• dim. Sep 29th, 2024

la joie après la victoire de la gauche


Paris, reportage

Le décompte a commencé. En tailleur devant l’allégorie de la République, Maëlle colle son oreille au haut-parleur de son smartphone. Les voix des présentateurs Laurent Delahousse et Anne-Sophie Lapix sont à peine audibles. D’un geste frénétique de l’index, Asbel tente d’actualiser le live de BFMTV. À cet instant, le seul hurlement d’une femme aux bras ornés de tatouages vaut mieux que mille mots : « On l’a fait ! »

Il est 20 heures, dimanche 7 juillet. À l’écart de la liesse, deux amies analysent la projection de l’Assemblée nationale. Le Nouveau Front populaire (NFP) vient de décrocher une majorité relative inespérée, lors du deuxième tour des législatives. Alors que Jordan Bardella se rêvait déjà Premier ministre, le raz-de-marée annoncé du Rassemblement national n’a pas eu lieu. Bouche bée mais les yeux pétillants de bonheur, Asbel enlace un proche : « Je n’avais encore jamais connu la victoire. »

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Quelques instants plus tôt, des centaines d’électeurs s’impatientaient déjà autour du piédestal peinturluré de graffitis, vestiges des récentes péripéties politiques. « Il n’y a pas un grand écran ? Je n’ai plus de batterie », paniquait alors une femme en Dr. Martens.

Déterminé, Capucin entonnait le chant « Siamo tutti antifascisti »  Nous sommes tous antifascistes ») : « J’ai toujours un brin d’espoir… Je veux y croire ! » Autour de lui, l’atmosphère était oppressante. Les gorges nouées, seule une poignée de militants chuchotait la réplique italienne du bout des lèvres. « De l’espoir ? Je n’en ai pas vraiment, avouait Simon d’un haussement d’épaules cafardeux. Je suis venu ici pour ne pas déprimer seul dans mon canap’. »

Les militants se sont retrouvés place de la République.
© NnoMan Cadoret/Reporterre

Personne, ou presque, n’avait imaginé un tel scénario. Au tempo des tambours, la foule s’est mise à « emmerder » d’une voix « les fachos », « Bardella » et « le Rassemblement national ». Un homme craque un fumigène et le ciel crépusculaire se teint en rouge. « Je n’en reviens pas », hoquette une femme, effaçant d’un revers de manche les larmes dégringolant sur ses pommettes.

Un air de Mai 68

À la terrasse du café Le Temple d’or, quelques paires d’yeux fixent le petit écran. Hors de question, pour certains, de manquer l’allocution du président déchu du RN : « Ce soir, les accords électoraux jettent la France dans les bras de l’extrême gauche et de Jean-Luc Mélenchon », grince le grand perdant des élections, aussitôt accompagné par un concert de huées. « Coupez la télé ! Et faisons la fête », prêche un homme entre deux goulées de chope.

« Je n’ai pas eu la force d’écouter les résultats, sourit Julie, pépiniériste. Émotionnellement, je n’en avais pas la capacité. » Alors, elle a fixé son amie Neila… et celle-ci a éclaté de joie. « Je ne m’y attendais tellement pas, détaille la professeure de Seine-Saint-Denis. Je m’étais blindée pour affronter la défaite, et voilà comment ça finit ! » La trombine de Laurent Wauquiez, apparaissant à l’antenne avec la mention « ÉLU », n’y changera rien. Ce soir, la joie triomphe dans les yeux des deux complices.

« J’ai à nouveau espoir en la France et ses véritables valeurs »

Lorena, 20 ans, a vécu le choc à retardement. Un brin en retard, elle a couru aussi vite que possible pour atteindre la place de la République : « En chemin, des personnes se sont mises à hurler de joie. J’ai cru que les fachos commençaient déjà à fêter leur victoire… Puis, en débarquant ici, j’ai compris. » Un téléphone dans le creux de la main, elle n’ose y croire pleinement tant que ne tomberont les ultimes actualisations. « Je suis vraiment émue, poursuit-elle. J’ai à nouveau espoir en la France et ses véritables valeurs : liberté, égalité, fraternité. »

Marisa : « Un élan formidable vient de naître. »
© NnoMan Cadoret/Reporterre

Enlaçant deux inconnus de cinquante ans ses benjamins, Marisa se réjouit de cette force retrouvée : « Il y a ce soir un peu de Mai 68, un brin de 1981 [l’élection de Mitterrand], mais surtout quelque chose de totalement inédit, observe la septuagénaire au brushing malmené par son enthousiasme. Les gamins de 20 ans n’ont jamais connu ça. Un élan formidable vient de naître. »

Les heures passant, les nouvelles circulent de bouche-à-oreille. Dans la Somme, François Ruffin est élu in extremis. Gabriel Attal a annoncé sa démission. Vaincu, Philippe Poutou s’est déclaré — non sans humour — « rester bien disponible pour être Premier ministre ». De son QG, Marine Le Pen a félicité la percée historique du RN, passé de 8 députés il y a à peine plus de deux ans à plus de 140 estimés aujourd’hui : « La marée monte. Elle n’est pas montée assez haut cette fois-ci, mais elle continue à monter, a-t-elle soufflé au micro de TF1. Notre victoire n’est que différée. »

Le soulagement parmi les militants.
© NnoMan Cadoret/Reporterre

La course à Matignon est lancée

En signant une telle remontada, l’alliance de gauche se mue en première force politique à l’Assemblée nationale. Pour l’heure, l’Élysée a simplement déclaré que « le président de la République attendra la structuration de la nouvelle Assemblée nationale pour prendre les décisions nécessaires ». De son côté, Jean-Luc Mélenchon prévient qu’aucun « subterfuge, arrangement ou combinaison ne serait acceptable » : « Le président doit s’incliner et admettre cette défaite sans tenter de la contourner de quelque façon que ce soit. »

Une main glissée dans la poche de jean de son compagnon, l’autre enveloppant son fils haut comme trois pommes, Augustin craint déjà que le chef de file de La France insoumise ne s’approprie la victoire : « Pourvu que l’alliance tienne, que tous se parlent et s’entendent. » Et comme les pronostics ne tardent jamais à s’immiscer dans les conversations, le voilà qu’il défend le curriculum vitae de l’écologiste Marine Tondelier.

Augustin : « Pourvu que l’alliance tienne, que tous se parlent et s’entendent. »
© NnoMan Cadoret/Reporterre

« Les prochains jours risquent d’être vraiment étranges, présagent Lise et Milou. Peut-être Macron décidera-t-il de s’allier aux Républicains, nous privant alors de majorité. » Si le Premier ministre doit être du Nouveau Front populaire, eux opteraient sans hésitation pour Jean-Luc Mélenchon. « Nous sommes la même jeunesse qui séchait les cours le vendredi pour participer aux marches pour le climat… Seulement, elle a viré du vert au rouge. »

Chantant à tue-tête l’hymne du Red Star, Séb et Juliette trinquent aussi bien à la montée en Ligue 2 du club de foot Saint-Ouen qu’à l’hécatombe de l’extrême droite. « Ma seule certitude est que la bataille est loin d’être terminée, note l’étudiant. Nous devons occuper le terrain, empêcher Macron comme la gauche institutionnelle de magouiller et de nous trahir. » Au loin, un livreur Uber Eats se faufile entre les passants, le poing dressé vers les cieux. Quelques feux d’artifice éclairant le temps d’un instant les corps dansant dans l’obscurité. La nuit commence à peine.




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