• ven. Sep 27th, 2024

les nuages au cœur du changement climatique


Elle est décrite comme « la mission de recherche la plus complexe » de l’Agence spatiale européenne (ESA) à ce jour. Lancé en orbite le 29 mai dernier, le satellite EarthCARE de l’ESA, conçu en collaboration avec l’agence spatiale japonaise, embarque quatre instruments de pointe. Pendant au moins trois ans, ils seront braqués vers l’atmosphère terrestre afin d’y scruter l’un des plus importants et mystérieux acteurs du climat : les nuages.

« Plusieurs satellites ont déjà étudié les nuages par le passé, mais, pour la première fois, grâce à la combinaison de nos instruments, nous allons mesurer toutes leurs caractéristiques physiques en même temps. C’est ce qui intéresse les chercheurs, explique Dominique Gillieron, responsable des projets d’observation de la Terre à l’ESA, ils ont besoin d’améliorer leurs modélisations et de tester leurs modèles actuels. »

Car les nuages jouent un rôle absolument crucial dans le système climatique de la Terre. Ils couvrent à peu près les deux tiers du globe, créant un « effet parasol » géant : en réfléchissant une partie du rayonnement solaire vers l’espace, ils nous protègent de leur énergie et refroidissent le climat. Si tous les nuages disparaissaient, la Terre pourrait être plus chaude de 5 °C, selon le Programme mondial de recherche sur le climat.

Si la Terre n’avait pas de nuages, la température du globe serait déjà supérieure de plusieurs degrés. Mais leur action n’est pas pour autant uniquement refroidissante.
© P-O. C./ Reporterre

Le chiffre est ancien et à prendre avec des pincettes tant la compréhension de la physique des nuages est difficile. Mais il donne un ordre de grandeur de l’influence décisive de ces derniers sur la température globale. Pour être plus précis, les chercheurs estiment l’énergie que l’on reçoit du soleil en calculant la puissance de rayonnement reçu, en watt, pour chaque mètre carré de surface terrestre (noté W/m2). Les nuages refroidissent ainsi la Terre d’environ 20 W/m2. À comparer aux 4,5 W/m2, qui sera le surplus (déjà énorme) emmagasiné à cause des gaz à effet de serre d’ici à 2100, dans le scénario de réchauffement médian à 3 °C.

Incertitudes climatiques

Le rôle refroidissant des nuages est donc capital. Problème : ils sont eux-mêmes perturbés par le changement climatique. Plus le climat se réchauffe, moins les nuages le refroidissent. Les chercheurs savent maintenant avec un haut degré de certitude, selon le dernier rapport du Giec, que cette boucle de rétroaction amplifie le réchauffement d’origine humaine.

Dans quelles proportions les nuages vont-ils aggraver la situation ? Cela reste l’une des principales sources d’incertitude climatique, pour les scientifiques. Il est « probable » que l’effet global des nuages ajoute 0,12 W/m2 à 0,72 W/m2 pour chaque degré de réchauffement, selon le Giec, mais certains phénomènes bénéficient d’un faible degré de confiance. « La diversité des nuages, leur taille, leur épaisseur optique, leur altitude… tout cela contribue à générer de l’incertitude », explique Étienne Vignon, chargé de recherche CNRS au Laboratoire de météorologie dynamique.

« La diversité des nuages, leur taille, leur épaisseur optique, leur altitude… tout cela contribue à générer de l’incertitude », explique Étienne Vignon, chargé de recherche en météorologie dynamique au CNRS.
© P-O. C./ Reporterre

Pour comprendre les défis qu’affrontent les climatologues, il faut plonger un instant la tête dans les nuages. L’atmosphère contient en permanence de l’eau sous forme de gaz, en proportions variables. Mais sa capacité à en contenir est limitée : lorsqu’elle arrive à saturation, le surplus d’eau se condense, il se change en petites gouttelettes liquides, voire en cristaux de glaces, notamment selon les conditions de pression et de température. Ces gouttelettes et cristaux forment les nuages.

Effet parasol contre effet de serre

Simple ? Sauf que ces nuages ne se contentent pas de jouer un effet parasol. Ils contribuent également à l’effet de serre, c’est-à-dire à réchauffer la Terre en absorbant et émettant des rayonnements infrarouges (voir le graphique ci-dessous). Effet parasol refroidissant d’un côté, effet de serre réchauffant de l’autre, lequel des deux effets domine ? Cela dépend des nuages.

Ils peuvent notamment contenir une proportion variable de gouttelettes liquides et de cristaux de glace, ce qui a une influence importante aux latitudes tempérées car les gouttelettes ont un plus grand pouvoir réfléchissant. La taille des gouttelettes et la forme des cristaux joue également.

© Stéphane Jungers / Reporterre

Dans les cumulus, nuages chauds et bas à maximum 2 ou 3 km d’altitude, souvent très épais, l’effet parasol refroidissant domine. A l’inverse, les cirrus, qui flottent bien plus haut dans la troposphère, jusqu’à 14 km, sont très fins, bloquent beaucoup moins les rayons du soleil et l’effet de serre y est dominant, leur influence climatique est donc réchauffante.

