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Le biniou et la techno, par Éric Delhaye (Le Monde diplomatique, juillet 2023)

ByVeritatis

Juin 26, 2024


À Marseille en mars dernier se tenait le festival Babel Music XP, qui proposait des concerts et un forum rassemblant deux mille professionnels des musiques dites « du monde ».Lors d’une table ronde intitulée « Musiques électroniques et traditionnelles, un futur recomposé ? », les intervenants ont salué la vitalité des expérimentations sonores qui, entreprises en France depuis une quarantaine d’années, sont aujourd’hui popularisées par de jeunes artistes télescopant les machines avec la vielle à roue, la chabrette limousine, le biniou breton ou l’épinette des Vosges. Sinclair Ringenbach, qui a découvert cette dernière dans le grenier familial, en joue au sein du duo Caïn ﻮ Muchi, avec Vanda Forte qui chante dans plusieurs dialectes arabes, en appliquant des effets électroniques pour « rendre la chose plus abstraite qu’elle ne l’est acoustiquement », témoignait alors le musicien (1). De son côté, Louis Jacques justifiait son emploi de la cornemuse au sein de Super Parquet (2) : « Je n’ai pas choisi mon instrument, pas plus que je n’ai choisi ma langue maternelle. C’est avec lui que je m’exprime dans un groupe qui intègre des synthétiseurs, des boîtes à rythmes et des séquenceurs. Le challenge étant d’adapter les machines, qui pensent en binaire, à la bourrée à trois temps. » Depuis 2014, le quartette produit une « musique psychédélique du Massif central ».

Super Parquet, l’un des groupes les plus influents du récent mouvement « néo-trad », était en tournée ce printemps, en compagnie du trio Brama et de Radio Tutti & Barilla Sisters, avec le Bal Barré — qui promettait « une secousse spectaculaire née de la collision entre musiques traditionnelles et transe électronique ». Un intitulé qui fait écho au projet Teknibal, autre concept festif qui agrège diverses formations, imaginé par Turfu, duo chez qui l’accordéon diatonique virevolte sur un pied rythmique digne de la techno de Détroit (3). Qu’il se nomme balèti en Occitanie ou fest-noz en Bretagne, le bal populaire est ragaillardi par des formations électro-folk comme Le Mange Bal ou Patates Sound System, et plébiscité par un public jeune qui se détourne des discothèques, en crise, et des raves, réprimées par les autorités. Au bal comme en club, les danseurs éprouvent la transe vers laquelle tendent les musiques traditionnelles et électroniques. En témoigne le succès sur les dance floors de La Teknoz (2022), un single du producteur De Grandi, qui introduit le biniou dans le grime et le gabber, des sous-genres prisés dans les métropoles mondiales.

Membres du collectif altiligérien (de la Haute-Loire) La Nòvia ou du label béarnais Pagans, d’autres groupes explorent des contrées plus cérébrales, particulièrement le drone (des notes maintenues ou répétées générant des bourdons) commun à la vielle à roue, à la musique minimaliste (La Monte Young) et aux sons électroniques (Aphex Twin). C’est le cas du groupe franco-suisse La Tène et de Sourdurent (4). Ce dernier est conduit par Ernest Bergez, qui, venu de la musique électronique abstraite, s’est ensuite passionné pour le folk auvergnat chanté en occitan. Il condense aujourd’hui ses diverses préférences dans un quartette avec cabrette, banjo ou luth basse. Ses réalisations sont pour lui des réponses au centralisme perçu comme uniformisateur. Il rejoint ainsi les préoccupations du mouvement folk régionaliste et contestataire des années 1970, dont les artistes indociles éveillent aujourd’hui l’intérêt de nouveaux auditeurs. Un disquaire calé en musiques traditionnelles comme en avant-garde électronique, Dizonord, vient d’ailleurs de rééditer Cants dels trobadors : « La douceur d’un son nouvel », de Regrelh, une rareté de folk expérimental occitan originellement parue en 1979 (5).

(2Super Parquet, Couteau/Haute Forme, Airfono, 2022.

(3Turfu, Astrale Nouba, Airfono, 2020.

(4Sourdurent, L’Herbe de détourne, Murailles Music / Les Disques Bongo Joe, 2023. Également : La Tène, Ecorcha/Taillée, Les Disques Bongo Joe, 2023.

(5Regrelh, Cants dels trobadors : « La douceur d’un son nouvel », Dizonord, 2023.



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