• dim. Sep 22nd, 2024

Dans un quartier populaire, un PMU transformé en bar des luttes


Nîmes (Gard), reportage

Le long du boulevard Gambetta, la terrasse du Bar du midi se remplit vite en ce mercredi ensoleillé. Tout le monde cherche de l’ombre en bougeant les tables qui finissent par endroit à n’en former plus qu’une. Le repas à prix libre, servi en solidarité avec une famille de réfugiés, fait l’unanimité à coup de « miam, c’est drôlement bon ! », « à ton avis, c’est quoi comme épice ? ». « Rien de tel que la nourriture pour délier les langues et déclencher des discussions », commente Romain, 37 ans, chercheur indépendant en histoire sociale et cogérant de ce bar PMU à vocation sociale.

L’envie des trois amis, lorsqu’ils ont racheté le lieu en décembre 2022 grâce à un emprunt bancaire, était de parvenir à mélanger des groupes sociaux qui jusqu’alors ne se côtoyaient pas en conservant dans son jus le PMU installé là depuis 60 ans. Ainsi, les anciens clients du bar, plutôt pauvres et racisés, sont restés et ont vu débarquer à leur table des étudiants, des syndicalistes, des militants. « Beaucoup n’y croyaient pas, nous disaient que ça n’allait pas marcher à cause de la réputation du quartier », se remémore Clément, 35 ans, cogérant.

Noumina et Messaouda, du collectif des habitants organisés du 3e arrondissement de Marseille, ainsi que Kamel du restaurant l’Après-M présentent leurs actions pour lutter contre la précarité alimentaire.
© Estelle Pereira / Reporterre

Concrètement, on y va pour boire un verre ou pour aller à une réunion militante, assister à une projection ou écouter une conférence. Début juin, ils ont même lancé le premier festival d’écologie populaire Les Vers du ter-ter, avec une question : « Comment reprendre le pouvoir sur notre alimentation ? » « La nourriture est une question éminemment politique », résume Romain.

Leur ambition : faire de l’écologie populaire. Et cela commence avant tout, pour Romain, par casser les barrières symboliques et géographiques entre les quartiers nîmois en permettant aux habitants de se retrouver, de discuter, d’échanger. Si le bar met à disposition ses locaux pour la campagne des législatives anticipées, Romain insiste : « Même si nous sommes contre l’arrivée du Rassemblement national au pouvoir, nous ne voulons pas être utilisés par un parti politique. Nous entendons plutôt favoriser le mouvement social, l’organisation des citoyennes et citoyens par eux-mêmes pour qu’ils puissent mettre à leur tour la pression aux élus. »

Quartier coupé du reste de la ville

Le quartier Gambetta-Richelieu est classé « quartier prioritaire de la politique de la ville » pour son niveau de pauvreté (selon l’Insee, 43 % de sa population vivait sous le seuil de pauvreté en 2022). Bien que situé à la lisière du centre-ville nîmois, le quartier est coupé du reste de la ville — Nîmes fait partie des dix villes les plus ségréguées en France [1]. Autrement dit : le revenu détermine le lieu de vie des habitants, et les riches et les pauvres peuvent vivre à 100 mètres de distance sans jamais se croiser.

Romain Duplan, 38 ans, chercheur indépendant en histoire sociale, a racheté le Bar du Midi avec deux amis avec l’ambition d’en faire un lieu de politisation et de convergence entre luttes sociales et écologiques.
© Estelle Pereira / Reporterre

« Les personnes les plus précaires sont aussi les plus confrontées aux effets du changement climatique, à la hausse du coût de l’énergie, de l’alimentation et elles sont aussi celles que l’on entend le moins sur ces questions. Pourtant, elles pratiquent une écologie “subie” : prendre les transports en commun, consommer moins, les quartiers populaires le font déjà au quotidien », insiste-t-il.

« Les précaires sont les plus confrontés aux effets du changement climatique »

Créer des passerelles après des années de ségrégation et de banalisation des idées racistes : le défi est immense. Avec son air joyeux, Mohsen, 72 ans, est ravi de l’ouverture du bar. « La politique de la France est de mettre les immigrés dans des ghettos. Un lieu comme le Bar du Midi casse cette spirale de séparation. Mais pour sortir les gens d’un ghetto, il faut du temps ! Il y a des immigrés qui vont au bar, qui ne discutent pas forcément au début, parce qu’ils ont des difficultés de langage, mais au moins il y a un contact. Petit à petit, les gens oublient leur appréhension », observe le retraité plein d’espoir.