Boucles de rétroactions climatiques

Le changement climatique bouleverse ces équilibres dans tous les sens. La hausse des températures va faire monter les cirrus en altitude, ce qui va renforcer leurs caractéristiques réchauffantes. D’autres processus peuvent avoir des effets contraires. « Avec le réchauffement, on s’attend à avoir moins de glace et une proportion de plus en plus importante de gouttelettes dans les nuages dans les régions de moyennes latitudes, donc une hausse de l’effet parasol et un effet refroidissant », souligne Étienne Vignon.

À l’inverse, le chercheur travaille également sur la modélisation des nuages dans l’océan Arctique et, là-bas, la boucle de rétroaction pourrait aggraver le réchauffement. « À l’automne, la banquise se réduit de plus en plus, ce qui entraîne plus d’évaporation de l’océan et donc plus de formation de nuages à basse altitude. Ceux-ci provoquent beaucoup d’effet de serre », dit-il. Comme il y a peu de soleil dans cette région à l’automne, l’effet parasol ne joue pas beaucoup. L’effet de serre, au contraire, accélère la fonte de la banquise, accélérant encore le réchauffement dans une boucle de rétroaction délétère.

Effet de serre par dessous, effet parasol par dessus… Insuffisamment connue, l’influence des nuages sur le climat sera pourtant déterminante.
© P-O. C./ Reporterre

Ces deux effets contradictoires restent mal compris et difficiles à quantifier. Surtout, ils ne représentent qu’une petite partie des interactions climatiques impliquant les nuages. Il faudrait y ajouter l’évolution globale de la couverture nuageuse (à chaque degré de réchauffement, l’atmosphère peut contenir 7 % d’eau en plus), la répartition des nuages (l’effet parasol couvre plus de surface avec des nuages très éparpillés que s’ils sont très concentrés), la vitesse à laquelle ces nuages se changent en pluies et disparaissent, la difficulté à anticiper la présence de ces nuages de jour ou de nuit (en l’absence de soleil, l’effet parasol est absent et l’effet de serre domine la nuit), etc.

« En Antarctique, l’effet parasol ne joue pas puisque la surface glacée blanche réfléchit déjà très bien le soleil. Mais si la glace fond et révèle un sol plus sombre, là l’effet parasol des nuages devient beaucoup plus important, explique Christoph Kittel, chercheur en climatologie à l’université Grenoble Alpes. Selon la part de glace et d’eau liquide dans le nuage, les conséquences changent aussi complètement. Selon le modèle de nuage que l’on utilise, l’avenir de la fonte globale en Antarctique varie de 50 % dans le pire scénario. Des points de bascule sont possibles mais encore très mal compris. »

Les défis de la modélisation

C’est l’autre difficulté que rencontrent les chercheurs : au-delà de la complexité des nuages, se trouve celle de les modéliser dans leurs ordinateurs. « Nos modèles fonctionnent très bien et on a de bonnes indications sur l’évolution moyenne du climat. Mais il reste de fortes disparités entre modèles, notamment sur les nombreuses incertitudes liées aux nuages et il reste beaucoup de travail scientifique à faire sur la paramétrisation », note Étienne Vignon.

D’où l’intérêt de poursuivre et affiner les observations, comme le fait le satellite EarthCARE. En plus de s’intéresser à la physique des nuages et à leur rayonnement thermique, les instruments de l’ESA vont se concentrer sur les « précurseurs des nuages ». Car si l’eau se condense lorsque l’atmosphère est saturée, la formation de nuage est favorisée par la présence de poussières, sels marins, combustibles fossiles, pollens ou autres particules autour desquelles gouttelettes et cristaux vont s’agglomérer.

En plus du type de nuage, les éléments externes naturels ou artificiels qui les composent joueront également sur leurs effets.
© P-O. C./ Reporterre

Or, la présence de ces aérosols dans l’air est elle-même bouleversée par le changement climatique et ajoute une couche de complexité à la compréhension de l’évolution du climat. « L’évolution des tempêtes dans le Sahara peut par exemple soulever plus de sable, l’évolution de la végétation ou les floraisons précoces liées au réchauffement peuvent changer la distribution du pollen, les tempêtes marines plus fréquentes apporter des sels dans l’atmosphère, sans parler des polluants industriels et des combustibles fossiles », énumère Dominique Gilliéron.

« Ces changements d’aérosols vont-ils favoriser la formation de cirrus qui augmentent l’effet de serre ou de cumulus à l’effet rafraîchissant ? » questionne-t-il. Les modèles auront peut-être affiné leur réponse d’ici trois ou quatre ans, lorsque le satellite aura fini sa mission. D’ici là, il reste une certitude que les climatologues rabâchent inlassablement : plus nous émettons de gaz à effet de serre, plus nous nous enfonçons dans les brumes de dérèglements catastrophiques.



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