• ven. Sep 20th, 2024

Après le choc des législatives, les ONG écolos se réinventent


Pour beaucoup d’ONG écologistes, la perspective d’une arrivée imminente de l’extrême droite au pouvoir a agi comme un électrochoc. Suffisant pour rompre le sacrosaint principe de neutralité apartisane du monde associatif : ne pas s’engager en faveur d’un parti leur permet, en temps normal, de rester crédible auprès de tous les citoyens et de pouvoir s’adresser indifféremment à tous les gouvernements successifs.

« Mais, pour la première fois, on a appelé à voter explicitement contre le RN. Lors des précédentes élections, on avait le sentiment que le risque restait maîtrisé. Là, ça devient concret. On va attaquer beaucoup plus frontalement ce parti qui a des positions complètement incohérentes sur le climat et la justice sociale », assure Anne Bringault, directrice des programmes au Réseau Action Climat (RAC). Les 27 ONG membres du RAC ont unanimement voté pour prendre position contre le RN. « De toute façon, ce parti menace de couper nos financements publics s’il arrive au pouvoir », souligne Anne Bringault, justifiant le choix de briser le tabou de l’opposition partisane.

Un soutien direct au Nouveau Front populaire

Certains membres du RAC, comme Greenpeace, Alternatiba ou Notre Affaire à tous, sont même allés un cran plus loin, en soutenant directement le Nouveau Front populaire. « C’est la première fois que l’on apporte notre soutien à un programme dans le cadre d’élections », témoigne Lucie Pinson, directrice générale de l’ONG Reclaim Finance, cosignataire avec des dizaines d’ONG et collectifs d’une tribune de soutien au NFP.

« C’est lié à la situation historique et inédite : on fait face à trois blocs clairement définis, dont un seul laisse entrevoir des possibilités de progrès en faveur de la justice sociale et climatique et d’éviter l’emballement climatique et le risque de crise financière de grande ampleur. C’est donc un soutien très circonstancié, et qui n’est pas un soutien à un parti, mais à un programme partagé par plusieurs partis », précise-t-elle.

« Le Rassemblement national est le pire que l’on puisse imaginer »

Face au risque de « catastrophe » et aux « conséquences dévastatrices » d’une arrivée de l’extrême droite au pouvoir, Oxfam France fait même de l’engagement politique un positionnement fièrement revendiqué, dans un communiqué de presse. « Oxfam France, en jouant un rôle actif dans la Coalition 2024, en organisant le Grand Oral de la société civile, en incitant les maires et élues à s’exprimer pour le barrage républicain, a été en première ligne de la lutte contre l’extrême droite ! » écrit Cécile Duflot, sa directrice générale, par ailleurs ancienne secrétaire générale d’Europe Écologie-Les Verts.

D’autres associations sont plus hésitantes à l’idée de franchir le Rubicon. « Nous n’avons donné aucune recommandation de vote. La LPO est apolitique et non partisane, insiste Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux. Pour autant, on est lucide et on a indiqué quelle était la perception des différents groupes en matière d’environnement. Et on constate que le Rassemblement national est le pire que l’on puisse imaginer : rétablissement des chasses traditionnelles, effacement de l’éducation à l’environnement, rejet des énergies renouvelables… »

Amplifier le travail de terrain

Au-delà de ces prises de position, un certain nombre d’associations ont pris conscience de leur impuissance ou de leur échec face à la montée de l’extrême droite. « La situation nous pose beaucoup de questions sur notre manière de travailler, dit Anne Bringault. On réfléchit à la manière de mieux nous faire entendre, mais aussi de mieux être à l’écoute des gens. On a forcément raté quelque chose. »

« On fait déjà beaucoup d’éducation et de sensibilisation à l’environnement, explique Arnaud Schwartz, vice-président de la Fédération nationale de l’environnement (FNE). On touche au minimum 2 millions de personnes chaque année avec nos actions en direction des plus jeunes et des plus âgés. » Pourtant, il en convient : les sorties nature, les visites d’installations d’énergies renouvelables, les journées à la ferme, les ciné-débats, les conférences, etc. n’ont pas suffi.

