• dim. Sep 22nd, 2024

de l’huile de palme vendue comme carburant « durable »


Les compagnies aériennes raffolent d’huile de friture usagée. Ces dernières années, elles communiquent allégrement sur les vertus de ce déchet alimentaire, qui sert au raffinage du « carburant d’aviation durable » censé offrir au transport aérien un nouvel horizon vert. Ryanair promet ainsi d’en injecter dans les réservoirs de 12 % de ses vols en 2030. Air France fixe la barre à 10 %, en proposant à ses clients — pourquoi se priver ? — de payer plus cherpour voler avec un carburant « soutenable ».

Depuis deux ans, cet élan a créé une véritable ruée vers l’huile de cuisson usagée en Europe, dans des proportions bien supérieures à ce que notre propre consommation alimentaire peut offrir à recycler. C’est donc de Chine, et dans une moindre mesure de Malaisie et d’Indonésie, que proviennent 80 % de ces précieux déchets. Mais ce nouveau commerce, évalué à 7 millions de tonnes en 2023, est soupçonné de servir de porte dérobée à un vaste trafic d’huile de palme, matière en passe d’être bannie en Europe en raison de ses conséquences environnementales désastreuses.

Une collecte trois fois inférieure aux exportations déclarées

Ce trafic présumé est au cœur d’une enquête de la Commission européenne, dont les résultats préliminaires doivent être publiés vendredi 28 juin. Ce mardi 18 juin, une nouvelle expertise étayant les forts soupçons a été rendue publique par l’ONG Transport et environnement (T&E). Avec l’aide du cabinet Stratas Advisors, l’ONG a analysé les données du commerce mondial et démontre que la Malaisie exporte trois fois plus d’huile usagée qu’elle ne déclare en collecter sur son sol. De quoi renforcer l’hypothèse d’une fraude systémique de ce pays connu comme un important producteur d’huile de palme.

Les données publiées par la Chine, qui est de loin le premier exportateur d’huile usagée, sont moins suspectes à première vue. Les quantités collectées et celles qui partent à l’export sont comparables. Mais cela n’éclipse pas les soupçons d’après l’analyse de T&E. Au contraire, les chiffres officiels de la collecte devraient être supérieurs à ceux de l’export, car la Chine héberge un important marché noir intérieur d’huile de seconde main, dite « d’égout », qui devrait se lire, en creux, dans les données officielles. « Cela soulève de forts soupçons quant au fait que de l’huile végétale [de palme] soit étiquetée à tort comme étant des huiles usagées », conclut T&E.

Autre signe d’une probable fraude : l’annonce de l’ouverture d’une enquête par la Commission européenne, au second semestre 2023, a entraîné une baisse de 26 % des importations de biodiesel chinois vers l’Europe. Les autorités chinoises auraient réagi à la menace d’un scandale.

Plusieurs compagnies aériennes, dont Air France, promettent de remplacer une (petite) partie de leur carburant par ces huiles usagées.
Mason Dahl / Unsplash

Cette fraude massive présumée, sur le dos de la transition énergétique a été permise par le virage pris en 2018 par la Commission européenne sur les biocarburants. Après dix ans de développement basé sur des huiles de palme et de soja, la filière a été contrainte de renoncer à cette source de carburant connu pour aggraver la déforestation. L’utilisation de biodiesel à base d’huile de palme a baissé de 27 % en Europe entre 2021 et 2022 et devra avoir totalement disparu en 2030, selon l’objectif fixé par la Commission en 2018. Et ce, alors même que les objectifs de transition du secteur des transports vers les « biocarburants » ont été fortement augmentés en 2023.

Les huiles usagées sont donc une solution de repli très prisée. Pour accélérer le recours à cette ressource, l’Europe a mis en place une « double comptabilité » pour les matières estampillées « déchets » : elle permet aux énergéticiens et aux pays membres de comptabiliser deux fois les huiles usagées dans le rapport qu’ils adressent à la Commission quant aux objectifs de transition énergétique qui leur ont été fixés. De quoi renforcer artificiellement leur intérêt.

Et le calcul des émissions dues au transport de ces biocarburants repose sur des valeurs « par défaut » identiques, qu’ils proviennent de France ou de Chine, comme l’a regretté la Cour des comptes européenne dans un rapport de décembre 2023.

Une consommation largement au-dessus des capacités de collecte

Résultat attendu de toutes ces incitations, la consommation d’huile usagée pour les biocarburants est passée de 5,2 mégatonnes (Mt) en 2021 à 7 Mt en 2023 en Europe (UE et Royaume-Uni), soit un tiers d’augmentation. « L’Europe consomme actuellement 130 000 barils d’huile usagée par jour. C’est huit fois plus que sa capacité actuelle de collecte », tranche T&E.

Le contrôle du contenu des barils importés est très permissif. Des dizaines d’organismes privés de certification cohabitent, et se font concurrence, sans réelle surveillance des autorités européennes. La plupart des vérifications se font sur la base de déclarations volontaires des compagnies qui commercialisent les huiles ou carburants à base d’huile usagée. Et les prélèvements de contrôle, lorsqu’ils ont lieu, sont peu efficaces pour différencier l’huile de palme d’une authentique huile de cuisson usagée, car la composition chimique des deux liquides est proche.

À l’échelle mondiale, le problème ne fait que commencer. Les États-Unis et la Chine accélèrent eux aussi sur ces biocarburants, tandis que le secteur de l’aviation affiche des objectifs de transition énergétique ambitieux. Difficile donc d’imaginer que les déchets de la restauration et de la consommation domestique suffiront à étancher la soif d’huiles usagées.

« Une telle croissance n’est pas soutenable. Il faudrait pouvoir collecter deux fois plus d’huile de cuisson usagée que le potentiel maximal de collecte », juge T&E dans sa note de dix-huit pages. Le seul objectif que s’est fixé Ryanair, d’atteindre 12,5 % des vols alimentés en « carburant durable d’aviation » en 2030, nécessiterait la totalité du volume collecté en Europe.

Cette impasse devrait inciter les dirigeants européens à revoir les règles du jeu, insiste l’ONG. Elle préconise notamment de sortir les importations d’huiles usagées du calcul des objectifs de transition énergétique européens. Une manière d’en finir avec l’absurdité consistant à faire voyager d’un bout à l’autre de la planète des carburants estampillés durables. « L’huile de cuisson usagée ne pourra jouer qu’un rôle limité et en aucun cas être une solution miracle », estime Jérôme du Boucher, responsable aviation France de T&E.

Autre regret de l’ONG, le dumping organisé par la Chine a freiné le développement d’une politique ambitieuse de collecte des huiles usagées en Europe, qui pourrait avoir un rôle à jouer, même marginal. Faute de points de collectes en ville, ou de campagnes de sensibilisation auprès du grand public, le ramassage plafonne à 55 % des quantités qui pourraient être récupérées.

Quant au secteur des transports, il devra selon l’ONG chercher des alternatives ailleurs, notamment dans l’hydrogène ou l’électrique. Sans faire l’économie d’une « diminution de la demande énergétique globale ».



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