• lun. Sep 30th, 2024

Les habitants de Beauvais refusent de voir voler 20 000 avions de plus


« Nos pires craintes se réalisent », soupire Dominique Lazarski, présidente de l’Association de défense de l’environnement des riverains de l’aéroport de Beauvais-Tillé (Adera). Le futur exploitant de l’aéroport, qui devrait gérer le site pour les trente prochaines années, a été désigné.

Dans sa candidature, que Reporterre a pu consulter, le consortium Egis-Bouygues-Serena — le futur exploitant — projette huit millions de passagers et 45 000 mouvements d’avions (atterrissages et décollages) dans dix ans, jusqu’à atteindre 53 000 mouvements à la fin du contrat de concession. À terme, ce serait donc 20 000 avions supplémentaires par an qui survoleraient le territoire, par rapport au niveau actuel.

Plusieurs centaines de personnes ont manifesté dans les rues de Beauvais le 15 juin.
© Pierre-Yves Lerayer / Reporterre

« En période de vacances, il y a tellement d’avions qu’on doit fermer les portes et les fenêtres », déplore Mireille à la manifestation. Les pommes qu’elle cueille dans son jardin sont « noircies par la pollution ».

Du kérosène dans les narines

Vêtus de leurs blouses d’apiculteurs, Isabel et Eric connaissent bien « les odeurs de kérosène au réveil ». Ils sont venus alerter sur les cas de cancers qui se sont multipliés dans leur hameau de Plouy-Saint-Lucien, à quelques centaines de mètres du bout des pistes : « Il y a quasiment un cancer dans chaque maison. » Eric, qui a lui-même un cancer, s’interroge : « On ne saura pas si c’est directement lié, mais on soupçonne la pollution. Le fait d’être survolés à très basse altitude n’arrange certainement pas les choses. »

Isabel et Eric sont inquiets pour les conséquences de l’aéroport sur la santé des habitants de leur village.
© Pierre-Yves Lerayer / Reporterre

« L’extension de l’aéroport est un sujet de santé publique », dit le sénateur (PS) de l’Oise, Alexandre Ouizille, en tête de cortège avec son écharpe tricolore. « Le bruit et les particules fines, ce sont des années d’espérance de vie en moins », alerte l’élu, qui pointe aussi « une aberration écologique, alors que le secteur aérien n’a pas fait la démonstration qu’il était capable de réduire ses émissions ».

Le sénateur porte une proposition de loi pour plafonner le trafic aérien et un moratoire sur les extensions d’aéroports. Pour lui, « l’enjeu est ici de montrer que l’écologie peut être un combat pour les classes moyennes et populaires qui constituent la majorité de la population du Beauvaisis ».

« Le bruit et les particules fines, ce sont des années d’espérance de vie en moins », rappelle le sénateur PS de l’Oise Alexandre Ouizille.
© Pierre-Yves Lerayer / Reporterre

« Ryanair, tu nous pompes l’air ! » scandent les manifestants en arrivant devant la préfecture de l’Oise. « Jusqu’ici, nous avons œuvré devant les lieux de décision. La prochaine fois, nous avons l’ambition d’aller devant le lieu emblématique », annonce Hélène Vivier, membre de Sauvez le Beauvaisis. En clair : cibler l’aéroport. Le matin même, le comité local des Soulèvements de la Terre a déployé le logo du mouvement à proximité des pistes.

En attendant, la mobilisation s’élargit, avec la création de la campagne Halte au Tarmac, qui réunit les associations de riverains historiques et le collectif Lutte et Contemplation. Les jeunes chrétiens se sont joints au rassemblement à vélo depuis la capitale.

Des membres du collectif chrétien Lutte et Contemplation ont rejoint Beauvais à vélo.
© Pierre-Yves Lerayer / Reporterre

« Si les Parisiens viennent jusqu’ici pour prendre l’avion, ils peuvent aussi venir pour manifester », sourit Camille, étudiante de 24 ans. L’objectif : « Donner à cette lutte une envergure nationale. » Les manifestants sont déjà plus nombreux qu’à la précédente marche, et avec l’intensification du trafic, de plus en plus de riverains sont affectés.

Santé et immobilier

Nombre d’entre eux ont aussi découvert dans leur boîte aux lettres l’un des 25 000 tracts distribués par les associations sur tout le territoire pour leur donner « cinq bonnes raisons de venir manifester contre l’extension », parmi lesquelles les nuisances pour la santé et les conséquences du trafic aérien sur le climat ainsi que sur la valeur des habitations survolées.

À l’aube, un petit groupe d’activistes a déployé un logo des Soulèvements de la Terre de 400 m² devant les pistes de l’aéroport de Beauvais.
© « les Betteraves se rebiffent »

Plusieurs maires ont pris des motions contre le projet d’expansion. La mobilisation ne date pas d’hier, mais prend une dimension particulière en ces temps politiquement troubles. Dans l’Oise, le score du Rassemblement national (RN) a dépassé les 43 % aux élections européennes.

Au micro, Thierry Aury, conseiller municipal (PCF) à Beauvais et candidat suppléant du Nouveau Front populaire aux législatives dans la première circonscription de l’Oise, lance un appel aux manifestants : « Dans deux semaines, il y aura un vote. Sur cette circonscription, il y aura trois choix : le député LR sortant et le binôme du RN, qui soutiennent le projet d’explosion du trafic de l’aéroport, et celui du Front populaire. Nous avons été depuis le début de toutes les mobilisations, et nous sommes avec vous ! »

Pour les manifestants, il faut plafonner le trafic de l’aéroport de Beauvais.
© Pierre-Yves Lerayer / Reporterre

Certains l’applaudissent, mais cet appel au vote ne plaît pas à toutes les personnes présentes. « Moi je m’en vais, je ne suis pas venue pour ça ! » intervient une manifestante. « On a déjà du mal à mobiliser, ce n’est pas pour perdre tous les gens qui ne votent pas à gauche », réagit Claire, membre de l’Adera.

L’association qui se revendique apolitique entend questionner les candidats aux législatives sur leur position concernant l’extension de l’aéroport. De son côté, la candidate du Nouveau front populaire de Beauvais-nord, Roxane Lundy (Génération.s), annonce déjà son « engagement de mener cette bataille à l’Assemblée nationale ».



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