• ven. Sep 20th, 2024

Zizou, Abbé Pierre… Ces drôles d’affiches pour soutenir le Front populaire


« Salade, tomate, union » ; « Le front de l’air est gai » ; « On s’engueulera plus tard »… Depuis le 9 juin, des affiches drôles et colorées ont pris d’assaut les réseaux sociaux et la rue à l’occasion des manifestations contre l’extrême droite. Le but de ces visuels, où l’on peut voir des photos détournées de l’Abbé Pierre, Zizou ou encore Aya Nakamura : soutenir le Nouveau Front populaire pour les élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet.

Le site qui héberge ces images libres de droit, 24×36.art — un nom en référence aux Fronts populaires de 1936 et 2024, mais aussi au format des affiches — est participatif. Tout un chacun peut ainsi créer et proposer une illustration qui, si elle est sélectionnée par les fondateurs de la plateforme, est ensuite téléchargeable gratuitement. 

« On ne s’attendait pas à en recevoir autant : à un moment, on recevait une image par minute ! » Au bout du fil, l’enthousiasme de Geoffrey Dorne, à l’origine du projet avec le designer Mathias Rabiot, est largement perceptible. Celui qui est également designer indépendant depuis vingt ans explique à Reporterre que 24×36.art a pour l’heure réceptionné plus de 2 000 propositions, dont environ 200 sont disponibles sur le site, et plus de 500 000 visites en quelques jours.

« Après l’annonce de la création du Nouveau Front populaire, Mathias Rabiot m’a appelé en me disant qu’il fallait absolument qu’on fasse quelque chose. Il a créé une maquette, et moi j’ai codé le site en 5 ou 6 heures », explique Geoffrey Dorne. L’homme de 39 ans, « toujours partant quand il y a des projets engagés et engageants », a l’habitude de mettre à profit ses compétences professionnelles pour soutenir des luttes : par le passé, il a travaillé pour des ONG, la Quadrature du net ou le Parti pirate. 

Quelques-unes des affiches visibles sur le site 24×36.art.

Si, en ces temps anxiogènes, le dénominateur commun à toutes ces affiches est de créer « des imaginaires politiques positifs, avec du rêve, de l’humour, de l’amour aussi », le profil des participantes et participants à l’initiative, lui, est varié. Des illustrateurs et graphistes professionnels sont bien sûr impliqués, mais de nombreux amateurs et amatrices sont également force de proposition. « On a aussi reçu des images de la part d’étudiants, de profs, de parents qui ont créé une affiche avec leurs enfants… Plein de gens ont fait des choses magnifiques », raconte Geoffrey, qui souligne « le poids social, culturel et symbolique qu’une affiche ou une illustration peut porter »

Le pouvoir de l’image

Sophie, graphiste indépendante qui a elle-même proposé une idée à 24×36, abonde : « Je me sens assez impuissante face à la situation actuelle et à la machine de guerre qu’est l’extrême droite. Le fait de créer une affiche est un maigre pouvoir qui m’est donné : celui de faire passer visuellement un message politique. » Pour la Rouennaise de 37 ans, le fait que ces images soient partout sur les réseaux sociaux est en outre positif au regard de l’omniprésence de l’extrême droite sur TikTok, Facebook et cie.

Un avis partagé par le journaliste Gerald Holubowicz, qui a lui aussi imaginé une affiche mettant en scène Léon Blum : « On a lâché la bataille culturelle depuis des années : on a attendu et laissé gentiment se droitiser l’espace culturel et médiatique, ainsi que les réseaux sociaux. Ce qui se passe avec 24×36 permet de rappeler que la gauche ne doit pas hésiter à porter ses valeurs », dit-il, notant que les adversaires de l’union des gauches, eux, ne rechignent pas à la tâche.

Des affiches « drôles, fraîches, joyeuses, qui marquent une époque ».

Selon lui, le projet est en tout cas venu opportunément « dépoussiérer » la communication visuelle et politique classique. « Les partis se sont contentés depuis belle lurette de créations plus institutionnelles les unes que les autres. Là, on a des affiches drôles, fraîches, joyeuses, qui marquent aussi une époque », affirme-t-il.

Une esthétique et un esprit « optimiste » qui plaisent également à Antoine, graphiste du Studio Topo, à Lyon. « J’aime bien cette idée de créer, grâce à mes compétences professionnelles, une “arme” qui va pouvoir servir potentiellement à 1, 10 ou 1 000 personnes, qui vont pouvoir partager ou imprimer mon affiche. Au fond, c’est un travail d’équipe », ajoute le jeune homme de 31 ans, qui a créé l’image « C’était mieux avant, quand les gens ne votaient pas pour l’extrême droite ».

« Mettre sa peur dans l’action »

Le travail d’équipe est également au cœur d’une initiative similaire : Formes de luttes. Créé en 2019 à l’occasion de la mobilisation contre la réforme des retraites, ce collectif met aussi à disposition gratuitement sur son site des œuvres en faveur du Nouveau Front populaire (mais pas que).

« Depuis quelques jours, les images arrivent en flux continu, explique Sébastien Marchal, cofondateur de Formes de luttes. Au fond, on est peu de graphistes à produire des formes sur le terrain politique et social. Mais cela ne veut pas dire que ceux qui travaillent davantage sur un terrain culturel, voire institutionnel ou commercial n’ont pas d’idées politiques, comme en témoignent leurs propositions lors de nos appels à images. » Depuis 2019, près de 700 images signées de plus de 300 graphistes ont été mises en ligne.

Des affiches publiées sur Formes de luttes : celles de Bureau Coupe Coupe (à g.) et Dugudus.

Contrairement à celles de 24×36, toutes les affiches de Formes de luttes sont signées de leurs auteurs et autrices, et servent également à la création d’autocollants distribués en manifs. Leurs formes sont par ailleurs très différentes, là où celles du site de Geoffrey Dorne et Mathias Rabiot ont toutes la même typographie et la même palette de couleurs. « C’est important pour nous de maintenir la dimension des auteurs et de la diversité du graphisme », explique Bruno Charzat, cofondateur du collectif, où bon nombre d’artistes sont par ailleurs impliqués dans des associations, des syndicats ou des partis.

Sur Formes de luttes, les affiches de Louise Jardin (à g.) et Affiche Encollèr.

Parmi les contributrices, on peut citer Magali Brueder, qui a rejoint Formes de luttes il y a environ quinze jours. « Cela fait longtemps que j’utilise mes capacités de graphiste et d’artiste pour communiquer autour des luttes, quelles qu’elles soient. Aujourd’hui, il y a un sentiment d’urgence : les législatives vont arriver très vite. Ce qui se passe fait peur, mais je me dis qu’il vaut mieux essayer de mettre sa peur dans l’action plutôt que dans l’immobilisme », dit-elle. 

Gerald Holubowicz confirme : « Tout le monde ne peut pas forcément se déplacer, faire du porte-à-porte, du tractage. Proposer des affiches politiques, c’est une façon de participer humblement à cette mobilisation. »



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