• lun. Nov 11th, 2024

Le Haut Conseil pour le climat appelle le gouvernement à redoubler d’efforts


« Léger mieux. Mais doit à tout prix redoubler ses efforts. » Si le gouvernement était un élève, il trouverait peut-être une appréciation de ce type, pour la matière « lutte contre le changement climatique », sur son bulletin de fin d’année.

Le Haut Conseil pour le climat (HCC), une instance consultative indépendante dont la mission consiste à évaluer l’action publique climatique, a publié le 20 juin son sixième rapport annuel. Principale conclusion : la baisse des émissions de gaz à effet de serre « brutes » (c’est-à-dire n’incluant pas l’effet des puits de carbone) de la France s’est enfin accélérée l’année dernière. En 2023, elles ont diminué de 5,8 % par rapport à 2022, pour atteindre 387 millions de tonnes équivalent CO2 (Mt éqCO2), soit une baisse de 22,8 Mt éqCO2. Il s’agit du plus bas niveau observé depuis le début des inventaires, salue le HCC.

Selon les estimations de ses experts, environ un tiers de cette baisse est due à des facteurs conjoncturels, notamment la reprise de la production nucléaire après l’arrêt d’une vingtaine de réacteurs en 2022, la diminution des activités industrielles, ou encore la réduction du cheptel bovin en raison des difficultés rencontrées par le secteur. Les 15,3 Mt éqCO2 restants — l’équivalent de 15 millions de vols allers-retours Paris-New York par personne — peuvent être considérés comme la part maximale de la baisse attribuable aux politiques publiques, explique à Reporterre la présidente du Haut Conseil pour le climat, la climatologue franco-canadienne Corinne Le Quéré.

Une baisse de 15 Mt éqCO2 par an est nécessaire jusqu’à la fin de la décennie

En moyenne, sur la période 2019-2023, les émissions brutes du pays ont diminué de 13,2 Mt éqCO2 par an. Ce rythme « se rapproche » de celui nécessaire pour s’aligner sur nos objectifs de décarbonation… « sans toutefois l’atteindre », précise le rapport. D’ici 2030, l’Union européenne prévoit de réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990. Cela signifie que les émissions brutes de la France doivent diminuer, en moyenne, de 15 Mt éqCO2 par an jusqu’à la fin de la décennie. Il est donc encore trop tôt pour sabrer le champagne. Le « cap de la décarbonation » doit absolument être tenu dans la durée.

C’est là où le bât blesse. La stratégie climatique française accuse un retard important. Ni la loi de programmation énergie et climat, ni la stratégie française énergie et climat, ni la troisième stratégie nationale bas carbone, ni le troisième plan national d’adaptation au changement climatique, ni la troisième programmation pluriannuelle de l’énergie — des documents fixant la marche à suivre pour les prochaines décennies, et permettant aux acteurs de la transition de se projeter sur le long cours — n’ont été formellement adoptés en 2023. Ces atermoiements « fragilisent l’action climatique », souligne Corinne Le Quéré, et « induisent un risque de recul » environnemental.

• Les risques des nouveaux réacteurs nucléaires

Les politiques en place sont par ailleurs encore « insuffisantes » pour atteindre la neutralité carbone en 2050, telle que s’y est engagée la France aux côtés du reste de l’Union européenne en 2019. Dans le secteur de l’énergie, d’abord. « Vu la forte incertitude industrielle », la stratégie de renouvellement du parc nucléaire imaginée par le gouvernement — qui espère construire quatorze nouveaux réacteurs d’ici le mitan du siècle — « fait peser des risques sur la disponibilité en électricité décarbonée à horizon 2035 », selon le Haut Conseil pour le climat. Ces risques, poursuit-il, sont pour l’heure « insuffisamment compensés par la croissance des énergies renouvelables ». Ni l’éolien terrestre, ni l’éolien en mer, ni le photovoltaïque n’ont atteint les cibles fixées par la dernière programmation pluriannuelle de l’énergie.

Le gouvernement souhaite construire quatorze nouveaux réacteurs d’ici mi-2050. Ici, la centrale du Bugey dans l’Ain.
Wikimedia Commons/CC BYSA 4.0 Deed/Chabe01

Pire : la France soutient la création d’infrastructures qui risquent de l’enfermer dans son addiction aux énergies fossiles. En 2023 a ainsi été mis en service, dans le port du Havre, un terminal flottant de stockage et de regazéification, destiné à l’importation de gaz naturel liquéfié depuis les États-Unis, le Qatar et l’Afrique. Le développement du gaz naturel liquéfié n’est « pas cohérent avec les objectifs climatiques », insiste Corinne Le Quéré.

