• dim. Sep 22nd, 2024

Un Premier ministre NFP ? « Ce n’est pas du tout réglé »


Le résultat du second tour des élections législatives place la Vᵉ République dans une situation institutionnelle inédite. Les partis politiques français vont devoir apprendre à manier le compromis et la négociation, nous explique le constitutionnaliste et spécialiste de la transition écologique Bastien François.


Reporterre — Le Nouveau Front populaire (NFP) est la force politique ayant obtenu le plus de députés à l’issue de ces législatives (178 sièges sans compter les dissidents). La coalition de gauche compte proposer un nom de Premier ministre. Mais leur majorité est très relative. Peuvent-ils réellement obtenir le poste ?

Bastien François — Ce n’est pas du tout réglé. Le Nouveau Front populaire est une coalition, et très vraisemblablement, le 18 juillet, lorsque l’Assemblée va se réunir, ses députés se répartiront entre plusieurs groupes politiques à gauche. Ce qui fait que le premier groupe politique en nombre de députés à l’Assemblée nationale sera sans doute celui du RN et peut-être que le deuxième sera le groupe Renaissance.

Dans une logique parlementaire, le président de la République doit s’adresser d’abord au premier groupe. Le RN dira probablement non. Puis il s’adressera au deuxième groupe par la taille — qui serait Renaissance. C’est de la politique fiction, mais Emmanuel Macron pourrait donc se permettre de contourner le Nouveau Front populaire. C’est d’ailleurs pourquoi il a dit qu’il attendait de voir la « structuration » de l’Assemblée pour « prendre des décisions ».


En l’absence de majorité claire, est-il possible de construire un gouvernement ?

Cela parait très compliqué de construire une coalition majoritaire. Que ça soit un premier ministre issu d’une alliance entre Macron et LR, ou de la gauche, il sera dans tous les cas très minoritaire. On peut imaginer un gouvernement minoritaire de centre gauche et centre droit, qui s’accorderait sur un programme minimal gardant quelques éléments forts du programme de gauche. Il va en tout cas falloir un minimum d’accords politiques pour élaborer une sorte de contrat de gouvernement.

Mais on voit bien que c’est très compliqué pour nous citoyens, pour les médias, pour les hommes politiques eux-mêmes, de se mettre dans une situation où il faut se mettre d’accord. Cette culture du compromis, même dans la douleur, même dans la difficulté, nous ne l’avons pas. Et nous l’avons d’autant moins que tout le monde a les yeux fixés sur 2027.


Un gouvernement technique est-il une option ?

Les expériences ailleurs en Europe ont montré que ces gouvernements sont dirigés soit par des personnalités de la société civile, soit par des hauts fonctionnaires. Ils sont en général mis en place en cas de situations de crise économique, ou des finances publiques, etc. Mais ils ont une feuille de route très précise.

Imaginons que l’on nomme un gouvernement technique et qu’on lui demande de réduire la dette. Pour cela, il peut baisser les dépenses de l’État, ou augmenter les impôts. Ce n’est pas du tout le même choix. Donc la technique devient très politique.

L’Assemblée nationale compte désormais trois blocs, avec les partis de gauche en formant le plus grand.
© Nnoman Cadoret / Reporterre

Le programme du Nouveau Front populaire a-t-il une chance de s’appliquer ? Notamment par décret ?

Il y a des mesures qui peuvent passer par décret, mais, par exemple, on ne peut pas annuler la réforme des retraites par décret. On peut modifier certains décrets d’application de cette réforme, mais à la condition qu’ils ne soient pas contraires à la loi, sinon ils seraient annulés par le Conseil d’État. En revanche, le gouvernement avait prévu une réforme de l’assurance chômage par décret. Là, on pourrait y toucher.

Il pourrait y avoir des accords sur le pouvoir d’achat, le logement, la loi sur la fin de vie. Du côté des réformes fiscales, je pense qu’un grand nombre d’hommes politiques de gauche et de droite sont d’accord sur le fait qu’il faut taxer plus les gens très riches. Ou qu’il faut revenir sur un certain nombre de subventions qui ont été accordées sans contreparties aux entreprises.

On pourrait peut-être trouver un socle minimal, mais pour le moment, on n’y est pas du tout. Il va y avoir un long temps de négociation.


