• mer. Sep 25th, 2024

À Paris, le Front populaire appelle les macronistes à se ranger derrière lui


Paris, reportage

Planté au milieu de la foule de la place de la République, Étienne fait défiler frénétiquement les résultats sur son smartphone. Paris, Lyon, Lille… Le jeune homme de 22 ans scrute le nombre de circonscriptions où pourront avoir lieu des « triangulaires » – des configurations où trois candidats devront s’affronter au second tour des élections législatives. « Il y en a plein, surtout dans le Nord. Ça me fait très peur », confie-t-il.

Les estimations des résultats du premier tour des élections législatives, tombés quelques heures plus tôt dimanche 30 juin, lui ont fait l’effet d’un coup de massue. Le Rassemblement national, parti d’extrême droite, et ses alliés sont arrivés en tête, comme le prédisaient les sondages (33,1 % des suffrages à l’échelle nationale), suivis du Nouveau Front populaire, réunion de partis de gauche (27,99 %). La coalition présidentielle (Renaissance, MoDem, Horizons) a fini bien derrière : ses candidats n’ont obtenu que 20,76 % des voix.

Étienne, sympathisant de gauche, sur la place de la République, où le Nouveau Front populaire a appelé à un rassemblement contre l’extrême droite.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Fort de ces résultats, le Rassemblement national pourrait obtenir 260 à 310 sièges de députés. La majorité absolue (289 sièges) lui semble donc accessible – à moins que les voix des électeurs se reportent au second tour, voire que certains candidats en situation de ballottage défavorable dans des triangulaires se retirent. Et justement : au vu du taux important de participation – 66,7 % – il pourrait y avoir 285 à 315 cas de triangulaires en France [1]. Des chiffres bien plus élevés qu’il y a deux ans, puisque seulement huit circonscriptions avaient connu cette configuration lors du second tour des élections législatives.

Les sympathisants de gauche craignent que les candidats de la coalition présidentielle refusent de se retirer, dans le cas où ils seraient troisièmes de leur triangulaire.
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Les qualifiés ont désormais jusqu’au mardi 2 juillet à 18 heures pour se déclarer candidats – ou non – au second tour. « J’attends mardi avec une grande impatience », affirme donc Étienne, depuis l’agitation de la place de la République, où le Nouveau Front populaire a appelé à un rassemblement contre l’extrême droite. Le jeune homme craint que les candidats de la coalition présidentielle refusent de se retirer, dans le cas où ils seraient troisièmes de leur triangulaire, et entraînent ainsi la victoire d’un candidat d’extrême droite. « Ce serait le dernier acte de tout ce qu’ils ont fait auparavant pour servir de marchepied au Rassemblement national, estime le jeune homme. Ils seront responsables devant l’Histoire. »

Flou des macronistes

Dès les minutes qui ont suivi les premières estimations du scrutin, le Nouveau Front populaire a annoncé la couleur. « Conformément à nos principes et à nos positions constantes dans toutes les élections précédentes, nulle part nous ne permettrons au RN [Rassemblement national] de l’emporter, a asséné Jean-Luc Mélenchon, figure de La France insoumise, depuis le QG de son parti. C’est pourquoi, dans l’hypothèse où il serait arrivé en tête tandis que nous ne serions qu’une troisième position, nous retirerons notre candidature. » Il a insisté, sous les applaudissements et les « bravos ! » des militants : « En toutes circonstances, […] notre consigne est simple, directe et claire : pas une voix, pas un siège de plus pour le RN ! » Du côté des macronistes, en revanche, demeure un certain flou.

« Ce n’est pas peine perdue », estime Callista.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Dans une déclaration écrite communiquée à l’AFP, le président de la République Emmanuel Macron a d’abord appelé à « un large rassemblement clairement démocrate et républicain » face au Rassemblement national. Depuis l’hôtel de Matignon, le Premier ministre Gabriel Attal a ensuite affirmé que « pas une voix ne doit aller au Rassemblement national », et a appelé à « voter pour les candidats qui défendent la République ».

Reste toutefois à voir si les deux hommes incluent les candidats de La France insoumise dans ce rassemblement — ce n’est, ont-ils annoncé, pas le cas d’Édouard Philippe et de Bruno Le Maire, ministre de l’Economie. En effet, depuis des années, Emmanuel Macron et ses alliés ne cessent de prétendre que le parti de gauche serait « extrême » et ne ferait pas partie de « l’arc républicain » – contrairement aux autres partis du Nouveau Front populaire, comme le Parti socialiste ou Les Écologistes.

