• mar. Juil 2nd, 2024

les agents de l’environnement redoutent une victoire du RN


« La question que je me pose, c’est : “Concrètement, qu’est-ce que je vais faire pendant cinq ans pour l’écologie ?” » Depuis la victoire du Rassemblement national (RN) aux élections européennes et la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin, cette fonctionnaire [*] spécialisée dans les politiques agricoles « stresse ». Qu’adviendrait-il pour les fonctionnaires et agents de l’environnement si l’extrême droite obtenait une majorité aux élections législatives des 30 juin et 7 juillet et entrait au gouvernement ? « On ne sait pas quelles mesures elle ferait passer, si elle va supprimer des postes », se tourmente-t-elle.

Cette inquiétude est partagée par une grande partie des 1 700 membres du réseau écologiste des professionnels de l’action publique, le Lierre. « Qu’ils travaillent au ministère de la Transition écologique ou ailleurs, ils ressentent du désarroi et une démobilisation », observe un membre du réseau [*]. Tous les chantiers en cours — la stratégie nationale bas carbone (SNBC), la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), la loi Énergie-Climat, le plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc) —, déjà en retard, sont gelés. « On craint qu’en cas d’arrivée du RN au pouvoir, ils soient mis à la poubelle et qu’il n’y ait plus aucune ambition », explique-t-il.

L’ambiance à l’Office français de la biodiversité (OFB) n’est guère meilleure. « C’est la sinistrose, raconte une agente. Nous attendions des arbitrages sur de nombreux sujets. Tout est en stand-by. » Le découragement pointe à l’évocation de la séquence politique à venir. « On va encore changer de gouvernement, repartir plus ou moins de zéro. Parfois on a un secrétaire d’État à la biodiversité, parfois non. Il va falloir faire remonter en compétence un nouveau ministre. »

Baptiste Morizot devant un agent de l’ONF, aux 82 heures pour sauver l’ONF, à Paris, le 31 octobre 2022.
© Mathieu Génon / Reporterre

Avec le risque que des politiques, « celles qui nécessitent un portage politique fort, le plan Écophyto, les aires marines protégées, la gestion du loup », soient abandonnées. Voire, en cas de gouvernement d’extrême droite, que des scénarios « catastrophes » surviennent : la suppression pure et simple de l’OFB — déjà une revendication de Laurent Wauquiez et des sénateurs Les Républicains —, voire « la disparition du ministère de l’Environnement au profit d’un ministère de la ruralité par exemple ».

Lire aussi : Le RN et l’écologie : tout pour les riches, rien pour le vivant

Ces fonctionnaires et agents ne se font guère d’illusion : le Rassemblement national est anti-écologique. « Il suffit d’entendre les déclarations [de Marine Le Pen] sur un moratoire sur les éoliennes et des panneaux photovoltaïques et le démantèlement de l’existant, et [de Jordan Bardella] sur l’abandon de l’interdiction de la location des passoires thermiques. Plus globalement, notre crainte est que l’écologie soit le bouc émissaire des politiques à venir de l’extrême droite », redoute le membre d’un collectif de fonctionnaires.

« Le RN est un groupe qui vote toujours de manière défavorable sur tous les sujets environnementaux et qui prône une grosse agriculture conventionnelle non conciliable avec la biodiversité », poursuit l’agente de l’OFB.

« Nous sommes nombreux à être inquiets »

Plus spécifiquement, les fonctionnaires et agents craignent une dégradation importante de leurs conditions de travail. D’autant qu’ils ressentent déjà fortement l’influence du politique sur leurs missions. « J’ai connu de nombreux changements, en partie liés aux différents gouvernements, raconte un agent, qui travaille depuis les années 1990. Plusieurs fois au cours de ma carrière, au moment des crises agricoles, on nous a demandé de réduire nos activités de police à l’égard des agriculteurs, comme lors de la crise de la cartographie des cours d’eau par l’Onema [en 2015]. » Cela a aussi été le cas lors de la dernière crise agricole, en janvier 2024.

« Depuis, nous sommes nombreux à être inquiets, complète l’agente de l’OFB. Une sortie comme celle du Premier ministre [Gabriel Attal] en janvier dernier [“Est-ce qu’il faut vraiment venir armé quand on vient contrôler une haie ?”] décrédibilise toute l’action de 3 600 agents derrière. » Elle a aussi été choquée par le silence du gouvernement face aux exactions dont les services de l’État ont été victimes. « Si des islamistes ou des écologistes avaient plastiqué une Dreal [1], il aurait hurlé à l’attentat ; mais quand c’est un syndicat viticole, pas de souci, ce sont juste des agriculteurs en colère. »

« On a peur pour notre liberté d’expression »

Dans ce contexte, le pouvoir grandissant des préfets, nommés par le président de la République sur proposition du Premier ministre et du ministre de l’Intérieur, préoccupe beaucoup. Depuis la loi 3DS du 8 février 2022, les agents de l’OFB sont sous l’autorité de ces hauts fonctionnaires pour leurs missions relevant de la police administrative. Les préfets sont également décisionnaires pour de nombreux projets aux conséquences potentiellement néfastes pour l’environnement, du retournement d’une prairie au contrôle des installations classées pour l’environnement en passant par l’installation d’usines polluantes.

