• lun. Juil 8th, 2024

Dans les circonscriptions pivots, des « convois de la victoire » pour faire barrage au RN


Périgueux (Dordogne), reportage

Mardi 2 juillet matin. Sur les quais de la gare Montparnasse à Paris, Alice et Nicolas embarquent avec leurs sacs à dos et leurs vélos pour plusieurs heures de train. Aucun d’eux n’est encarté dans un parti, mais face aux résultats des élections européennes, puis du premier tour des législatives, ils ont décidé de prêter main-forte à des militants du Nouveau Front populaire (NFP). « On a ressenti beaucoup de tristesse et de colère dimanche dernier. On se dit que si on ne milite pas, on ne pourra pas se regarder dans une glace si le Rassemblement national arrive au pouvoir », expliquent-ils.

Les deux trentenaires se sont inscrits sur le formulaire des « convois de la victoire », une répartition nationale de citoyens volontaires pour tracter, distribuer des programmes dans les boites aux lettres… En bref, renforcer les rangs des militants encartés à gauche. Inédite, l’initiative comptabilisait plus de 1 000 inscriptions, au début de cette semaine de l’entre-deux-tours. Près de 500 renforts ont déjà été déployés dans 38 circonscriptions gagnables, grâce aux 40 000 euros récoltés sur une cagnotte publique.

Billets de train, logements, dispersion des volontaires…

Bien loin de leur commune de Malakoff, où le candidat de l’union de la gauche a été élu dès le premier tour, Alice et Nicolas filent à grande vitesse vers Périgueux, en Dordogne. Un duel décisif entre le Rassemblement national (RN) et le NFP se joue dans le département de Nouvelle-Aquitaine, puisque les candidats d’Ensemble — l’ex-majorité présidentielle — arrivés en troisième position se sont tous désistés.

Rencontre entre militants locaux et nouveaux venus parisiens à la permanence de Pascale Martin.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Arrivés à la gare, le couple est accueilli par un militant parisien, Paul-Louis, ancien assistant parlementaire d’un député La France insoumise (LFI) et désigné référent local des convois. Le téléphone à la main, il jongle entre les appels : réserver les billets de train, répartir les renforts dans les voitures et les hébergements, les disperser dans les communes pour mener des dizaines d’actions…

Lara, 25 ans, militante écologiste de l’ONG de défense des océans Sea Shepherd.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Direction le quartier général de la candidate LFINFP, Pascale Martin, en deuxième position avec 29,42 % des voix au premier tour, derrière celui du RN (38,24 %). Le candidat Horizons-Ensemble s’est désisté le matin même, libérant 10 000 voix que les militants veulent à tout prix conquérir. Le QG est en ébullition. Sur les murs, les affiches de campagne côtoient les résultats des bureaux de vote, des post-it en pagaille et le programme chargé de la semaine. Sur la table, un « guide de survie argumentaire » est disponible pour les nouveaux arrivants. Il présente des contre-arguments types pour répondre à des critiques fréquentes à l’égard du Nouveau Front populaire, comme le montant du financement des mesures ou l’accusation d’antisémitisme.

« À votre tour de faire barrage »

Le temps presse. À peine les présentations faites, une première équipe franchit la porte pour un tractage. Un brief express est réalisé sur le chemin. « On tend le tract, on dit “bonjour” et surtout on rappelle que l’important, c’est de battre le RN qui est une menace pour la démocratie », résume Paul Louis. « C’est nous ou l’extrême droite ! », lance-t-il en distribuant son premier tract. 

Lara, 25 ans, arrivée à Périgueux il y a moins d’une heure, observe attentivement les techniques d’approche du militant. Designer en numérique, elle est venue du 13e arrondissement de Paris pour participer à sa toute première campagne politique. Devant le parking d’un supermarché, elle tend timidement les tracts aux clients. « Ah non, Mélenchon c’est pas possible ! », s’agace l’un d’eux, laissant Lara pantoise. Plus rodée au discours scientifique apaisé qu’au débat partisan, la militante écologiste de l’ONG de défense des océans Sea Shepherd n’est pas au bout de ses surprises. L’un de ses tracts finit déchiqueté sur le trottoir, parce que « si c’est pas le RN, ce n’est pas la France », selon un passant.

Abstentionnistes désabusés et électeurs d’extrême droite

Lorsqu’elle croise des abstentionnistes désabusés, Lara insiste sur les mesures sociales du NFP, comme l’augmentation du Smic à 1 600 euros, le gel des prix des produits de première nécessité et la taxation des ultrariches. Elle n’aura que très peu l’occasion de présenter les arguments écologiques qu’elle mobilise habituellement pour influencer ses parents macronistes, mais c’est bien l’urgence environnementale qui motive son soutien à la campagne du NFP : « L’écologie a déjà perdu beaucoup de sièges au niveau européen, donc si la France passe à l’extrême droite, on se projette dans une dystopie. »

« L’objectif du NFP est de passer de 5 à 14 tranches d’imposition pour une meilleure répartition des richesses », détaille Camille.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Les échanges sont brefs et l’argument phare est clair : « Nous on a fait barrage en votant pour Emmanuel Macron à contrecœur, à votre tour la droite et le centre maintenant de barrer la route à l’extrême droite et de nous rendre la pareille », défend Lyes, qui tente de convaincre une électrice du candidat de l’ex-majorité présidentielle. Peine perdue. « La menace est dans tous les extrêmes », lui rétorque-t-elle. Il n’a pas choisi son lieu de tractage par hasard : à quelques mètres des bureaux de vote de la mairie de Périgueux, où le candidat Horizons a réalisé ses meilleurs scores.