• Les transports en retard

La trajectoire du secteur des transports — qui est responsable d’un tiers des émissions de la France — n’est guère plus réjouissante. Si l’électrification des véhicules semble « en bonne voie », la motorisation des poids lourds n’évolue « quasiment pas ». Les investissements dans les transports collectifs sont également jugés « insuffisants » par la climatologue.

Rien ne semble par ailleurs mis en place par le gouvernement pour réduire à la source les besoins de transport — un axe de décarbonation pourtant crucial, selon les spécialistes. « On a besoin d’actions de sobriété plus structurelles », souligne la climatologue, qui évoque notamment « l’encouragement aux véhicules plus légers et plus petits ».

• Le retour des monogestes dans le bâtiment

Même manque de vision d’ensemble et de long terme dans le secteur du bâtiment. En la matière, la stratégie du gouvernement « continue d’être marquée par un soutien aux monogestes de rénovation », déplore Corinne Le Quéré. Les aides restent par ailleurs centrées sur le changement des modes de chauffage thermiques vers des dispositifs électriques.

« Cette stratégie permet de baisser les émissions à court terme, observe la climatologue. Mais elle se fait au détriment du développement de l’isolation des bâtiments, qui est nécessaire pour atteindre un parc bas carbone, limiter les besoins additionnels en électricité décarbonée, et réduire la précarité énergétique. »

• Un recul dans l’agriculture

En ce qui concerne l’agriculture, qui représente 20 % des émissions territoriales, le Haut Conseil pour le climat constate un « recul » de l’action publique climatique au cours des douze derniers mois. Les réductions des normes environnementales annoncées en janvier et février 2024 par le Premier ministre Gabriel Attal, en réponse à la crise agricole, sont notamment jugées comme pouvant être « négatives ».

La majorité des mesures adoptées en 2023 « favorisent le statu quo de la production agricole actuelle, analyse Corinne Le Quéré, alors qu’il faudrait plutôt accompagner les agriculteurs, qui sont très impactés par le réchauffement climatique, vers une production plus résiliente et moins intensive ».

Il faudrait notamment accompagner les agriculteurs vers une production moins intensive.
Pxhere/CC0

• Les forêts, des laissées-pour-compte

À cela, il faut ajouter l’état inquiétant des forêts françaises. Avec les autres puits de carbone naturels (comme les prairies), elles absorbent 5,5 % des émissions brutes de gaz à effet de serre du pays. Hélas, le changement climatique les fait dépérir, au point que la mortalité des arbres pourrait croître de 77 % d’ici 2050, selon une récente étude réalisée par l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN). Aucune stratégie d’ampleur ou plan de régénération des forêts n’a été élaboré pour protéger ce puits de carbone vital, déplore Corinne Le Quéré. Jean-François Soussana, ingénieur agronome et membre du HCC, regrette également l’absence de « politique nationale ambitieuse de carbone dans les sols », notamment agricoles.

Autre motif d’inquiétude : le manque d’investissement dans l’adaptation au changement climatique, un chantier pourtant « massif », selon la sociologue et membre du HCC Sophie Dubuisson-Quellier. « Les impacts du changement climatique croissent plus vite que les moyens mis en œuvre » pour y survivre, constate-t-elle. Ils seront « d’autant plus coûteux » s’ils sont élaborés tardivement.

La France a été touchée par plusieurs événements extrêmes en 2023, l’année la plus chaude jamais enregistrée depuis le début des mesures météorologiques : une sécheresse intense en plein hiver, des canicules marines en Méditerranée, des vagues de chaleur accablantes durant l’été… Les efforts pour atténuer leurs effets restent « en décalage » par rapport aux besoins, note Corinne Le Quéré. « Le plan national d’adaptation au changement climatique est en retard. Il faut le publier le plus vite possible. »

Certes, la France semble aujourd’hui « dans une position beaucoup plus favorable à l’atteinte des objectifs 2030 », conclut Corinne Le Quéré. Mais elle ne doit pas pour autant se reposer sur ses lauriers. « Il ne faut pas s’arrêter là. Sinon, on va reculer. »



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