Au niveau des mesures écologiques, il y avait dans le programme du NFP un moratoire sur les Grands projets inutiles, par exemple l’A69. Est-ce possible de le mettre en œuvre ?

On peut se mettre d’accord sur le fait qu’un certain nombre de projets en cours soient suspendus. Après, ça dépend de la nature des projets et du cadre normatif dans lequel ils ont été définis. On peut, point par point, interrompre ou ralentir des projets d’infrastructures, en demandant des évaluations nouvelles par exemple, ou si l’État est concerné supprimer les budgets pour les faire.


Gabriel Attal a remis sa démission. Mais il propose de rester Premier ministre jusqu’à la fin des JO. Combien de temps peut-il encore rester à son poste ?

À partir du 18 juillet, quand elle se réunira, l’Assemblée nationale peut voter une motion de censure. Mais M. Attal reste là pour gérer les affaires courantes. Cela veut dire qu’il ne prend aucune décision nouvelle, ne fait pas de réformes, ne publie pas de textes qui modifient la législation, ne fait pas conseil des ministres avec des projets de loi. Il fait juste tourner l’appareil d’État. Donc, il n’y a d’intérêt à le renverser que si on est en capacité de proposer une alternative. Il peut rester en place encore une partie de l’été.

Qu’il reste en poste deviendra beaucoup plus compliqué, même impossible, quand il faudra commencer à prendre des arbitrages budgétaires, à partir de fin août, début septembre. C’est la date limite du politiquement acceptable.

Bastien François : « On voit bien que c’est très compliqué pour nous citoyens, pour les médias, pour les hommes politiques eux-mêmes, de se mettre dans une situation où il faut se mettre d’accord. Cette culture du compromis, même dans la douleur, même dans la difficulté, nous ne l’avons pas. »
© P-O. C./ Reporterre

La Vᵉ république est très présidentialiste. Cette situation est-elle l’occasion de remettre plus de démocratie, et redonner plus de pouvoir à l’Assemblée nationale ?

Le plus urgent, c’est que ce futur gouvernement fasse voter très vite une loi pour adopter le scrutin proportionnel aux législatives. Il a une triple vertu. D’abord, chaque voix compte. On vient de vivre une situation difficile, qui est que beaucoup d’électeurs et électrices ont eu le choix entre s’abstenir et faire barrage, après avoir fait cela déjà deux fois lors de la présidentielle. Je pense que les gens aimeraient voter pour le candidat dont ils veulent vraiment.

Ensuite, cela permet une bien meilleure représentation des votes. Car avec le mode scrutin actuel, une grosse minorité en voix peut obtenir la majorité en sièges. Cela rend un peu illégitime les majorités qui finissent par se former. Alors que la proportionnelle oblige les partis à mener des négociations, à construire des coalitions.

Enfin, le président de la République ne pourrait plus choisir son premier ministre selon son bon plaisir. Il serait obligé de prendre celui qui a construit cette coalition de gouvernement.

Et on pourrait dire aux Français, la prochaine fois, chacune des voix comptera. Alors évidemment, chacune des voix du RN comptera aussi. Mais pour gouverner, il faudrait qu’ils aient 50 % des voix, ce qui n’est pas encore le cas. Et si on reste au scrutin majoritaire à deux tours, le risque, c’est qu’au prochain coup, avec 35 % des voix, s’il n’y a pas tous les désistements et le front républicain, il obtienne 60 ou 70 % des sièges.


Ne faut-il pas plus globalement réformer les institutions ? Aller vers une sixième République ?

Je pense qu’on ne peut pas faire de réforme constitutionnelle pour le moment. Il y a des désaccords fondamentaux entre les trois blocs politiques. Et un manque de réflexion sur les questions constitutionnelles.

En revanche, il serait intéressant de mettre en place une convention citoyenne qui aurait pour rôle non pas de nous livrer une réforme constitutionnelle, mais de lister l’ensemble des questions qui posent problème et commencer à proposer des solutions. Il faut que l’on instaure une dynamique de discussion dans notre pays sur la démocratie que nous voulons.

Cette Convention pourrait avoir un an de travail devant elle, auditionner des spécialistes de tous les pays du monde pour voir quelles solutions y ont été utilisées, et nous faire des propositions. Sinon, le risque, c’est qu’avec un gouvernement minoritaire, il ne se passe pas grand-chose dans les trois ans qui viennent et le RN aura beau jeu de dire que rien n’a été fait.



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