« Je ne serais sûrement pas Français si le RN avait été au pouvoir »

Le cuisinier de 25 ans est venu de Clamart en région parisienne, où le candidat Les Républicains est arrivé en tête de quelques centaines de voix devant celui du Parti Socialiste – NFP. « Je voulais aller dans une circonscription où la menace, c’est l’extrême droite. Moi, je ne serais sûrement pas Français si le RN avait été au pouvoir. Mon père a été naturalisé et ma mère est binationale. Ce parti porte un projet ethnocentré, et faire croire que c’est le NFP qui ne respecte pas les valeurs de la République est inacceptable et mensonger. »

Pour couvrir les 180 communes de la vaste circonscription, l’équipe de campagne compte sur le renfort des convois.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Avec sa copine Lisa, étudiante en sciences politiques à Paris 1, ils ont déjà participé à la campagne du candidat PSNFP de Clamart, alors que leur vote se porte plutôt sur La France insoumise, notamment pour la défense du peuple palestinien. Mais lors des tractages périgourdins, Lisa, engagée dans le comité pour la Palestine de son université, fait fi du keffieh : « Ce n’est pas un argument qu’on présente lorsqu’on aborde les gens, parce qu’ils n’y sont pas forcément sensibles, et parce que parfois on nous traite d’antisémites, ce qui me blesse beaucoup, car ma tradition politique est de me battre contre toutes les oppressions et discriminations. »

Une parole de haine décomplexée

Chaque voix compte. Dans la quatrième circonscription, le candidat Les Écologistes-NFP, Sébastien Peytavie, doit rattraper 960 voix d’écart avec celle du RN, et récupérer les 10 500 bulletins de celui de Renaissance. Pour couvrir les 180 communes de la vaste circonscription, l’équipe de campagne compte sur le renfort des convois. « Ça fait du bien de voir qu’on n’est pas seuls à se battre dans notre trou », sourit Bruno, le directeur de campagne.

Il accompagne Camille, 30 ans, arrivée lundi dernier. À peine débarquée d’un séjour d’un an de petits boulots au Canada, elle n’a pas hésité à sauter dans le premier train pour rejoindre la campagne locale. Le long des maisons médiévales, entre le stand de foie gras et l’étal d’huile de noix du marché de Sarlat, elle alpague une retraitée. Ça tombe bien, « le NFP propose d’augmenter le minimum vieillesse au niveau du seuil de pauvreté », l’informe la trentenaire. « Moi, je vote à droite. Je veux surtout voter pour les travailleurs, parce que j’en ai chié au travail. Et puis les impôts aussi, ça n’arrête pas d’augmenter », ajoute l’ancienne ouvrière. « L’objectif du NFP est justement de passer de 5 à 14 tranches d’imposition pour une meilleure répartition des richesses qui bénéficiera aux travailleurs », répond Camille, récemment reconvertie à la menuiserie.

Des militants s’adressent aux ouvriers de l’usine-abattoir Sobeval, dans une commune où le candidat de gauche a dépassé celui du RN de seulement 53 voix.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

L’acharnement de la jeune militante finit par payer : « Je vais peut-être changer d’avis d’ici dimanche, vous m’avez quand même convaincue ! », lui lance la retraitée en partant avec le tract. Même si elle n’a jamais milité auparavant, Camille connaît le programme du NFP sur le bout des doigts. « J’écoute leur problématique et je tente de leur montrer comment la gauche prévoit d’y répondre », explique la Corrézienne, issue d’une famille de syndicalistes qui lui ont transmis la flamme du militantisme.

« Les gens n’ont plus peur d’afficher leur haine »

Son enthousiasme ne suffit pas toujours à éviter les tensions. Une cliente du marché passe à côté d’elle en faisant mine de vomir, avant de la traiter d’islamiste. « Hier, sur le marché de Sanilhac, un commerçant nous a dit qu’il fallait régler le problème des cités à coups de bazooka. Il y a un racisme décomplexé. Les gens n’ont même plus peur d’afficher leur haine et ne se cachent plus de voter pour l’extrême droite », soupire Camille.

Sa matinée se poursuit devant l’usine-abattoir Sobeval, sur la commune de Boulazac où le candidat de l’union de la gauche a dépassé celle du RN de seulement 53 voix. Les militants s’adressent aux ouvriers, à la sortie de leurs huit heures de travail matinal. Certains acceptent le tract, en leur garantissant leur soutien. Un mécano en bleu de travail prend le temps d’écouter les propositions du NFP pour la revalorisation des salaires, malgré son « dépit » face à la classe politique, et promet de « faire barrage »

Une voiture s’arrête à l’entrée. Une intérimaire de la grande distribution venue chercher un membre de sa famille accepte d’engager la discussion, malgré sa position bien arrêtée : « Ça fait des années que je vote Le Pen et personne ne me fera changer d’avis ! » De l’insécurité et des « cassos au RSA qui ne payent rien et touchent les aides », le discours glisse vers l’immigration. L’échange tourne court. Mais pas de quoi décourager Camille qui poursuit sans relâche son tractage. Vendredi 5 juillet, des convois doivent partir de Paris, Toulouse, Rennes et Lyon dans les circonscriptions périphériques pour la dernière ligne droite de la campagne.



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