« Il va falloir amplifier ce travail de terrain », dit-il, d’autant que « la tendance de fond est très, très forte en faveur du Rassemblement national ». La FNE estime que ces actions et le bouche-à-oreille permettent de « créer du lien, de la compréhension, de l’envie, du désir pour l’avenir. Il faut expliquer les idées complexes, les paradoxes de notre époque ».

Ce serait la voie pour battre en brèche « les mensonges et les idées reçues qui ne tiennent pas la route d’un point de vue scientifique et du bien-vivre ensemble, et qui sont avancés par le Rassemblement national et ses alliés, mais aussi par le président de la République et ses supporters », dit Arnaud Schwartz. Il croit en la possibilité de toucher les indécis, les gens « pas forcément purement écolo », voire des gens qui ont voté RN et qui pourraient reconsidérer leur point de vue.

« À nous de montrer que les alternatives existent »

De façon générale, les ONG ont compris qu’il faut beaucoup plus « se reconnecter avec les gens, aller à leur rencontre », estime Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch. Ne pas se contenter des réseaux sociaux, de rester devant ses ordinateurs ou d’aller sur les plateaux télé… « Il faut mieux communiquer sur les alternatives. Les politiques néolibérales depuis des années méprisent les gens et les prennent pour des idiots en jouant la division pour mieux régner : les producteurs contre les consommateurs, les agriculteurs contre les écologistes, etc. À nous de montrer que les alternatives existent et ont déjà prouvé qu’elles pouvaient marcher. »

L’ONG, qui se bat pour le droit fondamental à une alimentation saine, durable et accessible, prend l’exemple des réseaux vrac, des achats groupés dans les quartiers précaires ou encore des expérimentations de sécurité sociale de l’alimentation.

Annie Bringault, elle, imagine la création d’un comité citoyen au sein de son association RAC, « pour avoir des échanges sur nos propositions avec des citoyens représentatifs de la population ». Pour être plus audible, il faut mettre en avant les questions qui touchent au quotidien des gens. Elle cite l’exemple des voitures électriques : « En illustrant le coût comparatif d’une voiture électrique avec un plein d’essence pour une personne faisant 90 km par jour pour aller travailler, on peut montrer que ces voitures font économiser de l’argent. »

Justice sociale et justice environnementale

Justice sociale et environnementale sont indissociables, soulignent la plupart des ONG. « Parler d’écologie punitive est une énorme manipulation de la part de ceux qui veulent diviser pour mieux régner, en désignant un bouc émissaire, sur l’immigration comme sur l’écologie », dit Karine Jacquemart. « Si on veut faire changer nos modes de vie individuels et collectifs, ça ne peut pas être en imposant des mesures aux uns et aux autres », rappelle Arnaud Schwartz.

Pour la LPO, il y a surtout un chantier colossal à mener auprès des politiques et des parlementaires : « L’urgence est perçue sur le plan climatique, pas sur la biodiversité, regrette Allain Bougrain-Dubourg. Donc c’est à nous de les éclairer sur cette réalité. Pourquoi elle n’est pas prise en compte au même titre que la sécurité ? En vérité, la biodiversité, c’est aussi une affaire de sécurité pour l’avenir de l’homme. »

« Tous les droits fondamentaux sont liés »

Une autre vertu de la crise politique accélérée par la dissolution de l’Assemblée nationale aura été d’agir comme un catalyseur pour l’alliance des luttes. « On a créé une coalition encore plus large qu’auparavant pour défendre l’intérêt général », s’enthousiasme Karine Jacquemart.

« Nous avions déjà des luttes transversales, mais le rapprochement est devenu plus opérationnel. On voit bien que tous les droits fondamentaux sont liés : droits à une alimentation saine et durable, droits des migrants, droits des femmes… Face aux violences contre le vivant et contre les minorités, il faut avoir une vision systémique et lutter ensemble », plaide-t-elle. Une ambition et une ligne offensive partagée par de nombreuses ONG, et qui devrait perdurer, quelle que soit la couleur du futur gouvernement.



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