ne concerne pas le bord de mer à proprement parler, mais des « terrains marins », une bande de terrain de 33 mètres de large, commençant à partir de 30 m de distance de l’océan. Des bâtiments y sont déjà présents par endroits, moyennant le paiement de taxes dans le cas des constructions privées. Le bord de mer, resterait, lui, aux mains de l’État, précise le site — plutôt marqué à droite — Poder360, qui n’hésite pas à qualifier la formule de « privatisation des plages » d’« erronée »

Plage de Copacabana, à Rio de Janeiro, novembre 2023.
© Raphaël Bernard / Reporterre

Pour les opposants, le risque que de grandes constructions surgissent et bloquent de fait l’accès à la mer est bien réel. Les cas de résidences ou hôtels de luxe s’arrogeant de fait « leurs » plages privées sont déjà nombreux, notamment dans la région de Rio de Janeiro, pointe Licio Monteiro, professeur de géographie à l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ). Parfaitement conscients de l’illégalité de la situation, les propriétaires font traîner les procédures en justice, explique-t-il dans les colonnes du journal de gauche Brasil de Fato. Pour rassurer les Brésiliens, Flávio Bolsonaro a ajouté au texte initial une garantie d’accès à la mer.

Des murs vont accélérer l’érosion des sols

L’idée portée par le camp Bolsonaro, déjà bien connu pour avoir toléré voire encouragé la déforestation en Amazonie, charrie son lot de conséquences inquiétantes sur le plan environnemental. Premier risque : que l’intensification de la construction permise par cette loi ne finisse par détruire les plages elles-mêmes. « Le futur que dessine ce PEC est un futur avec moins de plages et moins de mangroves, explique Alexander Turra, professeur de l’institut océanographique de l’Université de São Paulo, interviewé par le média en ligne Terra. « Elles vont être comprimées entre les constructions — qui vont s’intensifier à cause de cette loi — et l’élévation du niveau de la mer. »

« Un futur avec moins de plages et moins de mangroves »

Le PEC, s’il est adopté, aura des conséquences en cascade. « À court terme, les entités privées se croiront gagnantes car elles n’auront plus à payer d’impôts. Mais pour protéger leur propriété contre la hausse du niveau de la mer, elles devront construire des murs, ce qui va accélérer l’érosion des sols [1] », continue l’universitaire. Qui précise que 40 % des plages brésiliennes sont déjà dans un état d’érosion avancée. Une situation qui a de quoi laisser perplexe, alors que le sud du pays traverse l’un des pires épisodes d’inondations de son histoire, qui ont été amplifiées par la transformation des forêts en zones cultivées. 

Vers une expulsion massive de personnes pauvres ?

Outre les risques environnementaux, la spéculation immobilière que provoquerait la modification de la Constitution pourrait avoir des conséquences socio-économiques graves. « On ne sait pas exactement combien de personnes se trouvent sur ces “terrains marins”, mais on estime que la majeure partie d’entre eux sont des personnes aux revenus faibles, qui n’ont d’ailleurs déjà pas de quoi payer les impôts fonciers à l’État. […] Ces gens risquent donc une expulsion massive », alerte Paulo Cesar Fonseca Giannini, professeur en géosciences à l’USP, lui aussi interrogé par Terra

Officiellement, la motivation du PEC est de donner plus d’autonomie aux pouvoirs locaux dans la gestion des plages. « Les maires connaissent mieux la situation de leurs plages que nous ici au Sénat », a ainsi expliqué Flávio Bolsonaro devant ses collègues. 

Déjà adopté par la chambre des députés en 2022, le PEC doit désormais être voté par les sénateurs — ce qui ne devrait pas arriver avant plusieurs mois, tant le rejet du texte est fort, croit savoir Metropoles. Les modifications apportées au texte par Flávio Bolsonaro pourraient obliger les députés à se prononcer à nouveau. Les sénateurs devront ensuite approuver le texte aux trois cinquièmes — soit quarante-neuf votes favorables. Un score parfaitement atteignable, les conservateurs étant en position de force dans les deux chambres.



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