• ven. Sep 20th, 2024

L’insoutenable coût écologique du boom de l’IA


IA ne rime pas avec climat. Le boom actuel du secteur de l’intelligence artificielle (IA) met notamment en péril les plans « net zéro » des grandes entreprises technologiques. Un récent graphique tiré du bilan trimestriel de Microsoft montre qu’à mesure que ses investissements dans l’IA explosent, le géant technologique s’éloigne d’une hypothétique neutralisation de ses émissions carbone d’ici 2030.

D’après une projection de l’Agence internationale de l’énergie, l’industrie mondiale des centres de données, de l’IA et des cryptoactifs devrait doubler sa consommation d’électricité d’ici 2026, générant un surplus de 37 milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Ce qui représente l’équivalent de la consommation annuelle d’un pays comme le Japon. En France, ce seul secteur devrait générer, chaque année, 50 millions de tonnes de CO2 en 2050, alertent les autorités de régulation Arcep et Arcom.

Sam Altman, le patron d’OpenAI, l’entreprise qui a popularisé l’usage des IA génératives avec son programme ChatGPT, a reconnu en janvier dernier ne pas réellement « savoir mesurer les besoins en énergie de cette technologie », alimentant une interrogation lancinante : le boom des IA est-il susceptible d’aggraver les dérèglements du climat ?

Course à la puissance de calcul

Électricité, eau, terres rares, hardware (l’ensemble des composantes d’un ordinateur) : l’empreinte matérielle de cette industrie numérique est longtemps restée un angle mort. À ce jour encore, il demeure « très difficile de disposer de données robustes pour quantifier le poids écologique réel de cette industrie », met en garde Valentin Goujon, spécialiste de l’intelligence artificielle et doctorant en sociologie au Medialab de Sciences Po. En cause ? « L’opacité des géants du numérique qui communiquent très peu sur leurs infrastructures de calcul, considérées comme des actifs stratégiques. »

Une observation des ordres de grandeur disponibles donne toutefois le tournis. Car le boom de l’IA est avant tout une course à la puissance de calcul. Et c’est en premier lieu le secteur des data centers qui est en ébullition. La construction de centres de données de « grande capacité » devrait tripler d’ici six ans, a évalué le cabinet Synergy Research. Une courbe ascendante qui se répercute sur la demande en électricité.

Data centers de Google dans l’Iowa, aux États-Unis.
Wikimedia Commons/CC BY 2.0/Chad Davis

En France, cette accélération est déjà très concrète, notamment en Île-de-France. Le seul secteur des data centers pourrait mobiliser la puissance de 5 à 7 réacteurs nucléaires d’ici 2030, dit Cécile Diguet, directrice du département transformations urbaines de l’agence d’urbanisme d’Île-de-France, dans les colonnes du Monde. Et de mettre en garde : « Attention à ne pas fragiliser le réseau comme en Irlande. »

Réseau saturé, stress hydrique et terres rares

En Irlande, un pays qui se veut à l’avant-garde de cette industrie, ce boom est susceptible de mobiliser un tiers de la production électrique totale du pays en 2026, selon une projection de l’Agence internationale de l’énergie, relayée par le Guardian. En cas de choc de demande sous l’effet de phénomènes saisonniers, comme un hiver rude ou une tempête, cette forte demande pourrait conduire à une saturation du réseau électrique.

Cette tension déjà très palpable aux États-Unis, où la construction de data centers explose, générant un triplement anticipé de la consommation électrique du secteur pour 2030. Ce qui alimente les inquiétudes citoyennes, en particulier parce que certains États comme le Texas doivent également supporter la consommation très importante des mineurs de Bitcoin.

Lire aussi : Data centers : leur consommation d’eau va exploser

À la demande en électricité s’ajoute celle en eau, abondamment utilisée pour refroidir les équipements. Google rapporte ainsi pour 2023 une augmentation nette de sa consommation en eau de 17 % de plus qu’en 2022, tandis que chez Microsoft, on parle de 34 % de hausse en 2021. Or l’eau n’est pas la seule matière première en tension.

Il faut également considérer, en amont de la chaîne de production, la demande en minerais et terres rares qui entrent dans la composition des puces et microprocesseurs, comme ceux fabriqués par le mastodonte étasunien Nvidia. Actuellement, c’est en particulier le cuivre qui voit sa production « siphonnée » par l’industrie de l’IA, selon le Wall Street Journal.

Or ces métaux précieux sont extraits dans des conditions sociales et environnementales souvent désastreuses. En Birmanie, cette industrie alimente ainsi un « pillage généralisé des ressources naturelles », s’alarme l’ONG Global Witness. À Taïwan, principal producteur mondial de microélectronique de pointe, cette industrie stratégique accentue le stress hydrique d’un pays régulièrement frappé par la sécheresse, montre le chercheur Gauthier Roussilhe.

Embryons de régulation

À l’heure où les dérèglements climatiques s’aggravent, le défi environnemental posé par le boom de l’IA ne peut plus être ignoré. Aux États-Unis, un texte de loi baptisé Artificial Intelligence Environmental Impacts Act a été introduit début 2024 au Congrès pour examiner en profondeur les conséquences écologiques de ce secteur et proposer une régulation adaptée. Un volontarisme affiché qui contraste avec la timidité de l’IA Act européen qui, s’il offre un premier cadre de régulation pour le secteur, ne se préoccupe pas de son coût environnemental.

En France, le groupement Ecolab de l’État s’est saisi du sujet et propose une approche de l’« IA frugale » comme réponse à la gourmandise de ce secteur en matière d’énergie et de matières premières. Pour cela, l’agence entend s’appuyer sur des pépites françaises de la GreenTech, des entreprises engagées pour bâtir des technologies plus vertes et plus sobres.

Au niveau international, l’engagement pour réduire le coût environnemental de l’intelligence artificielle est porté par la Green Software Foundation, qui rassemble des acteurs publics comme les principaux industriels du secteur, épaulés par les grands cabinets de conseil.

Géoingénierie comme palliatif

Les patrons des principaux géants technologiques impliqués dans la course à l’IA semblent s’éveiller à la problématique du coût environnemental de leur industrie. Mais pour eux, l’enjeu demeure principalement d’ordre financier. Le patron d’Alphabet, la maison-mère de Google, a reconnu dans un échange avec Reuters qu’intégrer Bard, leur chatbot doté d’IA dans le moteur de recherche, conduirait à multiplier par dix le coût par requête. En effet, pour une requête simple, Google mobilise les données déjà indexées sur internet, alors qu’ajouter une couche d’IA pour le même service sollicite une puissance de calcul bien supérieure. À service égal, l’IA utilise trente fois plus d’énergie, note la chercheuse Sasha Luccioni de l’entreprise d’IA Hugging Face.

Interrogé par Disconnect sur le futur d’une industrie aussi gourmande en énergie et en matières premières, Sam Altman a choisi de s’en remettre au progrès scientifique et à l’innovation. La seule manière, selon lui, d’absorber la demande exponentielle de son industrie. Il se déclare confiant dans les principes de la « géoingénierie comme palliatif ».

Une déclaration aux accents technosolutionnistes qui ne surprend pas Loup Cellard, chercheur membre du Medialab de Sciences Po et rédacteur en chef de la revue critique Tèque : « La crise climatique est perçue comme une crise de l’efficacité. Les industriels de l’IA s’en remettent donc à des solutions technologiques pour optimiser le secteur, sans jamais questionner sa fuite en avant. »



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