• ven. Sep 20th, 2024

« Dans mon jardin du Gard, le paillage est tout un art »


Notre journaliste Marie Astier a un grand potager, chez elle, dans les Cévennes. Dans cette chronique, elle livre astuces et réflexions parce que jardiner… c’est politique. Voici le premier épisode.




Je me souviens de son regard effrayé. Il avait retenu ses mots, mais notre étendue de terre brune, à nue, avait suscité chez lui un frisson d’horreur. C’est du moins ce que j’avais ressenti. C’était le compagnon d’une amie, ils étaient passés chez nous dans les Cévennes quelques heures, au détour d’un périple sudiste. Il s’y connaissait, en potager. Et j’avais eu l’impression que pour lui, ne pas recouvrir le sol au pied de ses tomates, patates et autres courgettes était un sacrilège. C’était il y a quelques années, notre potager ne devait avoir qu’un ou deux ans. Je débutais, j’avais ressenti un peu de honte.

Pailler le sol a de multiples vertus. J’ouvre un manuel de jardinage — le guide Terre vivante du potager productif et écologique, 2024, ed. Terre vivante). Voici la liste qu’il en fait : cela permet d’économiser l’eau (il garde l’humidité), de limiter la pousse des herbes indésirables, freine les maladies (celles dues aux champignons, bactéries ou virus présents dans le sol), il évite que les pluies fortes dament le sol et le rendent ainsi moins perméable, il protège les vivants du sol, les nourrit, et favorise le développement des mycorhizes, champignons des racines qui aident la plante à se nourrir.

Les oignons paillés, à droite, ont davantage poussé que ceux, non paillés, de gauche.
© Marie Astier / Reporterre

Avant même de faire du potager, je savais donc bien que pailler est un geste écologique essentiel au jardin. Mais j’ai appris à faire un potager au fil des années, en faisant avec mon compagnon qui lui-même a appris de ses parents et de son grand-père. Nous avons donc démarré dans la lignée de cette tradition familiale, faisant ce que j’appelle un potager « façon papy ». Les vieux, ici, ne paillent pas. La terre expose ses nuances de brun et noir aux yeux de tous et toute herbe verte indésirable qui poindrait est aussitôt évacuée. Un peu comme une cuisine parfaitement rangée où l’on se demande si elle est parfois utilisée.

« Les vieux, ici, ne paillent pas »

Là aussi, voyant bien que notre jardin était moins « propre », j’avais un peu honte face aux leurs. Nous n’avons jamais réussi à gagner la course aux herbes folles, nous ne sommes pas à la retraite. Nous n’étions même pas intéressés à la remporter. Nous nous sommes donc peu à peu mis à pailler, pour limiter désherbage et arrosage.

Mais cette année, mon potager est à nouveau majoritairement à découvert en ce début juin. Par endroit la terre est damée par les nombreuses et parfois denses pluies de printemps. Je pleure pour ses habitants. Nous n’avons pas eu le temps de pailler, enfin à peine. Nous utilisons majoritairement un matériau abondant chez nous, l’herbe de tonte. Il faut la ratisser en très grandes quantités (le microtracteur n’a pas de sac de ramassage), l’amasser, l’étaler au jardin. C’est laborieux.

Escargots et limaces s’en sont donné à cœur joie

Cela dit, peut-être qu’il est heureux que nous n’ayons pas eu le temps. Car là où j’avais couvert la terre avec ce que j’avais sous la main, escargots et limaces s’en sont donné à cœur joie. Les premiers semis dans la serre, où j’avais épandu une couche de feuilles, ont été ravagés. J’apprends d’ailleurs en lisant mon manuel qu’escargots et limaces adorent les paillis de feuilles… Les courges, que j’avais plantées avec les chaleurs d’avril, ont été grignotées tout le printemps, j’en ai replanté deux fois. J’avais mis le broyat des branches taillées cet hiver au pied des courgettes patiemment couvées dans ma petite serre, où j’avais réussi à les préserver des gastéropodes. Toutes ne sont pas rescapées.

D’habitude, notre climat du Sud suffit à limiter la présence des escargots et limaces, il n’y a que dans la serre humide où ils me posent problème. Je me suis toujours considérée protégée des problèmes de mes parents et leur potager francilien qu’ils paillent abondamment, certes, mais où les salades sont une espèce en voie de disparition.

Paillage au pied des tomates.
© Marie Astier / Reporterre

Ce printemps pluvieux me rappelle donc que le paillage est une science complexe. Et le changement climatique appelant cette météo à se reproduire, il va falloir que je m’y penche.

Mon manuel m’explique qu’une façon de ne point trop nous embêter serait de faire comme la majorité des jardiniers : utiliser la paille. Aérée, elle n’étouffe pas le sol et elle est désagréable pour les escargots et limaces. En fait, la solution n’est pas si simple, les variables multiples.

« Faire avec » les matières déjà présentes au jardin

Chez nous, trouver de la paille biologique en quantité suffisante implique de faire beaucoup de kilomètres. Je tiens à notre habitude de « faire avec » les matières déjà présentes au jardin. Alors, il faudra ruser. N’utiliser les matériaux propices aux bêtes gourmandes et rampantes que l’hiver. Découvrir le sol dans les périodes humides au printemps, surtout au pied des salades ou cucurbitacées dont ils raffolent. Commencer par les légumes qui ne subiront pas d’attaque, tels que les oignons.

La terre craquèle au pied des oignons non paillés.
© Marie Astier / Reporterre

En ce début juin, on a pu tondre après les pluies, je recommence à pailler. Les tomates en premier, qui craignent moins. Je tremble en revanche pour les salades, poivrons et aubergines, qui auraient bien besoin d’un coussinet à leurs pieds mais sont déjà grignotés malgré le sol à découvert.

Pailler est un geste de base important, mais c’est aussi une opération chronophage et délicate. J’aimais notre pragmatisme presque romantique qui consistait à faire avec ce que nous avions sous la main, comme on peut et quand on peut. Nous continuerons, mais avec un peu moins d’insouciance et un peu plus de connaissance.



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