L’arrivée du Bar du Midi, qui met une salle de réunion à disposition, est une bouffée d’air pour bien des Nîmois.
© Estelle Pereira / Reporterre

« Les rencontres faites au Bar du Midi nous permettent de toucher terre », réagit Odessa, 35 ans, membre du comité de quartier Gambetta-Révolution. L’association chargée de porter la voix des habitantes et habitants auprès des pouvoirs publics ne dispose pas de locaux pour se réunir. L’arrivée du Bar du Midi, qui met une salle de réunion à disposition, est une bouffée d’air selon Isabelle, 62 ans, coprésidente du comité : « Les gens se referment de plus en plus sur eux-mêmes. Ils sont happés par les écrans et cela s’est accentué avec le Covid. Notre combat est de les faire sortir de chez eux, qu’ils voient qu’il existe autre chose que l’argent et la société de consommation et que l’on peut agir à son échelle pour son quartier. »

Un lieu pour parler politique

« Dans les autres quartiers populaires de la ville, il n’existe aucun lieu pour discuter de la politique », déplore Madani, 55 ans. Accolé à l’entrée du bar, ce militant de longue date pour le droit au logement dans les quartiers populaires estime avoir « réglé plus de problèmes ici que dans n’importe quel endroit ». Un ami d’enfance, originaire comme lui de la ZUP Nord, le quartier populaire de Valdegour, l’accoste, les yeux gonflés de fatigue. Il lui raconte avoir subi la veille un contrôle de police dans son épicerie et lui montre une vidéo de son arrière-boutique saccagée. « Pourquoi ont-ils été obligés de tout détruire ? », enrage-t-il. Pendant qu’il vide son sac, des gens lui tapent dans le dos en signe de soutien.

Le Festival d’écologie populaire Les Vers du ter-ter a proposé un atelier gratuit sur le compostage et les semis, début juin.
© Estelle Pereira / Reporterre

Madani rebondit : « Faire de l’écologie populaire, c’est aussi et surtout se sentir concernés par les difficultés des habitants des quartiers : le racisme, les violences policières, le mal-logement. Autant de sujets qui nécessitent aussi des actions politiques et de la solidarité. »

Derrière le bar, tout sourire, Clément, ancien designer social, sert tour à tour cafés et bières. Un client paye sa tournée à son voisin. Une coutume à en croire le tableau où sont notés les « cafés suspendus », payés par certains pour ceux qui n’en auraient pas les moyens. Le cogérant trouve son rôle sur le lien social plus important dans un tel lieu que lorsqu’il travaillait pour des ministères : « Nous voyons des amitiés qui se créent, des solidarités qui se mettent en place. »

« Nous voyons des solidarités se mettre en place »

Sur un kiosque, une vingtaine de titres de presse indépendante et des livres sont à disposition. Des conférences, des projections sont régulièrement organisées. Les trois associés ont voulu un bar où l’accès au savoir est facilité. Mais aussi un endroit où l’on peut s’informer sur les initiatives locales. « La ville de Nîmes compte énormément d’associations, mais chacune bosse dans son coin. Je constate beaucoup d’épuisement parmi les militants. La question est : comment faire pour s’entraider, se soutenir ? » explique Romain.

Mohsen, 72 ans : « Pour sortir les gens d’un ghetto, il faut du temps. »
© Estelle Pereira / Reporterre

Autour d’un « café des luttes », des associations locales ont pu partager leur combat : celui contre le contournement ouest de Nîmes – un projet de 2×2 voies sur 15 km qui menace d’artificialiser 150 hectares de zones naturelles – ou encore celui du comité de quartier pour la création d’un îlot de fraîcheur à la place d’un immeuble. La Confédération paysanne du Gard et le collectif nîmois de soutien aux Soulèvements de la Terre ont pu annoncer leur projet de création de la Sécurité sociale de l’alimentation.

« Il y avait besoin d’un lieu comme celui-ci pour que chacun puisse sortir de sa léthargie et de son entre-soi », appuie Odessa. Une façon de réapprendre à vivre ensemble, à faire société, en somme. « Parler des quartiers alors que tu n’y vis pas, parler de l’agriculture alors que tu ne cultives pas, si tu ne côtoies pas les gens et que tu restes sur la théorie, tu loupes forcément des choses », pense Josépha, 24 ans. Militante et bénévole, elle espère que pour sa prochaine édition, le festival se tiendra en lien avec tous les autres quartiers populaires nîmois.



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