• jeu. Sep 19th, 2024

retour sur 4 semaines de folie politique


Dissolution surprise, récupération politique, diabolisation de la gauche… L’actualité est parfois aussi haletante qu’une série télévisée. C’est ce qu’ont démontré ces quatre dernières semaines. Alors que le second tour des élections législatives du dimanche 7 juillet décidera de l’avenir politique du pays, et risque de mettre pour la première fois depuis 1944 un parti d’extrême droite au pouvoir, Reporterre revient sur cette intense campagne et sur les enjeux de ce vote crucial pour l’écologie.

• Le choc de la dissolution

Au terme des élections européennes du 9 juin, on se doutait que le Rassemblement national ferait un score record (il a obtenu 31,37 % des suffrages exprimés). Moins de l’annonce fracassante faite par le président de la République, vers 21 heures : dissoudre l’Assemblée nationale.

Reporterre était au QG des Écologistes, qui venaient d’encaisser un score décevant (5,5 %). Les réactions des militants reflétaient leur désarroi : « Olala, mais il est taré ce mec [Emmanuel Macron] ! » « Donc on repart en campagne ? C’est ça, là ? »

Le président a tenté de justifier sa décision de la dissolution par une nécessité de « clarification ». Elle est plutôt le fruit de son « arrogance » et de son « mépris pour la vulnérabilité de l’autre », nous a expliqué le psychanalyste Roland Gori. Le chef de l’État a aussi tenté d’opposer « les deux extrêmes » et de s’imposer comme incarnant le camp de la raison, faisant référence à la science, alors que nombreuses de ses décisions sur les questions écologiques ont contredite celle-ci.

• Une gauche unie, avec un programme écologique

Très vite, une évidence s’est imposée à gauche : elle ne peut espérer peser à l’Assemblée nationale que si elle s’unit. Tandis que les appels de la société civile fleurissaient en ce sens, les chefs de parti (le Parti socialiste, PS ; La France insoumise, LFI ; Les Écologistes ; le Parti communiste français, PCF) ont réussi à s’entendre et ont créé le Nouveau Front populaire (NFP), dès le jeudi 13 juin. Un programme a été rapidement mis sur pied. Il est « le plus ambitieux qu’ait jamais connu la France sur l’environnement », nous a assuré la secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier.

Alors que sa faisabilité économique était immédiatement remise en cause par le ministre de l’Économie ou les patrons du Medef, Reporterre a interrogé sept économistes qui ont salué la « crédibilité » du chiffrage.

La photo de famille du Nouveau Front populaire.
© NnoMan Cadoret/Reporterre

Sur le terrain, une campagne éclair a été lancée. Avec un effort particulier en zones rurales. Reporterre a suivi plusieurs candidats du Nouveau Front populaire :

  • Boris Tavernier dans le Rhône, connu pour sa lutte contre la précarité alimentaire ;
  • les paysans Carole Ballu en Charente et Benoît Biteau en Charente-Maritime ;

Au soir du premier tour dimanche 30 juin, le Rassemblement national (RN) allié à Éric Ciotti a obtenu 33,1 % des voix, le Nouveau Front populaire 28 %, la coalition présidentielle 20 %. 39 candidats d’extrême droite et 31 du NFP ont été élus dès le premier tour. Le NFP n’a pas hésité, en cas de triangulaire, à désister ses candidats arrivés troisièmes dans l’idée de faire barrage à l’extrême droite. Les candidats macronistes ont tergiversé. Au final, le second tour verra 409 duels, 89 triangulaires et 2 quadrangulaires. Reporterre a recensé les circonscriptions à surveiller pour l’écologie.

• Le succès terrifiant du RN

Comment expliquer le succès de l’extrême droite ? Selon le sociologue Félicien Faury, il découle des inquiétudes économiques de nombreux électeurs, qui s’entremêlent à une vision du monde racialisée. Le RN drague particulièrement les habitants des zones périurbaines, en exploitant le cliché d’une opposition des urbains écolos au mode de vie voiture-piscine-barbecue.

Selon Simon Persico, enseignant-chercheur en science politique à Sciences Po Grenoble, le score « historique » réalisé par le parti de Marine Le Pen au premier tour des législatives rend « crédible » une majorité absolue du RN à l’Assemblée nationale le 7 juillet.

Une perspective horrifiante non seulement pour les personnes LGBTI et racisées, mais également pour l’écologie. La « tendance autoritaire » du parti fait craindre aux activistes environnementaux un renforcement de la répression exercée à leur encontre.

Rassemblement contre l’extrême droite à Paris, le 3 juillet 2024.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Dans son programme, le RN annonce vouloir détricoter de nombreuses avancées environnementales, comme la sortie progressive des passoires thermiques du marché locatif, ou encore l’interdiction, en 2035, de la vente des véhicules thermiques.

Lors de la dernière législature, ses députés ont défendu le recours aux pesticides, le développement des mégabassines, les jets privés ou les mégacamions. Une majorité du parti à l’Assemblée nationale mènerait à un « recul » environnemental, selon la directrice des programmes du Réseau Action Climat, Anne Bringault. « Ça voudrait dire que nos objectifs climatiques sont à jeter à la poubelle. »

• Ailleurs dans le monde, le bilan noir de l’extrême droite

Ces craintes sont appuyées par de nombreux exemples internationaux. Dans une série d’articles, Reporterre a raconté ce qui était arrivé à l’écologie, ailleurs dans le monde, après l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite.