« J’ai eu le cas sur un projet de réaménagement routier porté par le département pour desservir une usine, raconte un agent de la Dreal. Comme un certain nombre d’espèces, d’arbres et de zones humides étaient impactés, j’ai proposé une soumission à enquête publique. Cela n’a pas été retenu par le préfet. La pression politique était trop forte. » Ces blocages « [vont] forcément s’intensifier si le RN prend la gouverne, car son projet est complètement compatible avec le libéralisme économique et n’en a que faire de l’environnement ».

Les agents et fonctionnaires de l’environnement pourront-ils résister ? « On a peur pour notre liberté d’expression et notre capacité à dénoncer les manquements des politiques publiques, confie le membre d’un collectif de fonctionnaires. Même si la capacité d’écoute du gouvernement actuel est limitée, on avait quand même la possibilité de porter une parole à titre associatif ou syndical. Avec le RN au gouvernement, ça risque de se compliquer fortement. » Cet interlocuteur craint aussi que l’extrême droite mène « une chasse aux sorcières », y compris parmi les fonctionnaires de la transition écologique, pour installer « des gens à sa botte » aux postes stratégiques.

« Le dilemme, c’est partir ou tenir »

Face à ces sombres perspectives, les syndicats s’engagent dans la campagne. Le SNEFSU a relayé l’appel de la FSU à « faire front pour battre l’extrême droite » et à voter pour le Nouveau Front populaire. « Sur les quelque 50 000 agents qui ont reçu notre appel, nous n’avons eu que 15 retours négatifs du genre “Un syndicat ne doit pas se mêler de politique” », apprécie sa secrétaire générale, Véronique Caraco-Giordano. Le SNEFSU a aussi entrepris d’analyser les programmes un par un pour évaluer leurs effets sur les missions et métiers de ses membres. Ce travail était encore en cours le 24 juin.

Même mobilisation du côté de l’Ofict-CGT (ingés, cadres, techs) du ministère de la Transition écologique et ses établissements. « L’urgence écologique ne sera résolue ni par le président Macron ni par l’extrême droite. Seul le Nouveau Front populaire propose une véritable alternative écologique par le rétablissement des postes supprimés dans le service public de suivi et de protection de la nature (OFB, Météo-France, Cerema), la mise en place d’une vraie planification écologique et des mesures de conservation de la biodiversité », a plaidé le syndicat dans un communiqué diffusé le 21 juin. Là aussi, les retours ont été plutôt positifs. « On a fait un tractage la semaine dernière sur un site de la Dreal. Sur 150 personnes, on a eu 4 refus, dont un seul vraiment vindicatif », raconte Jean-Noël Saussol, membre de ce syndicat.

Un agent de l’OFB délivre un serin cini, dans un lieu de piégeage reconstitué par les agents de l’OFB.
© Stéphane Dubromel / Reporterre

Les réseaux d’agents et de fonctionnaires intéressés par les questions d’environnement, le Lierre et le collectif Une Fonction publique pour la transition écologique (FPTE), prennent aussi leur part dans les initiatives associatives et syndicales qui fleurissent pour la défense des services publics contre l’extrême droite : organisation d’événements publics, signature d’un Pacte d’engagement pour le service public, la campagne #JeVoteServicesPublics« On incite surtout à aller voter, en gardant à l’esprit le sujet de la transition écologique et en essayant de le faire remonter dans le débat public », explique un membre du FPTE.

Et si le Rassemblement national l’emporte malgré tout ? « Pour ceux qui sont à des postes exposés, le dilemme, c’est partir ou tenir, observe le membre d’un collectif de fonctionnaires. Partir, parce qu’on n’est plus en phase avec les valeurs du nouveau gouvernement ; essayer de tenir, pour éviter que les places soient prises par des fonctionnaires sur la même ligne idéologique que le RN. » Lui est plutôt tenté par cette dernière option, en essayant de « rester solidaires entre collectifs et syndicats, pour faire bloc en s’appuyant sur le droit ».

Sur cet épineux problème éthique, le Lierre a publié l’analyse d’un de ses membres, Jean-François Collin, haut fonctionnaire à la retraite. Ce dernier rappelle les garde-fous qui protègent les serviteurs de l’État — droit à la liberté d’opinion, droit à la protection des lanceurs d’alerte, devoir de désobéissance si l’ordre donné est illégal ou de nature à compromettre gravement un intérêt public. Et rappelle que les fonctionnaires ne sont pas de simples exécutants mais « sont aussi garants de la continuité du service public et de la transmission d’une expérience accumulée ».

« Compte tenu de mon âge, j’ai envie de jeter l’éponge »

Sur le terrain, la tendance semble être d’essayer de tenir et de remplir ses missions vaille que vaille. Le membre du Lierre l’assure : « On n’entend pas de petite musique à la démission. Aujourd’hui, l’extrême droite au pouvoir n’est qu’un des scénarios possibles ; même si nous prenons ce risque au sérieux. Par contre, ce qu’attendent les agents, c’est un cap clair en septembre. »

« Je vote en tant que citoyen, mais en tant qu’agent et syndicaliste je ne fais pas de politique, lance Willy Beugnet, responsable de la CFTC à l’Office national des forêts (ONF). Je suis à l’ONF pour l’avenir de la forêt française et les conditions de travail et de rémunération de mes collègues. Demain, quelle que soit la majorité, je continuerai mes actions. »

Pour l’agente de l’OFB, pas question de partir non plus. Son collègue est plus indécis : « Compte tenu de mon âge, j’ai envie de jeter l’éponge. Je ne vois pas l’avenir sereinement. Mais la question est difficile. Il est très difficile de trouver une carrière aussi motivante, quand on a à cœur la protection de l’environnement. »



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