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En Argentine, l’extrême droite abandonne les paysans


21 juin 2024 à 15h16
Mis à jour le 22 juin 2024 à 11h18

Durée de lecture : 4 minutes

Vous lisez le troisième épisode de notre série « L’écologie selon l’extrême droite ». Le premier est ici, le deuxième là.

Buenos Aires (Argentine), correspondance

Démanteler, puis laisser à l’abandon. Voilà le modus operandi du gouvernement du climatosceptique Javier Milei, élu pour assainir les comptes publics à grands coups de licenciements de fonctionnaires. Comme de nombreux pans de l’État argentin, celui (marginal) consacré à l’agriculture paysanne a aussi été victime de la thérapie de choc imposée dès l’arrivée au pouvoir de l’économiste ultralibéral, il y a à peine plus de six mois. Sans argent, plus de fonctionnaires, et c’est un service public qui disparaît.

Le 19 mars, Manuel Adorni, porte-parole du gouvernement, a ainsi annoncé la fermeture de l’Institut national de l’agriculture familiale, paysanne et indigène (Inafci). Créé en 2022, l’Inafci était l’héritier de deux décennies de politique d’État en la matière dont les prémices furent écrites par le Programme social agricole, créé en 1993 et remplacé en 2013 par le Secrétariat de l’agriculture familiale. Selon la FAO : « L’agriculture familiale est un système agraire reposant sur des exploitations de petite dimension travaillées chacune par une famille consommant une partie de sa production. » 250 000 familles seraient inscrites au Registre national d’agriculture familiale (Renaf, en espagnol).

Dans sa conférence de presse, Adorni évoque la création, en substitution de l’Inafci et de ses 964 employés, d’une « direction », composée de 64 salariés. Depuis, les 900 employés « de trop » n’ont reçu aucune nouvelle et ne sont tout simplement plus payés. « Celles et ceux qui le peuvent continuent d’apporter leur soutien aux projets en cours, mais c’est très difficile car il nous faut travailler en parallèle pour vivre », résume Pamela Mackey depuis la province de San Luis (Ouest), ancienne employée.

« Le gouvernement soutient le modèle extractiviste de l’agrobusiness »

L’annonce fut suivie d’une manifestation de mouvements écolos, à laquelle ont notamment participé Adolfo Pérez Esquivel, prix Nobel de la paix, et Miryam Kurganoff de Gorban, référente de la souveraineté alimentaire. Un panel de soutiens qui dépasse les rangs de l’Inafci, car l’affaiblissement de l’agriculture paysanne sert de sonnette d’alarme à une série de problèmes environnementaux à venir. « Comme dit le slogan, l’agriculture familiale refroidit la planète. Il s’agit d’une production peu gourmande. Elle est agro-écologique par nature, même s’il elle n’en a pas souvent l’étiquette, dit Julián Monkes, climatologue et professeur de l’Université de Buenos Aires (UBA). En plus d’aller à l’encontre de la protection de l’environnement, ce genre de mesures va participer à rendre plus difficile et plus cher l’accès aux produits frais pour l’ensemble de la population. Dans le même temps, le gouvernement soutient le modèle extractiviste de l’agrobusiness, qui transforme l’eau et les nutriments en dollars, via l’exportation. »

Les petits paysans, une « résistance au modèle extractiviste »

L’agriculture familiale garantit plus de 60 % des aliments frais — fruits, légumes, œufs, viande… — consommés par les Argentins, y compris en milieu urbain. La capitale Buenos Aires se fournit dans son grand marché de gros (le Mercado central), vers lequel convergent les petits producteurs de la ceinture agricole de la Province de Buenos Aires.

Selon Eliana Negrete, une autre ex-employée de l’Inafci, basée à La Plata, à cinquante kilomètres de Buenos Aires, « si l’activité n’est plus rentable et que l’État n’aide pas les petits producteurs, ceux-ci n’auront d’autre choix que d’abandonner leurs exploitations, pour s’installer en milieu urbain ». La politique de Milei pourrait donc accélérer le phénomène d’exode rural.

Les travailleurs de l’agriculture familiale craignent aussi des conséquences sur le climat à moyen terme. « Les familles d’agriculteurs vivent près des montagnes, des sources d’eau, au contact de la vie, déroule Pamela Mackey, ancienne employée de l’Inafci, quinze ans d’expérience au compteur. Par leur présence, ces petits producteurs opposent une résistance aux grandes exploitations minières et à l’agrobusiness. Ils sont le sujet politique de résistance au modèle extractiviste. »


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