• lun. Sep 23rd, 2024

les éleveurs de bœufs pointés du doigt


Rio de Janeiro (Brésil), correspondance

Après les mégafeux de 2020, les gigafeux de 2024 ? Dans le Pantanal, plus grande zone humide au monde située à l’ouest du Brésil, l’Institut national de recherches spatiales enregistre déjà plus de 3 200 foyers d’incendie depuis le début de l’année. Soit 800 de plus qu’il y a quatre ans, lors du pire désastre de l’histoire de la région : l’ONG SOS Pantanal estimait alors que plus de 26 % de la surface du biome étaient partis en fumée. L’État du Mato Grosso do Sul a décrété l’état de « situation d’urgence ».

Ces cinq derniers mois, la surface carbonisée dépasse de 39 % la superficie des incendies enregistrés sur la même période en 2020. Sachant que la période des feux dans le Pantanal ne commence habituellement qu’en juillet, le record est bien en passe d’être battu.

Cette propagation hors norme des flammes est évidemment accentuée par le réchauffement climatique, et plus particulièrement par une sécheresse elle aussi historique. En certains points, le niveau du fleuve Paraguay, qui alimente le Pantanal, a perdu plus de 2,5 m en à peine deux semaines, rapporte le journal Nexo.

Brûler pour créer des zones de pâturage

Mais ces dégâts ne s’expliquent pas uniquement par des causes naturelles. Tous les regards se braquent vers les grands éleveurs bovins, fréquemment accusés de déclencher des incendies pour gagner des terres de pâturage. Marina Silva, ministre de l’Environnement, a affirmé que les feux étaient dus à « l’action humaine ». Une enquête fédérale a d’ailleurs été ouverte.

L’hypothèse est hautement probable, car les conditions ne sont pas réunies pour que des incendies se déclenchent naturellement. La sécheresse en cours (certaines zones n’ont pas eu de pluie depuis plus de cinquante jours) écarte d’emblée l’hypothèse d’incendies causés par des éclairs, comme l’explique le quotidien La Folha de São Paulo.

D’autre part, toujours selon le même journal, la quasi-totalité (95 %) des départs de feux recensés dans le Pantanal en 2024 se situent sur des propriétés privées, renforçant l’hypothèse criminelle. Ce ne serait d’ailleurs pas une première : lors de ses enquêtes sur les mégafeux de 2020, les enquêteurs avaient notamment retrouvé des téléphones ayant reçu des messages du type « mets le feu ici », raconte le Correio do Estado.

L’agrobusiness, suspect n°1

Le Pantanal, tout comme l’Amazonie ou le Cerrado, fait l’objet des convoitises des grands propriétaires agricoles : à titre d’exemple, la ville de Corumba, dont 95 % de la superficie se situe dans la zone humide, héberge également le deuxième plus grand cheptel bovin du Brésil. Là encore, la pratique n’est pas nouvelle. « La coordination de producteurs agricoles pour le déclenchement de grands feux s’est déjà vue sous la présidence de Jair Bolsonaro, lors du Dia do fogo (“jour du feu”), le 10 août 2019, dans l’État amazonien du Pará », rappelle Pierre-Éloi Gay-Tabarly, auteur d’une thèse sur l’influence de l’agrobusiness sur les politiques environnementales au Brésil.

Face aux critiques, l’agrobusiness a déjà un argument tout prêt pour se dédouaner, et même tenter de grappiller de nouvelles terres : la théorie du « bœuf-pompier ». Le principe : puisque les bêtes s’alimentent des herbes sèches, plus facilement brûlables, il suffirait de libérer davantage d’animaux dans les espaces naturels pour prévenir les incendies. Déjà utilisée en 2020, y compris par des membres du gouvernement Bolsonaro, la thèse est pourtant facilement démontable. La corrélation semble même être inverse : en 2020, Corumba, la ville ayant recensé le plus de foyers d’incendie, était également… la ville du Pantanal avec le plus grand nombre de têtes bovines, démontrait une étude universitaire, relayée par le média G1.

La puissance médiatique et politique des gros éleveurs

Pourtant, l’idée continue à faire son chemin. Elle est notamment relayée par le groupe Bandeirantes, propriétaire de plusieurs chaînes de télé, fréquences radios et titres écrits, aux lignes éditoriales de droite. « Sur le sujet de l’agrobusiness, les médias du groupe Band tiennent une ligne offensive », résume Pierre-Éloi Gay-Tabarly. En 2022, la chaîne avait même reçu un prix décerné aux médias « partenaires » par le lobby de l’agrobusiness au Congrès brésilien, aux côtés de journalistes de CNN et de Valor, un site d’informations économiques appartenant au groupe Globo.

Plus encore, la thèse fallacieuse est promue par l’Entreprise brésilienne de recherches agricoles, l’Embrapa, détenue par l’État. Elle va même jusqu’à produire des études pour la soutenir. « L’Embrapa a été créée pour augmenter la productivité agricole. La majorité des recherches menées par cette institution suivent donc principalement cet objectif », explique Pierre-Éloi Gay-Tabarly.

« Lula affirme qu’il est possible de concilier agriculture productiviste et développement durable »

Quitte à entrer en contradiction avec les objectifs de lutte contre la déforestation affichés par le président Lula depuis son retour au pouvoir en janvier 2023 ? « Cela n’entre pas en contradiction avec la ligne officielle du gouvernement Lula, qui affirme qu’il est possible de concilier développement de l’agriculture productiviste et développement durable », continue le chercheur. En témoigne le plan de 364 milliards de reais (61 milliards d’euros) d’aides dévoilé par le président ex-syndicaliste le 27 juin dernier, principalement destiné aux moyens producteurs et à la production durable.

Une somme record, également interprétée comme une tentative d’apprivoiser le lobby de l’agrobusiness, considéré comme le plus puissant du Parlement brésilien, et largement acquis à l’ancien président d’extrême droite Jair Bolsonaro.



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