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« Ça reste confus, trop confus pour des gens qui ont pourtant bénéficié de vos voix en 2017 et en 2022 », a dénoncé Olivier Faure, secrétaire national du Parti socialiste, lors d’une prise de parole en fin de soirée sur la place de la République. Il a poursuivi : « Aucun d’entre vous n’a apporté sa voix à l’extrême droite, et parfois même vous avez fait l’effort de venir voter pour eux. Alors maintenant, c’est à leur tour de faire en sorte que l’extrême droite ne puisse pas gouverner ! »

Même angle d’attaque du côté de Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes : « Ils se réclament de l’humanisme, de la démocratie, d’être des républicains ? C’est maintenant qu’on va voir s’ils le sont vraiment ! Qu’ils viennent, qu’ils nous aident à construire un nouveau front républicain autour de notre programme ! », a-t-elle lancé sur scène.

L’espoir de « limiter la casse » le 7 juillet

« On attend la même clarté des macronistes que ce qu’a dit Mélenchon », abonde Roméo, 18 ans, depuis la place de la République, drapeau vert des Jeunes écologistes au bout de la main. Même si le jeune homme le reconnaît : « Je n’en attends pas beaucoup de leur part. Ils n’ont pas cessé de diaboliser La France insoumise, et par conséquent de respectabiliser le Rassemblement national. »

L’impunité des sympathisants d’extrême droite effraie Sarah, 21 ans : les résultats des élections ont « libéré les fachos ».
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Quelques désistements sont toutefois d’ores et déjà à souligner. La députée sortante du Rhône, Sarah Tanzilli (coalition présidentielle), a annoncé son retrait, laissant la place à un duel La France insoumise contre le Rassemblement national au second tour. « On se désistera partout où nos candidats ne sont pas en capacité de gagner face au RN, y compris en face d’un candidat LFI », a aussi affirmé, de façon plus claire qu’Emmanuel Macron et Gabriel Attal, le sénateur Renaissance des Hauts-de-Seine, Xavier Iacovelli, sur le plateau de France Info.

« Parmi des gens qu’on voit tous les jours, une bonne partie nous détestent »

Jusqu’à mardi 18 heures, les yeux seront donc fixés sur ces désistements ou ces maintiens de candidature. Puis la prochaine échéance sera le dimanche 7 juillet, jour du second tour. Sur la place de la République, le 30 juin au soir, il y avait clairement deux camps : les pessimistes, et ceux qui se forcent à y croire. « J’ai peu d’espoir que la gauche remporte une majorité absolue. Mais il faut au moins essayer de limiter la casse », dit Sylvain, 49 ans, qui appartient à la première catégorie. Le visage fermé, son âge tranche clairement avec la jeunesse mobilisée sur place.

Face à 10,7 millions d’électeurs pour le RN : la peur

Plus loin, Callista, 20 ans, fait partie de la seconde catégorie. La jeune fille danse avec ses copines sur le refrain de la chanson Résiste de France Gall. Une victoire du Nouveau Front populaire, dans une semaine ? « Ce n’est pas peine perdue, estime Callista. S’il y a des désistements dans les cas où il y a trois candidats, c’est encore possible. En tout cas, je ne peux pas ne pas y croire. »

Car l’enjeu est vertigineux. Si le Rassemblement national accédait au pouvoir, c’est une politique antisociale et raciste qui serait mise en place. À Paris, ce soir, les jeunes en ont parfaitement conscience. Serrée contre son ami Malo, Sarah, 21 ans, porte le voile. Ce n’est même pas le programme du RN qui l’effraie le plus, mais le sentiment d’impunité que le succès du parti a suscité chez certains militants d’extrême droite. « Il y a eu beaucoup d’agressions [de personnes racisées et LGBT] depuis les résultats des élections européennes, remarque-t-elle. Ça a libéré les fachos. »

Si le Rassemblement national accédait au pouvoir, c’est une politique antisociale et raciste qui serait mise en place.
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En tout, plus de 10,7 millions de personnes ont voté pour le parti d’extrême droite lors de ce scrutin. « Je ressens de la colère, de la tristesse. Ça veut dire que parmi des gens qu’on voit tous les jours, une bonne partie nous détestent. » Sarah aussi espère qu’un front républicain se mettra rapidement en place pour empêcher une majorité absolue de députés du Rassemblement national. « À gauche, c’est clair, il y aura des désistements. À droite, c’est plus flou. Comme d’habitude, chacun dit quelque chose de différent, ils doivent se mettre d’accord. »



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