En Italie, la Première ministre Giorgia Meloni mise à fond sur le gaz, au détriment du climat. Son gouvernement réfléchit également à réintégrer dans son mix énergétique le nucléaire, abandonné quarante ans plus tôt.

En Hongrie, Viktor Orbán déroule depuis cinq ans le tapis rouge aux entreprises asiatiques de production de batteries pour véhicules électriques, au risque de polluer les sols et les nappes phréatiques. La plus grande usine de batteries d’Europe est actuellement en cours de construction à l’est du pays. Les associations estiment qu’elle consommera autant d’eau, chaque jour, que les 200 000 habitants de la ville voisine.

Sous le soleil de l’Argentine, le bilan de l’extrême droite n’est guère plus reluisant. Le président climatosceptique et ultralibéral, Javier Milei, soutient l’agrobusiness et abandonne les paysans. Il a notamment fermé l’Institut national de l’agriculture familiale, paysanne et indigène (Inafci), dédié aux petites exploitations. « En plus d’aller à l’encontre de la protection de l’environnement », cette mesure « va participer à rendre plus difficile et plus cher l’accès aux produits frais pour l’ensemble de la population », selon Julián Monkes, climatologue et professeur à l’université de Buenos Aires (UBA).

• La société civile en ordre de bataille

En France, la société civile s’est fortement mobilisée ces quatre dernières semaines, par exemple dans les quartiers populaires. Fait inédit, les syndicats (CFDT, CGT, Unsa, FSU, Solidaires) ont aussi appelé à voter contre l’extrême droite. Ces renforts militants, parmi lesquels beaucoup de jeunes, ont décidé que le plus efficace était d’essayer de convaincre les abstentionnistes, avec des initiatives originales telles que l’« Appel du 18 juin » (une campagne téléphonique) et une créativité débridée pour les affiches. Les tutos pour « amener sa pierre au barrage » — même en restant sur son canapé — se sont multipliés.

La militante écologiste Camille Étienne au rassemblement contre l’extrême droite à Paris, le 27 juin 2024.
© Mathieu Génon / Reporterre

Les militants écolos sont très vite entrés dans la danse, avec l’idée de s’appuyer sur le réseau des luttes locales. La plupart se sont déclarés contre l’extrême droite, comme les militants contre les mégabassines ou l’A69, et beaucoup ont appelé à voter NFP. De nombreux défenseurs des animaux se sont également positionnés.

Reporterre a réuni toutes ces voix écologistes lors d’une soirée organisée au pied levé le 24 juin dernier. Seules quelques organisations, telle que la Fresque du climat ou les Shifters, ont refusé de prendre position afin de rester « apartisanes ».

• L’écologie invisibilisée dans les médias

Malgré tout — comme cela avait déjà été le cas lors des précédentes élections —, l’écologie a été complètement occultée des débats. Lors de celui du 25 juin, qui réunissait des représentants des trois principales forces politiques (Gabriel Attal pour Ensemble, Jordan Bardella pour le RN et Manuel Bompard pour le NFP), seules onze minutes et trente-six secondes (sur une heure et quarante-cinq minutes d’échanges) ont été accordées à cette thématique, a calculé Reporterre.

Loin des enjeux environnementaux, la campagne a été parasitée par les polémiques sur la dangerosité présumée du Nouveau Front populaire. Dans un retournement sémantique orwellien, la gauche a été présentée comme un « extrême » menaçant la République. Plusieurs prises de position critiquables de responsables LFI ont valu au parti (et avec lui, tout le Nouveau Front populaire) d’être qualifié de « plus grand parti antisémite de France », situé hors de « l’arc républicain ».

De nombreux messages de solidarité ont été déployés lors du rassemblement contre l’extrême droite à Paris, le 27 juin 2024.
© Mathieu Génon / Reporterre

Les chaînes privées s’en sont donné à cœur joie : « Mélenchon au pouvoir, fini pour les Juifs », pouvait-on lire le 26 juin sur le bandeau de BFMTV… Pendant ce temps, la dédiabolisation du Rassemblement national continue d’aller bon train. Le 28 juin, sur TMC, les vedettes du PAF (paysage audiovisuel français) David Pujadas et Apolline de Malherbe renâclaient à qualifier d’« extrême droite » le parti cofondé par le Waffen-SS Pierre Bousquet.

Selon une étude du chercheur au CNRS David Chavalarias synthétisée par Reporterre, la Russie a activement contribué à cette déstabilisation du paysage politique français. En ayant notamment recours à des campagnes sur les réseaux sociaux, le régime de Vladimir Poutine aide le RN, favorable à ses intérêts, à accéder au pouvoir.

Afin de contrer cette offensive, Reporterre et d’autres médias indépendants (Mediapart, StreetPress, Basta !, L’Humanité…), ainsi que des syndicats et organisations (CGT, Attac,…) ont organisé deux grands rassemblements contre l’extrême droite, place de la République, à Paris, le 27 juin et 3 juillet, réunissant à chaque fois des milliers de participants.

Comment se termineront ces quatre semaines de folie médiatique et politique ? Reporterre vous le racontera dès la soirée du 7 juillet, avec une série de reportages et d’articles d’analyse.



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *